La starification des start-up suffira-t-elle ?

Start-up c'est bien, mais entreprise c'est mieux. C'est la durée de l'aventure qui va permettre à la jeune pousse de devenir une véritable entreprise et de générer durablement les richesses nécessaires à son développement et à celui de notre pays. Par Patrick Bertrand, directeur général du groupe Cegid.
Patrick Bertrand, directeur général du groupe Cegid

Il n'est pas de jour sans que les médias, commentateurs, politiques, organisations professionnelles, et bien d'autres encore, utilisent le mot «start-up», nouveau sésame de modernité et de jeunesse. Mieux encore, si le mot start-up est accolé à objets connectés, big data, impression 3D, intelligence artificielle, que sais-je encore, il confère à son auteur l'apparence du visionnaire et du traducteur avisé de notre nouveau monde. Qu'en est-il vraiment ? Les start-up sont-elles une vraie chance pour la France confrontée à l'ardente obligation de se transformer, ou un simple effet de mode nous donnant l'illusion que notre beau pays va reconquérir des places dans le classement mondial des pays qui comptent sur le plan économique et de l'innovation ?

Il est une réalité qui constitue un tournant majeur dans le rapport de nos concitoyens à l'entreprise. C'est un fait, et un bien : ce formidable foisonnement de start-up et de réussites entrepreneuriales récentes a fait redécouvrir aux Français l'entreprise et son rôle essentiel dans le développement économique et social de la nation. Plus profondément, ils ont compris que le créateur d'entreprise était un «héros», ce personnage exemplaire de la mythologie humaine dont les hauts faits valent qu'on chante sa geste. Point d'aspirations religieuses ou morales dans l'aventure entrepreneuriale, mais bien celle d'oeuvrer pour le bien de soi-même et, directement ou indirectement, pour le bien de la communauté.

L'échec enfin accepté, germe de la réussite

Dans un pays comme la France caractérisé par un tissu économique composé de chefs de file mondiaux, malheureusement souvent diabolisés, et de PME majoritairement issues de métiers traditionnels ou peu technologiques, le triptyque «technologies, jeunesse, réussites rapides» a restauré la compréhension de l'aventure entrepreneuriale et redonné le goût à nos élites universitaires de tenter l'aventure, plutôt que de suivre des chemins tout tracés.

Pas seulement d'ailleurs nos élites, mais aussi l'ensemble de nos concitoyens qui ont soif de reprendre le contrôle de leur vie dans une société banalisée et angoissante pour ceux et celles qui sont à la recherche d'un emploi, notamment les jeunes des quartiers, dont un certain nombre d'entre eux (elles) sont entré (e) s avec passion dans l'aventure entrepreneuriale.

Cette dynamique a aussi entraîné avec elle de nouvelles façons de travailler, de développer l'innovation, et de favoriser l'échange : innovation ouverte, logique de travail entre grands groupes et start-up, lean management, méthodes agiles... des bouleversements profonds dans l'organisation du travail qui constituent une vraie révolution, rendue nécessaire par l'indispensable capacité d'adaptation rapide que requiert notre nouveau monde numérisé, en mouvement perpétuel.

Plus encore, et peut-être même bouleversement majeur, la compréhension de l'aventure entrepreneuriale a enfin permis que l'acceptation de l'échec entre progressivement dans les moeurs de notre société. Elle porte en germe ce facteur décisif dans la réussite d'une vie entrepreneuriale, et de la vie en général, celui d'apprendre de ses échecs, de comprendre comment rebondir, et de considérer qu'il constitue un atout pour celui ou celle qui l'a affronté. Cette dynamique est irréversible et constitue une des évolutions sociétales majeures de ces dernières années.

Pour autant, cette starification des start-up, et ses effets bénéfiques, ne doit pas occulter le véritable bilan économique direct de ce foisonnement et les réalités d'une aventure entrepreneuriale réussie. Start-up c'est bien, mais entreprise c'est mieux. Le raccourci de la formule a pour objectif de rappeler qu'il n'est pas d'entreprise sans création d'entreprise, une tautologie, mais que c'est la durée de l'aventure qui va permettre à la jeune pousse de devenir une véritable entreprise et de générer durablement les richesses nécessaires à son développement et à celui de notre pays.

Nous avons besoin d'entrepreneurs qui ne se considèrent pas comme de simples créateurs d'entreprise, dont le seul objectif serait de revendre rapidement la «bonne idée». Un entrepreneur, c'est un aventurier au long cours qui va affronter les obstacles de la rencontre avec le marché, du développement commercial sur son territoire et à l'international, de la course à l'innovation, de la guerre des talents et des contraintes de financement d'un développement rapide et pérenne. Tout cela en maintenant la culture d'entreprise qui a fait le succès d'origine.

Le «serial entrepreneur» n'est pas la panacée

Il n'est, d'ailleurs, pas anodin que soit apparu ces dernières années le nouveau mot « serial entrepreneur» - en réalité «serial créateur d'entreprises» -, qualificatif dont beaucoup se parent et qui donne une image peu propice à la compréhension de ce qu'est une véritable aventure entrepreneuriale. Peu nombreux, en effet, sont ceux et celles qui ont eu l'incroyable talent de développer, parfois dans des domaines très différents, plusieurs entreprises ayant acquis une position durable et reconnue sur leur marché. Ces parcours exemplaires magnifient, bien sûr, la démarche entrepreneuriale, mais ils sont rares.

Le salut viendra donc de notre capacité à développer un climat et un environnement propices à l'évolution de nos start-up vers le statut de PME, mais aussi au développement de notre remarquable tissu de PME, pour qu'elles grandissent et deviennent des ETI dont le nombre fait cruellement défaut à l'équilibre économique de la France. Soutenir et accompagner tous ces héros inconnus que sont les entrepreneurs et dirigeants de PME des secteurs traditionnels, souvent BtoB, est essentiel.

Le développement de notre économie, et sa compétitivité, reposera sur leur capacité à transformer leurs entreprises pour les adapter à ce nouvel environnement numérisé, qui peut tout autant constituer une formidable opportunité qu'une grave menace pour leurs modèles économiques. La valeur d'exemplarité des start-up devenues des moyennes et grandes entreprises constitue un bon accélérateur de cette transformation indispensable et décisive en termes d'effet économique. Le message général et médiatique autour de l'entreprise, moteur du développement économique et social, devrait faire une plus large part à cet enjeu majeur.

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