La dissociation des fonctions de PDG, une mise en œuvre trop souvent cosmétique

OPINION. Au nom de la corporate governance, la tendance est désormais à l'annonce de la dissociation des fonctions de Président du conseil d'administration et de Directeur Général. Pourtant cette dissociation est souvent limitée par des dispositions du Règlement Intérieur du conseil qui la privent d'effet utile. Par Julien Visconti et Quentin Bertrand, Avocats à la Cour, Visconti & Grundler A.A.R.P.I.
Quentin Bertrand et Julien Visconti.
Quentin Bertrand et Julien Visconti. (Crédits : DR)

Depuis la loi NRE du 15 mai 2001, le conseil d'administration peut décider de dissocier les fonctions de Président et de DG.

Après une première période où la tendance était la concentration du pouvoir entre les mains de P-DG, l'AMF constate dans son dernier rapport sur le gouvernement d'entreprise que la dissociation est désormais privilégiée par l'ensemble du SBF 120. Ce regain d'intérêt semble également toucher les États-Unis, territoire pourtant historiquement peu favorable à cette forme duale de gouvernance.

Les exemples récents et particulièrement médiatiques ne manquent pas, même si la dissociation est souvent utilisée comme un mécanisme transitoire permettant d'organiser la succession du P-DG. Cet usage est d'ailleurs regrettable puisque la fonction de DG n'a jamais été envisagée comme un strapontin préalable - et précaire - à un accès éventuel au fauteuil de P-DG.

La forme dissociée : amélioration éventuelle de la gouvernance, mais outil de communication certain

Cette inversion de tendance en moins de 10 ans semble s'expliquer par une pression croissante des proxy advisors et actionnaires pour dissocier les fonctions au nom d'une meilleure gouvernance d'entreprise.

Si la dissociation n'est pas la panacée, il n'est en effet pas déraisonnable de craindre les effets d'une concentration des fonctions qui risque d'instaurer un dirigeant de droit divin sans réel contrepouvoir. D'ailleurs aucun consensus n'émerge de la soft law à cet égard : alors que l'AFG indique favoriser la dissociation des fonctions, le code AFEP-MEDEF ne privilégie aucune formule.

Il est en tout cas indéniable que la dissociation des fonctions constitue actuellement un outil de communication, utilisé pour promettre aux investisseurs une gouvernance saine.

La faille : une répartition fluctuante des pouvoirs entre Président et DG

Une fois les fonctions dissociées, le dispositif légal semble répartir clairement les pouvoirs entre le Président - qui organise et dirige les travaux du conseil, veille au bon fonctionnement des organes sociaux et s'assure que les administrateurs sont en mesure de remplir leur mission - et le DG - investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, il représente la société dans ses rapports avec les tiers et en assure la direction générale -.

Le Directeur général serait donc le « véritable » dirigeant chargé de la gestion, et contrôlé dans son exercice par un conseil supervisé par le Président. C'est également ce que laisse entendre le code AFEP-MEDEF pour lequel seul le DG est mandataire social exécutif.

Pourtant les termes légaux sont suffisamment larges pour permettre une variabilité entre les sociétés pour la répartition réelle des pouvoirs entre Président et DG. Il s'agit d'ailleurs d'un rare domaine où la liberté contractuelle peut s'exercer pour organiser le fonctionnement - largement imposé par la loi - de la société anonyme. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les sociétés où la gouvernance est dissociée sont invitées à préciser la répartition des pouvoirs confiés à chacun, principalement au travers du règlement intérieur du conseil.

Les dissociations cosmétiques au détriment de DG fantoches

L'analyse des règlements intérieurs adoptés dans les sociétés ayant une gouvernance dissociée matérialise l'existence d'une dérive répandue. La dissociation s'accompagne régulièrement d'un renforcement excessif des pouvoirs du Président (missions confiées en sus de celles légales) et d'une réduction de ceux du DG (par exemple en soumettant davantage d'opérations à l'autorisation préalable du conseil).

Ainsi le Président est souvent autorisé à intervenir dans l'ensemble des comités du conseil (ce qui renforce son emprise sur les administrateurs), mais surtout à représenter la société auprès de tiers. Ce dernier pouvoir, bien que souvent entouré de précautions de langage (par exemple le Président doit intervenir « à la demande » du DG), constitue un empiètement évident sur les pouvoirs légaux du DG.

Ces dissociations cosmétiques à la légalité douteuse affectent surtout l'exercice de la gouvernance. De nombreux exemples récents témoignent ainsi de l'impossibilité des DG à prendre leur part dans une gouvernance en théorie dissociée, mais en réalité placée sous l'emprise d'un Président tout-puissant.

Les dissociations ne sont souhaitables que si elles sont sincères, et à défaut d'autres formes de gouvernance permettant une réelle balance des pouvoirs sont préférables.

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