Du syndic de copropriété au comité de direction : les secrets d'une métamorphose 21/31

LA CONFIANCE, OU COMMENT RASSEMBLER LE TROUPEAU DE CHATS [21/31]. Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans un monde férocement individualiste, la confiance pourrait être le socle d'une nouvelle organisation de l'entreprise, voire d'un pays. "La Tribune", en partenariat avec Trust Management Advisors, publie une série d'une trentaine de textes dédiés à la confiance sous ses différentes facettes, sociétale, entrepreneuriale, associant une réflexion de fond et des exemples très concrets issus de cas réels.
Brigitte Wartelle et Jacques Lefevre.
Brigitte Wartelle et Jacques Lefevre. (Crédits : DR)

À l'ère du troupeau de chats, où les comportements sont scrutés à la loupe et les légitimités aisément remises en question, l'exemplarité des dirigeants importe plus que jamais. Exemplarité individuelle, bien sûr, mais aussi collective. Or, le comité de direction n'est pas toujours un modèle de coopération efficace et désintéressée, loin s'en faut. Comment transformer cette assemblée de super-talents en une véritable équipe, capable d'incarner et d'impulser les transformations de l'entreprise ?

Dans un précédent article, nous avons vu qu'un comité de direction est souvent assimilable à un syndic de copropriété où chacun est responsable de son domaine hermétiquement cloisonné. Quand le jeu des egos vient perturber une certaine coexistence pacifique, il peut même virer à la mare aux crocodiles et, en fin de compte, desservir les intérêts de l'entreprise. Si une cordée d'alpinistes, qui ne peuvent atteindre le sommet que tous ensemble et où chacun dépend de l'autre, constitue la parfaite illustration d'une équipe, alors, en tout état de cause, rares sont les comités de direction qui peuvent prétendre en être une.

La première étape de la métamorphose du comité de direction est de définir le sien

La sensation - inavouée mais courante - de perdre quelque peu son temps lors des réunions du comité de direction est un symptôme de ce fonctionnement imparfait. L'ordre du jour trop dispersé, le manque de préparation, le peu d'interactivité et l'enregistrement des décisions sans guère de débats indiquent à l'évidence que l'on a insuffisamment défini les objectifs et les modalités de ce qui devrait être une séance de travail fertile entre les personnes les mieux informées et les plus brillantes de l'organisation.

Pour autant, constater que le comité de direction n'est pas à proprement parler une équipe et que ses réunions ne sont guère productives n'est pas forcément une raison pour tout chambouler. Après tout, le syndic de copropriété est un mode de fonctionnement assez confortable pour tout le monde et qui ne donne pas de trop mauvais résultats.

En outre, faire bouger des top managers, surtout si ce sont des crocodiles à la peau épaisse, n'est pas une mince affaire. Il appartient donc au chef d'entreprise de bien mesurer les difficultés de cette transformation et les bénéfices qu'il aurait à l'enclencher. On l'a vu, renforcer l'exemplarité au sommet en est un. Mieux traiter les sujets transversaux, que l'on ne peut découper et distribuer aux uns et aux autres, en est un autre : transformation digitale, attractivité, innovation, environnement, éthique... Accroître la coordination et les synergies pour atteindre des optimisations globales en est un troisième.

Une équipe n'existant que par le but qu'elle s'est fixé, la première étape de la métamorphose du comité de direction est de définir le sien. L'expérience montre que ce n'est pas aussi aisé qu'il y paraît car il y a souvent une confusion entre les objectifs de l'entreprise (parts de marché, profitabilité, position de leader...) et ceux propres au comité de direction. À travers les ambitions et la mission qu'il se donne, celui-ci doit expliciter son rôle au service de la stratégie. En d'autres termes, préciser à quoi servent en priorité ses réunions. À travers cet exercice fondateur, le groupe prend conscience qu'il peut être une équipe mais aussi de ce qui l'en sépare encore.

