Les relations public-privé, clé de la réussite des smart cities

Si les villes sont historiquement organisées en silo, la smart city est par nature transversale, reposant sur une interconnexion des fonctions urbaines et une coordination des acteurs. Ce qui peut justifier des contrats plus globaux avec des opérateurs privés. Par Carine Staropoli, économiste, enseignant-chercheur (PSE, Université Paris I et Chaire EPPP (IAE Paris)) Benoît Thirion, consultant, associé chez Altermind. (*)
En matière de mobilité, une trentaine de villes, dont Versailles ou Lille, ont conclu des partenariats avec Waze (photo) pour favoriser l'échange de données et améliorer le fonctionnement de l'application et la gestion du trafic
En matière de mobilité, une trentaine de villes, dont Versailles ou Lille, ont conclu des partenariats avec Waze (photo) pour favoriser l'échange de données et améliorer le fonctionnement de l'application et la gestion du trafic (Crédits : Reuters)

Le monde de la smart city, expression consacrée pour désigner la transformation numérique des territoires, est en ébullition permanente et suscite un fort engouement. Les innovations urbaines se multiplient dans tous les domaines (télécoms, mobilité, énergie, bâtiments, gestion des déchets, santé, sécurité...) et les villes françaises sont de plus en plus nombreuses à figurer dans les différents classements des smart cities. Les perspectives sont prometteuses pour les citoyens qui attendent une plus grande qualité de vie en ville, pour les collectivités qui cherchent à faire des économies (9,2 milliards d'euros d'ici 2025 pour la France, selon une étude du cabinet Roland Berger) et pour les entreprises françaises qui découvrent un nouveau marché potentiel (1.100 milliards d'euros en 2025, selon la même étude).

Au milieu du gué

Cependant, si la dynamique est indéniable, la réalité incite à une certaine prudence : les smart cities sont en réalité au milieu du gué et il est temps de changer de braquet. Cela passe par un renouvellement des relations entre les acteurs publics et privés. A l'heure actuelle, les projets « intelligents » ne sont souvent que des expérimentations limitées à un bâtiment, un quartier, un service. Ces vitrines sont certes nécessaires pour commencer, et suffisantes pour figurer dans les classements, mais sans impact sur l'expérience urbaine des habitants. Par ailleurs, dans un monde où la donnée devient essentielle, les rapports de force entre acteurs publics et privés évoluent : la transformation numérique pourrait bien échapper aux collectivités si elles perdent la capacité à mettre en place ou à réguler les nouveaux services basés sur les données.

Dès lors, une réflexion sur les outils que doivent mobiliser les collectivités dans leur relation avec les acteurs privés pour accélérer et maîtriser la transformation numérique s'impose, en évitant certains écueils et en promouvant les bonnes pratiques.

Aller au-delà d'un effet vitrine

Il faut d'abord donner à l'expérimentation sa juste place : celle d'un essai avant généralisation et industrialisation, justifié par des motifs technologiques, juridiques ou économiques. Au-delà d'un effet vitrine, un recours abusif à l'expérimentation, sans visibilité pour les acteurs qui y participent, est contre-productif. C'est pourquoi les expérimentations doivent s'inscrire dans une véritable stratégie, qui anticipe les conditions du déploiement, et faire l'objet d'évaluations socio-économiques rigoureuses, systématiques et adaptées au caractère innovant des projets.

Pour réaliser les projets « intelligents », de nouvelles formes de partenariat doivent être mises en place. Alors que les villes sont historiquement organisées en silo, la smart city est par nature transversale : elle repose sur une interconnexion des fonctions urbaines et une coordination des acteurs. Cela peut justifier des contrats plus globaux avec des opérateurs privés, intégrant l'infrastructure nécessaire à la gestion des données et l'exploitation de différents services, comme l'a récemment fait la métropole de Dijon avec son poste de pilotage connecté des équipements de l'espace public.

Sociétés à capitaux mixtes

Mais ce type de contrat ne doit pas être vu comme un renoncement de la collectivité : il suppose au contraire une forte implication dans la relation contractuelle, avec des objectifs de performance, des dispositifs de contrôles et de sanctions ; une maîtrise de la donnée produite ou collectée dans le cadre du service, essentielle pour garder le contrôle du pilotage du territoire et garantir la protection des citoyens en tant que tiers de confiance ; et une interopérabilité et une réversibilité des choix technologiques. Pour satisfaire ces exigences, les sociétés à capitaux mixtes peuvent constituer une voie intéressante. Il est par ailleurs possible d'imaginer des partenariats élargis à tous les acteurs d'un territoire, y compris les usagers. De tels partenariats existent, sous la forme de démonstrateurs, pour le pilotage énergétique de territoires.

En dehors des services relevant de leur responsabilité, les collectivités publiques sont légitimes pour orienter, par la régulation, le comportement des nouveaux acteurs numériques, qui offrent directement à l'usager final des services liés à des plateformes numériques et des applications. Mais elles doivent veiller à ne pas dissuader les initiatives privées, voire chercher à inciter les initiatives complémentaires. Elles doivent mobiliser à bon escient les outils à leur disposition, par la norme (licences, organisation de l'espace public) ou le contrat. Les enjeux de la smart city conduisent à valoriser des formes de régulation plus souples et incitatives, enclenchant des cercles vertueux. Ainsi, en matière de mobilité, une trentaine de villes, dont Versailles ou Lille, ont conclu des partenariats avec Waze pour favoriser l'échange de données et améliorer le fonctionnement de l'application et la gestion du trafic, tandis que d'autres intègrent des services de covoiturage (comme dans le Vexin) ou de VTC (comme à Nice) en complément des transports publics.

La transformation numérique des territoires offre aujourd'hui des perspectives réelles d'améliorer la qualité de vie, de répondre aux situations d'encombrements, de gaspillages et de nuisances environnementales. Mais les élus et les entreprises doivent apprendre de nouvelles manières de s'entendre pour que la révolution numérique s'inscrive dans le territoire au profit des habitants.

(*) Carine Staropoli et Benoît Thirion sont les auteurs d'une note « Smart city : quelles relations public-privé pour rendre la ville plus intelligente ? » pour la Fondation Terra Nova

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Commentaire 1
à écrit le 18/10/2018 à 9:13
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