Porte-avions chinois  : la France est-elle toujours dans le coup  ?

OPINION. La mise en service d'un deuxième porte-avion chinois s'inscrit dans la volonté de Pékin d'imposer sa domination en mer de Chine au détriment des autres pays de la région, dont la France, notamment avec la zone économique exclusive de la Nouvelle-Calédonie. Pour peser Paris doit disposer d'un nouveau porte-avion qui dépendra de la décision d'Emmanuel Macron de valider dans le courant de l'année le plan de succession du Charles de Gaulle, et du nombre d'unité à construire. Par Noé Hirsch, analyste dans le secteur de la Défense et fondateur fondé d'East is Red, une newsletter professionnelle sur la Chine.
Le premier porte-avions chinois. Depuis Pékin en a lancé un deuxième, le Shandong.
Le premier porte-avions chinois. Depuis Pékin en a lancé un deuxième, le Shandong. (Crédits : Reuters)

Le 17 décembre dernier, la livraison d'un second porte-avion, baptisé Shandong, à la marine chinoise, le premier de fabrication entièrement nationale, marquait un nouvelle avancée dans la volonté chinoise de développer une marine capable d'asseoir sa suprématie régionale en étendant sa capacité de projection en haute mer.

Si sa mise en service a fait grand bruit dans la presse chinoise, le nouveau porte-avion, équipé d'un simple STOBAR (dispositif permettant de faire décoller les aéronefs grâce à un tremplin), fait pâle figure face à son concurrent le Charles de Gaulle (équipé d'une catapulte - dite CATOBAR, qui fonctionne à vapeur), sans parler de l'USS Gerald R. Ford (le CVN-78), le nouveau porte-avion américain livré en 2017 et dont le premier déploiement est prévu pour cette année. Ce dernier est doté d'une toute nouvelle catapulte électromagnétique (EMALS), qui permet de projeter à moindre coût énergétique à une fréquence plus importante. Le Gerald R. Ford vient par ailleurs d'entamer une série de tests à la mer dans l'objectif de certifier la compatibilité du pont d'envol aux différents aéronefs, du drone à l'avion de chasse, qui seront amenés à opérer à partir de sa catapulte.

La Chine réalise des progrès technologiques

Face à la montée en puissance américaine, que vaut la réponse de Pékin ? De conception inférieure aux standards de cette nouvelle décennie, le nouveau porte-avion chinois ne sera opérationnel qu'une fois doté d'un groupe aérien : cette ultime phase ne sera achevée, selon les estimations, qu'entre 2022 et 2023.

Ainsi, en l'état, l'entrée en service du Shandong n'est pas en mesure de renverser la donne régionale. Ce n'est qu'une étape. En 2011, le gouvernement chinois allouait 70 millions d'euros à la recherche de catapultage électromagnétique. Un certain nombre d'instituts de recherche chinois annonçaient dès 2015 progresser sur le développement de technologies permettant d'obtenir un système EMALS, que certains observateurs le placent déjà sur le futur porte-avion chinois, en construction depuis au moins 2017 (chantier naval de Jiangnan Changxin, près de Shanghai), et probablement mis à flot courant 2022. Que ces spéculations se vérifient ou non, elles illustrent néanmoins la volonté chinoise de construire une flotte capable de rivaliser avec la marine américaine et ses alliés dans la région. Une ambition par ailleurs largement servie par une propagande intensive à la gloire de la marine sur le territoire, et l'exhumation d'événements historiques grossis, à l'instar de la fameuse expédition de l'amiral Zheng He au 16e siècle.

« Guerre inévitable »

Consciente, comme l'énonçait Sir Walter Raleigh, que la domination mondiale repose sur le commerce, que commande le contrôle des mers, la Chine cherche à protéger ses « routes de la soie maritimes », ainsi que l'approvisionnement en matière première du pays (80% du pétrole chinois importé transite par la mer, en particulier à travers le détroit de Malacca). Mais elle veut également imposer son contrôle sur la mer de Chine, une zone turbulente, peuplée d'îlots, de récifs et d'atolls que chevauchent les revendications de la plupart des acteurs de la région. Pékin, qui y convoite les ressources halieutiques et énergétiques, se montre insatiable : son tracé de revendication dit « en langue de buffle » y englobe sans partage la quasi-totalité des terres émergées, au préjudice des pays riverains (Japon, Vietnam, Philippines...). Cette intransigeance, qui vise également à sécuriser un espace pour les sous-marins lanceurs l'engins (SNLE) chinois, menace gravement la paix régionale au point que le Global Times, porte-parole de l'aile gauche du gouvernement de Pékin, n'hésitait pas à publier : « en mer de Chine, la guerre est inévitable ».

La France concernée ?

Les troubles en mer de Chine impactent déjà les zones économiques exclusives françaises, en particulier celle de Nouvelle-Calédonie, régulièrement pillée par les pêcheurs de diverses nationalités repoussés des zones contestées par la marine chinoise, voire par des « pêcheurs patriotiques » chinois (bateaux civils pratiquant des activités de pêche illégales et/ou servant à repousser les garde-côtes en les assaillant en masse). Selon le capitaine de Corvette Axelle Letouzé, dans ce contexte, « si la ZEE calédonienne est déjà l'objet de leurs convoitises, il est probable que d'autres ZEE françaises, comme celles de la Réunion ou de la Polynésie, le deviennent également à terme ». Par ailleurs, l'absence de coopération internationale en mer de Chine empêche la mise en œuvre de cadre écologique, et les actions incontrôlées des pêcheurs mettent gravement en danger le récif corallien.

