Les restaurants peuvent-ils vraiment snober la livraison ?

OPINION. Il n'y aura probablement pas de retour en arrière quant à l'importance prise par la livraison à domicile dans la restauration. Mais les questions autour de la viabilité du modèle économique sont nombreuses. L'ensemble des acteurs de la filière va devoir continuer à s'adapter à cette évolution rapide des modes de consommation, tout en faisant au mieux pour ne pas perdre la qualité et le rapport humain de vue. Par Simon Battaglia, directeur général Europe d'Otter
(Crédits : DR)

La crise du Covid a installé durablement la livraison dans le paysage de la restauration. Les experts de la filière estiment qu'aujourd'hui environ 30 % des consommateurs de restauration hors domicile l'utilisent. Sur les quelques 180 000 restaurants recensés en France, 45 000 ont recours à la livraison via une plateforme, tandis qu'entre 5 et 10 000 gèrent encore la livraison « à l'ancienne », par téléphone ou par un système de livreurs.

Cette irruption de la livraison dans les modes opératoires de la restauration a d'abord été perçue comme positive : permettant à de nombreux points de vente de maintenir leurs activités durant les périodes de fermetures et offrant à la restauration un nouveau champ de développement, à la fois en termes de clientèle et d'offre commerciale.  Puis, certaines contraintes sont apparues, principalement liées à la façon dont les restaurants intègrent la livraison dans leurs activités quotidiennes et à leurs relations commerciales avec les grandes plateformes. Or, le poids de ces agrégateurs s'est très sensiblement accru ces dernières années pour atteindre aujourd'hui plus de 80% du marché de la livraison de repas contre environ 60% en 2019. Le marché est essentiellement concentré entre les mains des deux plus importantes, Uber Eats et Deliveroo. La majeure partie de leur chiffre d'affaires provient des grandes chaînes nationales ou internationales de restauration rapide (fast food / fast good) : 20 % des enseignes réalisent 80 % du chiffre d'affaires de la livraison.

Aujourd'hui, des questions se posent quant à la viabilité économique à long terme de cette construction. Les investisseurs, qui ont permis aux plateformes de se développer rapidement, demandent des preuves concrètes de rentabilité, donc de générer davantage de profits, et non pas seulement de montrer des signes de croissance du chiffre d'affaires.

Quels sont les leviers dont disposent ces grandes plateformes ?

Il en existe deux catégories : l'augmentation de leurs revenus (commissions, publicité) et la baisse de leurs coûts de fonctionnement (investissements promotionnels ou technologiques, rémunération des livreurs...). De leur côté, les restaurateurs sont dans l'obligation de préserver leurs marges. Afin de contrebalancer les coûts de fonctionnement des plateformes ou de l'inflation, les restaurateurs et enseignes n'hésitent pas à augmenter fortement les prix. Pris en étau se retrouvent les consommateurs, qui voient les prix s'envoler, détournant naturellement une partie d'entre eux du recours à la livraison, totalement, ou avec une fréquence largement diminuée.

C'est pourquoi on constate aujourd'hui une stagnation du chiffre d'affaires en livraison de la restauration et une volonté de certaines grandes enseignes de restauration de ne plus développer ce canal. L'augmentation trop importante du chiffre d'affaires en livraison a un impact négatif sur la rentabilité globale du restaurant. Au premier rang des "déçus" se trouvent notamment les franchisés pour lesquels le modèle de la livraison ne génère que peu de marge tout en ayant le sentiment de perdre le contrôle de leurs clients. Certaines enseignes tentent même de développer leur propre canal de livraison, via des services de logistique du dernier kilomètre, tout en continuant d'assurer le service minimum avec les grandes plateformes.

Celles-ci recherchent des relais de croissance ailleurs et notamment auprès de la grande distribution, comme le montre l'accord entre Uber Eats et Carrefour pour la livraison à domicile de 3 500 produits du quotidien.  La livraison de courses d'épicerie pointe aujourd'hui dans le top 10 des produits les plus livrés, alors qu'elles étaient inexistantes en 2019.

Il ne faut pas laisser s'installer un désamour entre les plateformes et les restaurateurs qui provoquerait une baisse de la qualité des prestations. La livraison restera un acteur clé de la restauration, s'agissant notamment des nouvelles chaînes digital native (Pokawa, Cala, G LA DALLE, New School Tacos, Nabab Kebab...), qui mettent le digital au cœur de leur process, ou de l'émergence des réseaux ou des marques virtuelles (Clone, Geezy, Peckwater Brands...). Dans sa transition vers les logiques de l'e-commerce, la restauration a devant elle une énorme marge de progression, qu'il s'agisse de générer du volume sur les plateformes, d'optimiser l'utilisation de la data, d'automatiser les tâches opérationnelles de base afin préserver ses marges, et d'améliorer la rentabilité de leurs opérations en livraison à domicile;

Les solutions existent pour inscrire la livraison dans des modèles économiques durables de la restauration.

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