Former une équipe, c'est abandonner ses réflexes individualistes

Ensuite, il faut se donner une méthode et des règles collectives pour atteindre l'objectif commun. Ceci est d'autant plus indispensable que, par habitude, on a tôt fait de le morceler et de se répartir les tâches, retombant ainsi dans le syndic de copropriété. Toutefois, c'est un aspect de la transformation avec lequel les dirigeants français sont assez à l'aise. Ils retrouvent leurs repères intellectuels cartésiens et parviennent en général sans trop de peine à concevoir une mécanique appropriée et efficace. Tout l'enjeu est de parvenir à ce qu'ils respectent par la suite les engagements qu'ils se seront donnés. Quoi qu'il arrive, une équipe ne peut fonctionner sans respect des règles collectives, notamment de solidarité. Ainsi, certains devront-ils, par exemple, apprendre à assumer et défendre auprès de leurs troupes des décisions avec lesquelles ils étaient à l'origine en désaccord.

On touche là au point le plus délicat de la métamorphose du comité de direction : sa dimension humaine. Former une équipe, c'est abandonner ses réflexes individualistes pour se mettre sans arrière-pensée au service du groupe. Par orgueil, pudeur ou calcul, les dirigeants ont souvent beaucoup de peine à se départir de leur carapace et à s'ouvrir aux autres. Certains refusent carrément d'aborder le sujet ; d'autres l'esquivent au travers d'activités de team building ludiques ou sportives qui, en réalité, évitent de se parler. Il existe néanmoins des outils, pour ne pas dire des stratagèmes, qui permettent d'amorcer un dialogue plus personnel. Particulièrement efficace, l'acronyme ZOUD (Zone of Uncomfortable Debate) ouvre, derrière son étrangeté libératrice, une parenthèse de discussion où l'on s'affranchit de certaines conventions sociales. La confrontation maîtrisée et mâtinée de bonne humeur qui en résulte peut être le catalyseur d'une alchimie collective supérieure à la somme de ses parties.

Mieux se connaître sur le plan personnel permet d'anticiper davantage les réactions de l'autre, d'accepter plus volontiers ce qui, auparavant, aurait été perçu comme de l'ingérence et, pour les crocodiles, d'ajouter au pot commun toute l'énergie qu'ils mettaient jusque-là dans leur sourde rivalité. C'est pourquoi la transformation progressive d'un groupe vers une équipe est directement proportionnelle à la confiance réciproque qui existe entre ses membres. Plus la confiance est grande et plus on peut évoluer ensemble à grande vitesse et en haute altitude. Mais cela, ce sera une autre histoire, celle des équipes de très haute performance que nous aborderons au travers de l'expérience exceptionnelle de Virginie Guyot, première femme leader de la Patrouille de France.

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LES AUTEURS

La société Trust Management Advisors-Stratorg est une société de conseil et de services aux directions générales dédiée au management par la confiance. Les auteurs ont forgé en son sein depuis 20 ans un corpus de méthodes et d'outils, en co-innovation à la fois conceptuelle et pratique avec des dirigeants et des sociologues. Ils prouvent au quotidien que si la confiance ne se décrète pas, elle se mérite, et se construit par l'élaboration d'un dialogue outillé et organisé.

Jacques LEFEVRE (Isae-Supaero) est associé chez Trust Management Advisors-Stratorg et cofondateur de Trust Management Institute.

Brigitte WARTELLE (Sciences éco, Celsa RH) est associée chez Trust Management Advisors-Stratorg et auditeur IHEDN (54e session).

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La confiance, ou comment rassembler le troupeau de chats 1/31
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Commentaires 2
à écrit le 19/06/2019 à 12:59
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Est ce que je peux lire directement le 31/31? j’imagine déjà la «métamorphose »... Bien que je devrais prendre mon mal en patience et solidifier les «  tissus » du socle de confiance individuel&collectif envers ces structures « systémiques hyper- ...

à écrit le 19/06/2019 à 7:45
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Quelle belle théorie sur la manipulation mentale afin de générer "une" confiance! C'est ce que l'on veut imposer aux déçus de cette construction européenne? Qui n'est en fait qu'une administration hors sol bruxelloise!

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