L’Intelligence Artificielle générative va-t-elle supprimer le travail ?

OPINION. Chaque progrès technique amène des gains de productivité, tout en soulevant des peurs et des résistances au changement. Par Isabelle Rouhan, directrice de Colibri Talent et cofondatrice du think-tank Métiers du Futur.
Isabelle Rouhan
Isabelle Rouhan (Crédits : dr Laurence Laborie)

La banque Goldman Sachs annonçait en mars 2023 qu'un quart du travail actuel pourrait être automatisé du fait de l'essor fulgurant des IA génératives, ChatGPT en tête ! Cela représente 300 millions d'emplois supprimés à court terme. Ce chiffre ultra polémique en a occulté un autre. Les technologies du Natural Language Processing, qui permettent aux ordinateurs de comprendre, générer et manipuler le langage humain, pourraient contribuer à faire progresser de 7 % le PIB annuel. Le déploiement à grande échelle de l'IA générative est à la fois rapide et spectaculaire, et le fait d'entraîner ces outils auprès du monde entier les font progresser beaucoup plus vite et transforment profondément nos usages. Toutefois, en déduire que le travail va totalement disparaître est une erreur, voire une ânerie, en dépit des affirmations d'experts célèbres tels que Yuval Noah Arari dans son ouvrage 21 leçons pour le XXIe siècle.

Le travail, les métiers, l'emploi est en mutation constante depuis des siècles. Et chaque progrès technique amène des gains de productivité tout en soulevant des peurs et des résistances au changement. Souvenons-nous des Luddites qui détruisaient les métiers à tisser, ou encore de la révolte des Canuts en 1830 ! Ce qui se passe aujourd'hui n'est pas différent. Le Forum Économique Mondial a publié en mai 2023 la dernière édition de son rapport annuel sur l'évolution du monde du travail, qui nous livre trois enseignements intéressants :

  • Les métiers à plus forte progression ou régression sont tous liés aux outils numériques et à l'automatisation.
  • Les secteurs qui vont le plus croître sont l'éducation, l'agriculture, et les métiers du soin et du service (des activités où l'humain est indispensable).
  • Les secteurs qui seront en déclin sont les médias, l'administration, l'industrie et la distribution (des activités où beaucoup de processus et traitements peuvent être automatisés).

En réalité, l'IA ne va pas remplacer le travail, elle va le rendre plus efficace et nous faire gagner du temps, grâce à l'automatisation de tâches répétitives. Le vrai sujet, les humains qui ne maîtrisent pas l'IA pourront être remplacés par ceux qui la maîtrisent. Bien sûr, des métiers vont disparaitre mais de nombreux autres émergeront : certificateur d'images, cyberjournaliste, éthicien de l'intelligence artificielle, anticipateur du changement climatique... Nos organisations s'adaptent en permanence, et tout le monde peut changer de métier, pourvu qu'on l'accompagne.

L'enjeu, c'est la formation !

Pour le Parlement européen, l'intelligence artificielle représente « tout outil utilisé par une machine afin de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité. »

Or ce qui change fondamentalement les métiers, le travail et l'emploi, ce n'est pas l'intelligence artificielle qui reproduit des fonctions humaines, mais plus largement l'automatisation qui permet de confier à la machine des tâches de plus en plus complexes, hier encore dévolues uniquement à l'Homme. Une étude du cabinet McKinsey a révélé que la moitié des heures travaillées dans le monde sont aujourd'hui potentiellement automatisables d'ici 2045. Mais la moitié de heures travaillées ne veut pas dire, heureusement, que la moitié des emplois seront supprimés. 5 % des emplois pourraient disparaître du fait de l'automatisation, ce qui est une bonne chose : une tâche qu'on automatise est toujours répétitive, souvent pénible. En revanche, dans 60 % des postes seront partiellement impactés, avec du temps libéré qui peut être alloué à d'autres tâches à plus forte valeur ajoutée, à la formation, ou encore à d'autres organisations du temps de travail. La bonne nouvelle, c'est que ce type d'innovation nous rapproche de plus en plus de la semaine de quatre jours !

Et d'après l'étude du Forum Économique Mondial, 44 % des compétences seront bouleversées d'ici à 5 ans par l'IA générative, et pour y faire face, 60 % des salariés devront être formés mais la moitié n'a pas accès à la formation. Plus grave, selon une étude TALAN/IFOP,  72 % des personnes interrogées estiment ne pas avoir les connaissances suffisantes pour utiliser l'IA générative. Ceci est d'autant plus important que les compétences techniques souffrent d'une obsolescence accélérée. D'après l'OCDE, ces compétences ont une durée de vie de 12 à 18 mois actuellement, qui pourrait descendre à un an en 2025.

Et vous, allez-vous vous former pour mieux utiliser ChatGPT ?

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Entrepreneure, Isabelle Rouhan dirige Colibri Talent, cabinet de recrutement de dirigeants qui accompagne la transformation des entreprises depuis 2017. Elle intervient principalement dans les domaines de la Tech, de la Data Science et des Systèmes d'Informations. Elle a cofondé et préside l'Observatoire des Métiers du Futur, think-tank qui vise à développer l'employabilité afin d'impacter positivement les entreprises et le débat public sur ce thème. Elle est réserviste citoyenne auprès de l'Armée de Terre, au sein de la Direction des Ressources Humaines, et ambassadrice numérique auprès de la Commission Européenne. Elle a publié Les métiers du Futur aux éditions FIRST en 2019, et Emploi 4.0 aux éditions Atlande en 2021. Enfin, elle est l'hôtesse du podcast Les métiers du Futur depuis 2021.

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Commentaire 1
à écrit le 26/08/2023 à 17:09
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Toujours cocasse cette peur de ces fausses IA et même si un jour une véritable IA née d'ailleurs, puisque les humains sont déjà aux ordres des machines, quitte à l'être autant qu'elles soient intelligentes non ?

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