Les pièges de l'identité numérique peuvent-ils être évités ?

OPINION. Tout comme le passeport papier s'est imposé comme une norme internationale, l'identité numérique sera la norme mondiale de demain. Elle devra être éthique et au bénéfice des citoyens. Par Eric Salobir, président du comité exécutif de la Human Technology Foundation, et Constance de Leusse, Directrice exécutive du Project Liberty Institute à Sciences-Po.
(Crédits : DR)

Qui êtes-vous ? Êtes-vous bien la personne que vous prétendez être ? Dans un monde où chacun est amené à interagir en permanence avec des individus qu'il ne connaît pas, pouvoir fournir une preuve certifiée de son identité est devenu un besoin quotidien.

A mesure que les services publics comme privés deviennent digitaux, des outils numériques apparaissent pour gérer les processus de vérification et authentifier les demandes. Des pans de plus en plus essentiels de nos vies sont dématérialisés et le besoin est devenu global. Le monopole des états quant à l'identification des citoyens est profondément remis en cause par ce double mouvement de numérisation et d'internationalisation. De grandes entreprises proposent en effet des solutions simples et ergonomiques massivement utilisées, et on s'identifie beaucoup plus souvent via ces procédés qu'en montrant passeport

Qui doit détenir les clés de mon identité numérique ?

Cette situation pose une question pressante : qui doit détenir les clefs de mon identité ? L'Etat dont je suis citoyen ? L'entreprise dont je suis client ? Un tiers de confiance ? Au fond, comment assurer une gouvernance de ces processus de vérification de l'identité en phase avec les intérêts de chacun ?

Les nouvelles technologies constituant ce qu'on appelle communément le Web 3 - un internet où le contrôle des données personnelles n'est plus entre les mains des grandes plateformes - offrent des opportunités, encore à l'étude, comme le DSNP (Decentralized Social Networking Protocol). Mais ces technologies avancées sont encore complexes à mettre en œuvre et aucun standard international n'existe. Il est donc urgent de définir les bonnes pratiques. 

Les acteurs publics et privés sont sur le point de prendre des décisions majeures, et certains sont déjà très avancés. L'Inde a lancé l'opération d'identification numérique la plus vaste au monde, Aadhaar, incluant des photographies de l'iris et du visage, des empreintes digitales, le nom, le sexe, la date et le lieu de naissance. 

Les bénéfices sont évidents, dans un pays où beaucoup de citoyens n'étaient pas enregistrés à l'état civil et donc privés de droits, mais les risques le sont aussi : comment sécuriser des données personnelles à l'échelle d'un État ? Comment se prémunir d'un fichage mal intentionné et de ses potentielles conséquences sur les droits humains ? En France, Docaposte (groupe La Poste) a choisi une option différente en développant un système de vérification d'âge protégeant les mineurs en ligne tout en respectant l'anonymat des internautes.

Respecter les valeurs démocratiques et les droits humains

Ces deux exemples montrent que les solutions doivent être adaptées au contexte afin de répondre au mieux aux besoins locaux. On voit cependant se dégager quelques principes généraux : on peut citer le droit à la portabilité des données, qui permet de circuler librement d'un environnement à l'autre, et la « minimisation de la donnée », qui consiste à pouvoir choisir au cas par cas les informations que l'on souhaite partager ou pas. Il faut maintenant traduire ces principes de façon concrète pour qu'ils soient applicables et vérifiables, afin que l'identité numérique soit réellement fondée sur le respect des valeurs démocratiques et des droits humains.

Le Règlement des données adopté par le Conseil de l'UE le 27 novembre est un pas en avant. Des instituts et des fondations spécialisées animent cette réflexion, et des chercheurs travaillent de manière méthodique et exhaustive sur les principales études de cas d'adoption de l'identité numérique. L'ambition est de distiller les leçons apprises et de développer un cadre d'innovation définissant les bonnes pratiques pour la conception et la mise en œuvre de ces systèmes dans les secteurs public et privé.

Ces recherches peuvent servir de base factuelle, non biaisée. Les acteurs impliqués, États, concepteurs, entreprises de tech, législateurs et représentants des citoyens doivent s'associer à ce travail.

Débattre de la forme que cela prendra, des mécanismes de mise en place, et des technologies utilisées est urgent, car c'est écrit : tout comme le passeport papier s'est imposé comme une norme internationale, l'identité numérique sera la norme mondiale de demain. Elle devra être éthique et au bénéfice des citoyens. Le chantier est immense et essentiel.

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Commentaires 3
à écrit le 20/12/2023 à 14:39
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L'identité n'est rien sans le pouvoir de nier votre existence et de s'accaparer de votre "travail' ! Surtout que l'on augmente les données, bien inutiles, pour que vous en soyez dépendant ! ;-)

à écrit le 20/12/2023 à 9:25
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Que dire... sinon que la situation est grave. Il est récurrent de constater que nos administrations, nos politiques ont toujours plusieurs trains de retard sur la technologie informatique. Le désastre est déjà là. Notre identité ! déjà malmenée en ve...

à écrit le 20/12/2023 à 8:34
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"Qui doit détenir les clés de mon identité numérique ?" Une question en effet primordiale puisque avec le papier nous étions les seuls à les détenir ces informations maintenant cela doit passer obligatoirement par un intermédiaire qui aura des intérê...

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