Pour une société civile co-décisionnelle

OPINION. Quel rôle la société civile peut-elle jouer dans une économie post-Covid de plus en plus dirigée par l'État et le pouvoir administratif ? (*) Par Didier Destouches, politologue, historien des institutions et Maître de conférence à l'université des Antilles et Chercheur au CREDDI.
(Crédits : JDussueil)

L'évolution des processus de décision a depuis quelques décennies favorisé la nette domination du pouvoir administratif sous l'égide d'une influence technocratique européenne et au détriment du pouvoir politique des élus. Il en a résulté en France une franche hégémonie de l'exécutif (président et gouvernement) sur le pouvoir législatif (le parlement) ; et au niveau local une tutelle de plus en plus forte mais subtile des institutions représentantes de l'État sur les exécutifs des collectivités locales.

Ces mêmes élus locaux étant pris entre ce feu et celui du clientélisme d'une population toujours gourmande de redistributions de ressources sociales. Dans le même temps on a observé une émergence par des prises de paroles politiques aiguës et transversales d'acteurs de la société civile, c'est-à-dire des forces vives non publiques.

Qu'est-ce que la société civile ?

C'est au XVIIIe siècle qu'elle commence à être distinguée de ou opposée à la société politique. L'usage très large du terme a fait qu'il a été utilisé par des courants politiques et idéologiques différents. Chez Jean-Jacques Rousseau, le théoricien de la souveraineté populaire, le mot « société civile » désignait la communauté politique essentiellement par opposition au concept d'état de nature. À la fin du XIXe siècle, sous l'influence notamment du philosophe Locke et de l'idéologie libérale anglaise, le terme de société civile tend à évoluer et à désigner un ordre juridique informel garant des droits individuels et de la propriété privée, par opposition à l'État considéré comme oppresseur.

Par la suite la société civile se trouve ainsi définie par le professeur John Keane comme « un ensemble complexe et dynamique d'institutions non gouvernementales, protégées par la loi qui tendent à être non violentes, auto-organisées, autocontrôlées et qui sont en tension permanente chacune avec les autres et avec les institutions gouvernementales qui encadrent, restreignent et rendent capables leurs activités ».

Ce concept sera très utilisé par les penseurs progressistes américains mais surtout par les penseurs héritiers du marxisme pendant le XXe siècle qui en feront la force antagoniste de l'État libéral capitaliste. Une pétition, une grève, une manifestation peuvent être présentées comme des signes politiques et sociaux de l'existence de la société civile. Des mouvements comme Black Lives Matter ou Occupy Wall Street aux États-Unis, Geração à rasca, les indignés, Podemos en Europe, Nuit debout dans l'hexagone ou le LKP en Guadeloupe ont été des moments forts et récents de manifestation politique de la société civile.

En 2017, le candidat néo-libéral Emmanuel Macron réussit le tour de force d'enrôler et de convertir une armée de citoyens issus de la société civile et d'en faire la nouvelle majorité parlementaire (La République En Marche) mais aussi une partie du gouvernement. Mais ce renouvellement sur fond de dégagisme de la classe politique a aussi nourri les dynamiques électorales et organiques de la nouvelle gauche : France Insoumise et Place Publique.

En France, la société civile regroupe sur le plan institutionnel, les organisations syndicales et patronales (les «partenaires sociaux»), les organisations non gouvernementales, les associations professionnelles, les collectifs d'usagers, les intellectuels, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, les communautés religieuses. Elle est représentée dans diverses institutions dans un rôle non décisionnel, en particulier dans le CESER (conseil économique et social de la Région).

Le cas du chaos libanais

Si quelques observateurs dont je fais partie théorisent et plaident sans relâche pour une plus grande participation politique (électorale et a-électorale) de la société civile, c'est parce qu'elle est de fait la seule force sociale véritablement motrice dans des contextes de pénurie d'infrastructures, de paupérisation, de crises ou de catastrophes naturelles. On le voit dans le chaos libanais actuel dans lequel la société civile ne peut que prendre les choses en main pour subvenir aux premiers besoins (eau, alimentation, électricité, etc.) face à l'incommensurable faillite de l'État. C'est aussi dans l'intelligence collective des organisations professionnelles, dans les collectifs de citoyens que des solutions alternatives et innovantes peuvent émerger et nourrir les décisions des élus mais aussi des décideurs publics et semi-publics.

À l'inverse du Liban, il ne faut pas attendre qu'il soit trop tard et que notre pays ne soit ravagé par une certaine classe politique de plus en plus impuissante qui confond développement et redistribution, progrès et confort matériel, soutien démocratique et clientélisme. Il ne s'agit pas d'enrôler mais de faire participer la société civile directement aux décisions politiques, dans un esprit d'approfondissement de la démocratie locale.

La société civile doit quant à elle s'organiser et s'impliquer toujours plus. En particulier dans la mise à disposition de son expertise, mais aussi dans l'orientation d'une plus grande formation économique de la jeunesse. Ce serait alors une vraie voie d'émergence de responsabilité démocratique, par l'action collective et en toute lucidité dans le contexte de crise actuel.

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Commentaires 3
à écrit le 01/09/2020 à 19:26
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Quand on veut nous faire croire que nous sommes de plus en plus dirigée par l'État et le pouvoir administratif c'est vouloir nous cacher quel sont les véritables maîtres qui se cachent derrière: Les traités signés pour une "union européenne" que son...

à écrit le 01/09/2020 à 16:16
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La société civile? vous voulez dire les amis de l'économie de macron hollande sarkozy et consort!? Car ce concept existe dans les pays anglo saxons, et ne sont pas simplement les amis hauts fonctionnaires dans les boites privées. Car dire actue...

à écrit le 01/09/2020 à 11:02
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Le peuple kurde, le plus évolué au monde, à savoir celui qui a botté les fesses de l'EI, de part le fait qu'il évolue sur plusieurs pays à la fois a opté pour une auto gestion avec quelle incroyable efficacité, liberté de culte, égalité hommes femmes...

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