Fiscalité numérique : à l'impossible nul n'est tenu

Taxer la bande passante sur internet, comme le proposent certains, afin d'empêcher le numérique d'échapper à toute imposition, est en fait techniquement impossible. Par Benoît Felten, CEO, Diffraction Analysis

Or donc la vieille scie déjà envisagée sous le précédent ministre de la Culture refait surface: on veut taxer les flux Internet. Enfin, plus précisément, on veut taxer les géants Américains de l'Internet au fruit de contorsions inconfortables puisqu'on ne parvient pas à s'entendre avec nos voisins Européens pour les taxer par les voies normales.

Je pourrais longuement m'étendre sur le désespoir qui m'étreint à l'idée que décidément la seule innovation Française qui traversera les âges est l'innovation fiscale. Je pourrais remarquer que vouloir brosser les acteurs de la culture dans le sens du poil en leur garantissant la pérennité de mécanismes de financement est sûrement plus facile politiquement de s'interroger sur leur efficacité. Je pourrais m'interroger sur le concept même de taxation reposant sur une base aussi imprécise que "les flux vidéo sur Internet." Mais d'autres ont fait ça mieux que moi.

Un constat simplissime

Non, moi je vais simplement, le plus simplement possible, préciser pourquoi il est impossible de mesurer les flux internet et a fortiori les flux vidéo d'une manière qui veuille dire quoi que ce soit. Car le constat est là, dans sa grande nudité: on a jamais su, et on ne saura jamais mesurer précisément les flux sur internet.

Il y a des outils de mesure, la question n'est pas là. Tous les routeurs du marché peuvent extraire l'en-tête d'un paquet et connaître sa provenance, sa destination et même sa destination finale. Certes, ce n'est utilisé qu'en échantillonnage très grossier parce que cela affecte la performance du routeur. Mais on imagine mal que ralentir le réseau soit un frein pour nos décideurs politiques alors admettons, on pourrait connaître (à condition d'être capable d'analyser les tombereaux de données résultant de l'opération) tout les flux qui entrent et sortent de tous les routeurs de France.

Mais entendons nous sur le mot connaître. On ne saurait, ni plus, ni moins, que l'origine et la destination de chaque paquet. Pas sa nature ou son contenu. Pour ça, il faut mettre en place du DPI (Deep Packet Inspection), cette technologie que les chinois et les Iraniens affectionnent et que le gouvernement se défend de vouloir mettre en place dans le cadre du Projet de Loi Renseignement (malgré l'évidence du contraire). Problème, ça coûte cher à mettre en place, ça affecte aussi la performance du réseau, et c'est intrusif. Mais si peu...

Un coût financier et politique

Admettons donc, on peut le faire. Il y a un coût financier, sans doute un coût politique (mais est-on encore à ça près?) mais au moins on saura qui fait passer de la vidéo sur les réseaux Français. Ou pas ?

D'abord, il faudrait savoir ce qu'on appelle "vidéo". Skype c'est de la vidéo. Le service de vidéo-surveillance de Levallois-Perret aussi. Youtube, Dailymotion et Vimeo également, bien sûr. Comme une grosse partie du contenu piraté, d'ailleurs. Qu'à cela ne tienne, on se moque de ces distinctions (sauf peut-être Microsoft qui sera taxé pour des vidéo-communications Skype afin de financer la création cinématographique Française, cherchez l'erreur). Mais enfin, on peut savoir. Quoique....

Un trafic bientôt invisible!

Dans la question "qui est à l'origine des flux vidéo?", il y a aussi "qui". Une vidéo Vimeo dans un flux Facebook, c'est qui ? Une vidéo Youtube en cache sur le site de lemonde.fr c'est qui? Et surtout, le cache automatique installé par l'ISP pour limiter ses coûts de transit, on le voit comment? Les contenus vidéos massivement stockés chez Akamai ou autres CDN, c'est qui?

Et quand bien même on arriverait à se dépatouiller de cet imbroglio d'hébergements croisés, quid de la crypto? Parce que le DPI (Deep Packet Inspection)  fait ce qu'il peut, mais face à un VPN (réseaux privé virtuel, un système ou un trafic crypté de bout en bout), il est inefficace. Or les gouvernements américains (avec les écoutes de la NSA) et Français (avec la PJL) ont initié un mouvement massif vers du trafic crypté, à la fois par les acteurs du contenu pour lesquels la confidentialité est un argument commercial vital et par les particuliers et les entreprises qui goûtent peu à l'espionnage de masse de leurs communications.

Conclusion, d'ici à quelques mois une partie significative du trafic sera invisible. On saura toujours d'où il vient et où il va, mais on ne connaîtra pas sa nature même si on déployait un onéreux système de DPI pour le savoir.

La connaissance de la nature des flux vidéo sur Internet est donc tout simplement impossible. Alors peut-être serait-il bon de ne pas s'acharner. Après tout, ne dit-on pas qu'à l'impossible nul n'est tenu ?


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Benoît FELTEN
CEO, Diffraction Analysis

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