Javier Milei : dernière chance de l'Argentine

CHRONIQUE. Il n'est pas nécessaire d'être libertaire ou anarcho-populiste comme l'est Milei pour comprendre les bienfaits substantiels de la dollarisation dans certains pays. Par Michel Santi, économiste (*).
La dollarisation de l'Argentine se trouvait à l'origine dans le programme du candidat Javier Milei élu président.
La dollarisation de l'Argentine se trouvait à l'origine dans le programme du candidat Javier Milei élu président. (Crédits : MATIAS BAGLIETTO)

Nombre de pays ont décidé de ne plus utiliser leur monnaie mais d'adopter le dollar américain comme standard d'échanges. Pour certaines économies mal gérées, rongées par la corruption, l'abandon de la monnaie nationale est souvent le dernier recours avant la liquéfaction. Nous, Occidentaux, ne nous rendons pas compte des infinies complications et du calvaire que fait subir une monnaie emportée par une spirale de dépréciation ininterrompue. Nous, Occidentaux, n'apprécions pas ce luxe procuré par une devise stable autorisant une fixation au long cours des tarifs des biens et des services.

Il suffit de se promener aujourd'hui à Buenos Aires dans les supermarchés ou dans des magasins d'électronique pour constater qu'aucun prix n'y est affiché, car celui-ci est susceptible de changer plusieurs fois par jour. Les souffrances infligées aux populations en terme d'incertitudes macroéconomiques, les insupportables pertes de temps à devoir compter pendant de longues minutes des liasses de billets de banque afin de régler ses emplettes, plaident ardemment pour l'adoption par certaines nations du dollar (ou pourquoi pas de l'euro ?) qui interrompra de manière définitive l'infection généralisée et irrémédiable.

C'est précisément ce qui fut entrepris autour des années 2000 en Equateur et au Salvador qui ont très nettement bénéficié de l'abandon de leurs monnaies respectives en faveur du billet vert. Autrefois parmi les pays les plus pauvres d'Amérique Latine, ils se sont redressés de manière spectaculaire, passant d'un taux d'inflation de 15 % pour le Salvador et de 50% pour l'Equateur à environ 3% en à peine quelques années. L'adoption d'une monnaie-étalon exerce un effet dissuasif sur l'inflation car tous les produits et services deviennent dès lors exprimés en un médium d'échanges stable, rétablissant la sérénité des consommateurs qui n'ont plus à angoisser pour s'en dessaisir avant une nouvelle flambée des prix, et qui relancent des projets à long terme. L'exemple du Panama officiellement dollarisé est révélateur où un crédit à taux fixe et à 30 ans est courant, quand il n'est possible d'emprunter qu'à 1 ou 2 ans et à taux variable dans les pays subissant l'hyperinflation.

Après avoir rangé leur monnaie au rang des reliques, le taux de croissance du Salvador s'est révélé 30% au-dessus de la moyenne régionale, tandis que l'Equateur a permis à son économie de croître d'environ 7% par an. Vingt ans plus tard, leur taux de chômage est sous la barre des 4%, quand l'Argentine affiche un taux « officiel » de 12%. La disparition du risque de dévaluation dans les pays ayant opté pour le dollar autorise leurs importateurs et exportateurs à commercer en toute sécurité, à redonner vitalité à leur économie. La gestion calamiteuse de l'Etat y est beaucoup moins nocive car les entreprises et les privés peuvent poursuivre leurs affaires, et ce même en cas de défaut de paiement de leur pays. Dans ces conditions, pourquoi l'Argentine a-t-elle conservé jusque-là un Pesos qui fait subir à sa population une terrible inflation (près de 150% en 2023), si ce n'est pour la pérennisation par une infime élite de son propre pouvoir, accessoirement pour la consolidation par certains de leur corruption endémique qui a rongé le pays jusqu'à l'os.

C'est donc sur mandat clair qu'a été élu Javier Milei en Argentine, qui s'est engagé à la fois à abandonner le Pesos et à démanteler la banque centrale du pays, laquelle n'aura en pratique plus aucune latitude pour une quelconque politique monétaire qui lui échappera totalement, puisque celle-ci sera menée depuis Washington (par la Réserve Fédérale). Rayée des organigrammes, ou très largement dépossédée de ses pouvoirs, la banque centrale ne sera plus en mesure de créer de l'argent servant à renflouer les déficits et à acheter la dette publique, utilisé par l'exécutif pour régler les frais de fonctionnement du pays, tout en masquant sa propre incompétence. Accessoirement, le taux d'inflation argentin sera drastiquement revu en baisse puisqu'il s'alignera sur le taux d'inflation américain.

Il n'est pas nécessaire d'être libertaire ou anarcho-populiste comme l'est Milei pour comprendre les bienfaits substantiels de la dollarisation dans certains pays, comme l'Argentine ou encore le Liban, gage d'un retour à la prospérité, d'une réduction massive des risques financiers, d'un renforcement du système bancaire.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
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Commentaires 2
à écrit le 11/01/2024 à 19:45
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Difficile de comprendre pourquoi le taux d'inflation argentin calquerait celui des USA. L'inflation est liée à la consommation, non ? Si le prix du MacDo augmente à NewYork, il n'y a pas de raison pour qu'il augmente à Buenos Aires... car la viande n...

à écrit le 11/01/2024 à 9:30
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Les monnaies ayant été prises en otage du fait de la mondialisation financière par ceux qui possèdent et détruisent le monde en ronflant, du fait de leurs paradis fiscaux et de leurs dettes imposées à tous les peuples du monde entier il est évident q...

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