Les services publics sont le ciment de notre pacte républicain

OPINION. La République s'est imposée en France par une triple action de l'État à la fois dans les services offerts aux citoyens, dans la structuration de l'espace rural et urbain et dans l'imaginaire collectif. Aujourd'hui, il faut proposer un nouveau projet qui ne se réduit pas uniquement qu'à des choix économiques. Par Denis Thuriot, maire de Nevers, président de Nevers Agglomération, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté et administrateur de Villes de France, et Charles-Antoyne Hurstel, consultant au sein d'une institution financière internationale, spécialiste mobilité, infrastructure et secteur public.
(Crédits : Reuters)

« Toute civilisation s'adosse à une religion. » Cette phrase d'André Malraux est à la mode ! A en juger par les dernières prises de position de Philippe de Villers ou de Sonia Mabrouk, le sacré serait à l'avenir indispensable pour récréer un lien indéfectible entre la République et ses citoyens.

Tentant en effet, mais semble condamné à l'échec. Il va sans dire que depuis Malraux, la France a bien changé. De Gaulle qui disait encore : « La République est laïque mais la France est catholique » serait étonné de voir à quelle vitesse les Français ont oublié leurs églises. Si tant est qu'il faille le souhaiter, ce n'est pas demain que la France redeviendra chrétienne. C'est pourtant dès demain que nos responsables politiques doivent donner une réponse à ses citoyens.

Regarder avec bienveillance notre passé

Le premier pas est de regarder avec bienveillance notre passé. A la suite de l'abdication de Napoléon III, les fondateurs de la IIIe République cherchent à définitivement ancrer le régime dans le pays. Pour cela, ils organisent une République symbolique ; la Marseillaise devient l'hymne national en 1879, « Liberté, Égalité, Fraternité » apparait sur les frontons de toutes les institutions publiques en 1880 et la République construit (pour la seule et dernière fois) des palais magnifiques.

Un dernier apport semble primordial, l'école. Gratuite et obligatoire à partir de 1882, un des plus solides piliers de la République, elle cimente la Nation autour de valeurs communes. C'est le service public de l'éducation qui sera au cœur de la reconstruction.

C'est donc par une triple action de l'État à la fois dans les services offerts aux citoyens, dans la structuration de l'espace rural et urbain et dans l'imaginaire collectif que la République réussit à s'imposer.

150 ans plus tard, la République doit proposer un nouveau projet à ses citoyens, et celui-ci ne peut être exclusivement économique. En 2015, l'Amérique connaît une croissance importante mais vote Trump quelques mois plus tard, en 2018, le taux de chômage en France est au plus bas depuis 2009 et pourtant le mouvement des gilets jaunes prend une ampleur exceptionnelle. La baisse du pouvoir d'achat est assurément problématique mais la France vit aussi une crise politique, dont l'opposition à la réforme des retraites est seulement une illustration.

L'urbanisation n'est pas le seul problème

A Saint-Denis, l'État a construit des barres d'immeubles dont le peu d'horizon cache l'espoir. A Paris, des immeubles splendides mais inaccessibles car inabordables. A Albi, Forbach ou Mende, un centre-ville sans aucun commerce ou service. C'est donc une absence de perspective, un sentiment de déclassement et une impression d'abandon que les Français ressentent aujourd'hui.

Et l'urbanisation n'est malheureusement pas le seul problème. Depuis trop longtemps, l'État n'a eu de cesse, pour des raisons économiques, d'éloigner les services publics des usagers (5.300 bureaux de poste aujourd'hui contre plus de 9.000 en 2015, 40.000 km de lignes ferroviaires en 1938 contre 27.400 km, 18.000 écoles ont fermé depuis quarante ans, surtout en zone rurale, 305 tribunaux fermés depuis 2008). A force d'insister sur les devoirs des citoyens, l'État en a presque parfois oublié de fournir des droits.

Certes, la raison de la diminution de la qualité des services publics est justifiée par des contraintes budgétaires. Cette paupérisation a progressivement fait naître le sentiment d'une injustice : les impôts augmentent et pourtant la qualité des services publics diminue. Or, les contribuables ont de plus en plus le sentiment de ne payer que pour les autres. Résultat : le lien social se délite au profit de l'individualisme triomphant, le pacte républicain se fissure et les scores du « Rassemblement National » tutoient les cimes.

Délocaliser plusieurs ministères

Première étape symbolique pour répondre à ce déclin programmé : la délocalisation de plusieurs ministères au cœur des villes les plus marquées par la dévitalisation productive. L'économie à Lille, les Sports à Nice ou la Santé à Grenoble... Cela donnerait à ces lieux une attractivité nouvelle et serait de nature à déplacer des centres de décisions dans ces territoires.

Évidemment, à long terme, le redressement de nos services publics ne sera pas suffisant et il faudra réfléchir à une transformation plus profonde de notre pacte républicain (qui passera par ailleurs peut-être par le sacré). Les citoyens français ont une grande d'ambition, ils ont soif d'appartenir à nouveau à un même peuple. Espérons que le combat de Philippe Seguin, le meilleur ambassadeur du gaullisme social, soit enfin entendu : « La Nation est le résultat d'un accomplissement, le produit d'une mystérieuse métamorphose par laquelle un peuple devient davantage qu'une communauté solidaire, presque un corps et une âme ».

1882 et 2023 ne peuvent évidemment s'entendre de la même manière. L'école a cimenté le début de la République, les services publics cimenteront nos prochaines années. Les citoyens n'ont plus confiance en la République car elle n'offre plus grand chose à ses citoyens ; ni sacré, ni service ! Sans faire de la République une nouvelle religion, retrouver dans ses racines historiques ce souffle qui transcendent les minorités, sera la garantie d'une cohésion renforcée.

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Commentaires 4
à écrit le 21/04/2023 à 7:56
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Merci aux rédacteurs, voilà qui ouvre des perspectives prometteuses. Ne faudrait il pas que les Régions donnent l'exemple ? Certaines directions pourraient être délocalisées sans autre problème que la résistance des employés. Idem pour les établissem...

à écrit le 20/04/2023 à 11:30
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Délocaliser oui, la santé à Renne où i l y a déjà l'école de la sante , la justice à Bordeaux où est située l'école de la magistrature à Toulouse les transports en raison d'airbus , la culture à Lille , l'agriculture à Clermont Ferrand et à Paris , l...

à écrit le 19/04/2023 à 20:47
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Joindre sacré et religition est une erreur. Les religions n'ont été inventées que pour "guider"/encadrer/berner(?) les "croyants". Les USA ont poussé à l'extrême; on marque "in God we trust", mais on pratique la religion du dollar (non sacré per se)....

à écrit le 19/04/2023 à 18:59
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Le Service Public est tout ce qui va a le rescousse d'une "politique de l'offre", ce qui n'est pas rentable...mais indispensable... jusqu'au "Restaurant du Cœur" ! ;-)

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