La fraternité est, en France, un trésor mais un trésor méconnu. En quoi est-il méconnu ? En apparence, tout le monde connaît la fraternité. Elle figure dans notre célébrissime devise nationale, est inscrite, à ce titre, sur tous les bâtiments nationaux, et, jusqu'en 1999, lorsque l'euro remplaça le franc, figurait sur toutes les pièces de monnaie françaises. Mais, si la fraternité est ainsi omniprésente, elle est rarement discutée, analysée, questionnée, approfondie. Sur la liberté et l'égalité, les ouvrages, les thèses, les articles, les débats, les polémiques sont innombrables. Sur la fraternité, ils sont beaucoup plus rares. La fraternité est le parent pauvre du débat public français.
De plus, la fraternité est mal connue des Français. Les dictionnaires en donnent des définitions austères et peu avenantes. Certes, parce qu'elle est à la fois une valeur et une attitude, la fraternité est difficile à définir. Il est plus facile de cerner ce à quoi elle s'oppose - la haine, le racisme, l'indifférence, la passivité, l'anonymat - que de quoi elle se distingue - la solidarité, l'unanimisme, le pacifisme ou la cause animale - ou de quoi elle est proche - l'empathie, le pardon, l'amitié, l'attention, l'écoute, la générosité, l'amour, l'engagement, l'altruisme, la sororité, le respect, la civilité, l'altérité. Pour simplifier, la fraternité, c'est une relation bienveillante à l'autre. L'abbé Pierre disait : « Le contraire de la misère, ce n'est pas la richesse. Le contraire de la misère, c'est le partage. »
Mal comprise des Français, la fraternité est aussi suspecte aux yeux de certains de nos concitoyens. Habitués à la verticalité, les Français, dès qu'un problème apparaît, ont tendance à se tourner vers le haut, vers l'État, vers le président, plutôt que vers leurs voisins pour trouver une solution ensemble. De plus, l'immense système de redistribution national incite les Français à considérer que les problèmes des autres ne sont pas les leurs mais ceux du « Système ». Enfin, très souvent, les communautés ethniques sont assimilées au communautarisme, bien qu'elles soient souvent à la fois fraternelles et républicaines.
Dernière critique, la fraternité est souvent considérée, avec condescendance, comme une valeur gnangnan, à l'eau de rose, pas aussi noble, forte et ferme que ses deux sœurs. Vision machiste et dépassée !
Aussi méconnue soit-elle, la fraternité est un trésor. Elle représente beaucoup de valeur. Elle est bonne pour les Français : la science moderne prouve que faire du bien nous fait du bien, à la fois physiologiquement et psychologiquement. Elle est bonne pour la France : un pays où les citoyens s'entraident va mécaniquement mieux qu'un pays où ils s'ignorent ou ne font que se chamailler. Elle est bonne pour les entreprises : plus que jamais, les salariés veulent travailler pour les entreprises qui ont des convictions et ne se contentent pas de gagner de l'argent ; dans ce contexte, les entreprises qui croient aux enjeux de fraternité sont plus attractives. Elle est bonne pour l'État. Notre État a les poches vides. La fraternité de la société civile - citoyens, associations et entreprises - est une magnifique alternative aux initiatives qu'il ne peut plus financer.
La fraternité est aussi extraordinairement agile, beaucoup plus que la liberté et l'égalité, plus contraintes par leurs définitions juridiques ou leurs caractéristiques quantitatives. Pour le producteur comme pour le receveur, il y a mille façons de donner ou recevoir de la fraternité : aider, conseiller, partager, donner, pardonner, aimer, mentorer, enseigner, coacher, sourire, écouter, offrir un exemple, attendre, s'adapter...
Les trésors sont souvent cachés et, pour certains d'entre eux, jamais trouvés. Par contraste, la fraternité est exceptionnellement disponible, visible, palpable... Chacun de nous peut à la fois exploiter ce trésor en produisant et distribuant de la fraternité autour de soi et en accueillant celle que d'autres lui offrent et le faire connaître. La fraternité n'a pas besoin que l'État l'organise. Elle sera ce que chaque Français en fera, et d'abord chaque famille. Mon plaidoyer pour la fraternité fait sourire les cyniques et les sceptiques. Ne leur laissons pas la victoire.
* Fraternité !, Odile Jacob, 2023.
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