La Lituanie, une autre « start-up nation »

OPINION. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les pays de l'est européen attirent les regards. Très proches de la Russie, les pays baltes focalisent l'attention. A l'image de l'Ukraine, une partie de leur population est russophone. Membres de l'UE, ils représentent un modèle de développement pertinent. La Lituanie, avec ses propres licornes, NordVPN et Vinted, a développé un modèle de croissance intéressant, proche de celui de la France. Par Gérard Vespierre (*) président de Strategic Conseils.
Gérard Vespierre.
Gérard Vespierre. (Crédits : Valérie Semensatis)

La Lituanie est le pays le plus peuplé des trois républiques baltes, avec une population approchant les 3 millions d'habitants, soit plus que l'addition des habitants de ses deux voisins.

Or nous savons depuis quelques dizaines d'années qu'un paramètre nouveau vient chambouler l'ordre établi des éléments de puissance des États. Leur force reposait depuis des siècles sur l'importance de leur population, la disponibilité de matières premières et, in fine, le droit et l'expertise permettant de les exploiter.

Les révolutions technologiques

Ce « game-changer », nous le connaissons bien maintenant, il s'agit de la technologie. Quelle est sa nature ? Elle se compose et associe principalement des ruptures dans les savoirs, des avancées dans l'électronique (software et hardware) et un important facteur imagination.

La technologie permet donc de s'affranchir substantiellement des anciens attributs de la croissance et de la puissance. Au 21e siècle, la capacité de puissance, et d'influence, se situera donc dans les savoirs. Les choix et les résultats obtenus, par exemple, par la Corée du Sud et les Émirats Arabes Unis parlent d'eux-mêmes. De « petits États » par la population peuvent donc, s'ils le veulent, se faire une place parmi les grands.

C'est justement cette orientation de croissance par la technologie, que la Lituanie s'efforce de mettre en œuvre depuis de nombreuses années, au profit de l'amélioration du niveau de vie de sa population. Ce choix de la technologie est la colonne vertébrale d'un modèle associant investissement humain et libéralisation financière. Dans ce projet, il faut intégrer la place importante accordée à la formation, du primaire à l'universitaire-recherche.

Cette option technologique, hautement stratégique, a permis à la Lituanie de se classer première, devant tous les autres pays européens, pour le taux de croissance moyen du PIB sur la longue période 2000-2020 !

Particularité supplémentaire du modèle lituanien, le pays a décidé de se positionner sur des secteurs technologiques spécifiques.

Ces secteurs sont la biotechnologie, les énergies renouvelables, et le gaz naturel liquéfié (GNL). On constate immédiatement la proximité de ceux-ci avec les priorités retenues par le gouvernement français dans ses orientations 2030.

Ne serait-il donc pas particulièrement important, et intéressant pour la France de se rapprocher et de travailler plus étroitement avec cette dynamique et volontariste république balte ?

La priorité biotechnologique

Le gouvernement lituanien s'est engagé à générer 5% du PIB national à partir du secteur des biotechnologies. Si elle atteint ce résultat, la Lituanie se placerait par cette proportion dans son PIB à égalité avec Singapour, et se placerait comme un des pays moteurs du secteur.

En réponse aux investissements consentis dans le couple université/recherche, c'est au sein de l'Université de Vilnius qu'une équipe de biologistes a découvert comment il était possible d'utiliser et d'organiser des enzymes afin de pouvoir intervenir de façon ultra-précise sur des doubles brins d'ADN. Cette avancée s'est traduite par la création d'une start-up spécialisée dans les nano-outils moléculaires, ouvrant de réelles opportunités d'avancées nouvelles dans l'intervention sur la structure de l'ADN.

Dans le sillage de l'Université de Vilnius, une communauté croissante et dynamique de sociétés lituaniennes a fait florès. Une autre start-up qui développe des solutions de thérapie cellulaire pour l'immunothérapie du cancer, la régénération des tissus et le traitement de la sclérose en plaques, a vu le jour. Cette R&D de haut niveau s'appuie sur les spécialistes issus de la recherche universitaire. Mais l'écosystème de la recherche ne s'est pas limité au couple recherche/découverte, il s'agit également de favoriser le développement d'un tissu industriel capable d'accéder à l'étape suivante, la création de produits et la fabrication.