Mais la nécessité d'une présence militaire française crédible dans la région ne se réduit pas à la défense des ZEE nationales. La Chine viole le droit international de la mer par une politique du fait accompli et une militarisation des récifs contestés (quitte à les agrandir, au détriment de l'environnement) ; elle boycotte également les décisions de justice qui lui sont défavorables, comme celle de la Cour permanente d'arbitrage de La Haye de 2016 donnant raison aux Philippines sur la question de souveraineté des îles Paracels et Spratley. Enfin, sa flotte ambitionne d'inclure au moins 3 porte-avions supplémentaire dans les dix ans. Au regard des volontés d'expansion de Pékin, et de son manque d'égard vis-à-vis de la souveraineté des Etats et du droit international, il semble indispensable de disposer des outils de possibilité d'un rapport de force, à commencer par la question du porte-avion, premier moyen de projection de puissance.

Emmanuel Macron validera dans le courant de l'année le plan de succession du Charles de Gaulle, et se prononcera sur le nombre d'unité à construire. Il est presque certain que le(s) nouveau(x) porte-avions français seront eux aussi doté(s) d'EMALS, la question est donc : nous doterons-nous d'une disponibilité opérationnelle permanente en construisant deux porte-avions capables de se relayer dans l'année (un sistership) ? Où nous préparons-nous à entériner notre impuissance dans cette région du monde ?

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Commentaires 15
à écrit le 07/08/2020 à 19:01
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Mais pourquoi construire des portes avions géant alors qu'il possible d'avoir un porte avion capable d'avoir 40 aéronef avec 50000t de déplacement l'objectif est de disposer d'une capacité de projection d'aéronefs efficace et d'occuper le terrain. ...

à écrit le 12/02/2020 à 14:53
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L'économie française s'étiole depuis si longtemps qu'il va falloir prendre des mesures de remède de cheval pour ne pas éteindre la petite flamme qui vacille encore ! A extrême minima ce sont 500 000 fonctionnaires (avec du courage politique 1 000 000...

le 21/02/2020 à 21:11
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elle s'etiole bien EVIDEMENT au 21ème siecle car de nombreux gigantesques pays autrefois ateliers sont devenus de part leur population de grands pays producteurs supplantant ainsi bien logiquement une france avec ses 68 millions d'habitants!! arret...

le 22/02/2020 à 0:44
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@supersonix et sa France idyllique Mitterrand en a rajouté quelques couches . . . Non seulement la crise du pétrole mais aussi les ventes d'armes qui se sont "proprement" effondrées avec un recul de la 3ème place d'exportateur à la 9ème ! à cau...

à écrit le 07/02/2020 à 18:06
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Avec beaucoup de tolérance: 1/ Quelle est la distance entre la Chine et la nouvelle Calédonie? Il faudrait que la marine chinoise reconquière l'intégralité de l'ancien empire japonais en 1942 pour devenir une menace crédible pour la nouvelle Calédo...

à écrit le 07/02/2020 à 16:26
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Les deux nouveaux PA's Britanniques déplacent 65000 tonnes et sont équipés de tremplins et non de catapultes pour mettre en opération des F-35B Américains, comme avant des Harriers. La France a contribué à leur conception pour plus d'une centaine de ...

à écrit le 07/02/2020 à 14:22
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Ce sont des dépenses sur lesquelles on ne devrait pas chipoter, si l'on est plus capable d'aligner quelques milliards de plus pour deux porte-avions au lieu d'un, c'est quand même catastrophique... De plus il y aura les économies d'échelle, le deu...

à écrit le 07/02/2020 à 8:50
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Il y aurait une autre solution si nos dirigeants politiques n'étaient pas seulement des pions de la finance, ce serait d'envahir notre espace maritime d'éoliennes offshore. ET en plus on pourrait leur vendre de électricité ! Mais bon il est évide...

à écrit le 07/02/2020 à 5:39
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Un missile ou une torpille, voire une simple mine magnetique et le truc est au fond.

à écrit le 06/02/2020 à 21:07
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La vraie solution serait que notre union se dote de porte avions....mais hélas....afin de devenir un acteur mondial, cela passe par l'autonomie militaire. Si la France construit seule deux porte avions, un minimum, elle devrait exiger une aide europé...

le 06/02/2020 à 22:33
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D'autres bêtises à dire ?

le 07/02/2020 à 10:01
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ben voyons, pourquoi un polonais ou un roumain devrait payer pour qu ela france ait un second porte avion ? celui ci sera t il mit en oeuvre si poutine decide de donner une lecon au polonais comme en 1939 ? bien sur que non ! Et pourquoi les polon...

le 07/02/2020 à 10:45
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D'autres arguments à apporter ? ;)

à écrit le 06/02/2020 à 20:30
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Et pour terminer, quand on a une politique et une diplomatie a la mord moi me noeud, les porte coucou ça sert pas a grand chose.

à écrit le 06/02/2020 à 20:27
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Il en faudrait aussi un troisieme pour lutter contre les tapouilles du bresil et du surinam qui pechent en guyane et un quatrieme et cinquieme pour les kerguelen. Avec tout ce pib qu'on va faire a fabriquer des porte coucou, on va être riche.

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