Il a donc été mis en place un réseau de zones franches offrant des terrains aménagés et des incitations fiscales intéressantes.

Des essais cliniques à l'intelligence artificielle

La Covid-19 a montré la nécessité de développer nos capacités à créer, le plus rapidement possible, de nouvelles générations de traitement sur le territoire européen. Le besoin d'essais cliniques augmente de façon exponentielle. Forte d'une grande expérience en la matière, la Lituanie s'appuie désormais sur les nouvelles technologies pour mener à bien des essais cliniques « digitalisés » ou portant sur des dispositifs médicaux.

L'hôpital universitaire de Vilnius, qui emploie plus de 6.000 personnes, mène actuellement plus de 230 essais cliniques interventionnels ou observationnels, de la phase I à la phase IV. Chaque année, ses activités de recherche clinique augmentent de 10 à 15 %.

Cet objectif d'amélioration des performances dans le domaine des essais cliniques s'applique également aux examens des patients.

Une start-up a développé un outil facilitant l'examen d'échographies cardiaques grâce à l'intelligence artificielle. L'entreprise a reçu cette année son marquage CE. En 2023, la start-up lancera sa première recherche clinique prospective dans le cadre du programme européen de soutien à l'innovation, et ces logiciels d'IA seront exploitables par d'autres spécialités hospitalières, comme la radiologie.

Le GNL et les énergies renouvelables

La Lituanie est le premier pays en Europe à avoir coupé l'arrivée du pétrole et du gaz russe. L'Histoire a appris aux Lituaniens à être prudents vis-à-vis de la Russie, et donc à se méfier d'une trop grande dépendance. Elle avait donc mis en place une très importante unité flottante de regazéification, ancrée, depuis 2014, à 18 km de la côte.

Il y a donc un intérêt réel de leur part à tisser des liens technologiques avec les entités françaises, expertes dans ce domaine. Actuellement, ce terminal possède une capacité de 3,75 milliards de m3. Selon les scénarios envisagés, celle-ci pourrait être portée à 5 milliards voire 6,25 milliards de m3. Des échanges fructueux avec les opérateurs des terminaux portuaires français sont donc à prévoir.

En Lituanie, 27 % de l'énergie provient du renouvelable : le solaire et la biomasse notamment. L'éolien devient une priorité, et Vilnius prévoit de nombreux projets, en particulier un grand parc éolien en mer Baltique. L'objectif de ce parc est de produire environ 25 % de l'électricité nécessaire aujourd'hui au pays. Nous retrouvons donc également dans ce domaine une convergence stratégique avec les priorités françaises d'établir plusieurs grands parcs éoliens off-shore d'ici 2030.

300 millions d'euros d'investissement

Toutes les créations de start-up et de licornes lituaniennes sont aussi le fruit d'une politique volontariste, accompagnée d'incitations fiscales fortes. Depuis le 1er janvier 2021, les entreprises qui investissent plus de 20 millions d'euros (30 millions d'euros à Vilnius) en dépenses d'investissement et créent plus de 150 (200 à Vilnius) emplois à temps plein, bénéficient d'un impôt sur les sociétés au taux de 0 % pendant les vingt premières années.

Le nombre de start-up créées dépasse le millier. L'année dernière, les investissements dirigés vers ces entreprises ont battu des records avec plus de 300 millions d'euros. La France est actuellement le 11e partenaire de la Lituanie pour le commerce et l'investissement. Il y a un large espace pour faire croitre nos échanges. Les deux parties doivent saisir toutes les opportunités.

Ce n'est pas donc une coïncidence que pour sa première visite officielle en France, la cheffe du gouvernement lituanien Ingrida Šimonytė participe à un forum-économique franco-lituanien organisé par le Medef le 11 octobre, où Bruno Le Maire est également attendu.

Pour les grandes entreprises technologiques françaises, et les ETI agiles, de nombreuses opportunités existent, qu'il s'agisse de partenariats informels, de joint-ventures ou de prises de participation dans des start-up. C'est aussi le moment pour les institutions financières, et les fonds de venture capital, de regarder vers la Baltique.

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(*) Gérard Vespierre, diplômé  de l'ISC Paris, Maîtrise de gestion, DEA de Finances, Dauphine PSL, fondateur du média web : www.le-monde-decrypte.com

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