Protéger les libertés et l'esprit d'entreprendre

OPINION. Consultés, les Français considèrent que les libertés ont reculé depuis 10 ans, notamment en matière de droit de propriété et de liberté d'expression. Les futurs projets sur la régulation d'Internet risquent d'accentuer le phénomène en privilégiant l'autorité administrative au détriment de l'autorité judiciaire. Par Laurence Daziano, maître de conférences en économie, membre du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique.
Laurence Daziano.

Dans un sondage réalisé par l'IFOP et publié par l'Opinion, 64% des Français se déclarent inquiets sur l'état des libertés en France et considèrent même qu'elles ont reculées depuis dix ans. Parmi les dirigeants d'entreprise, ils sont même 78% à le penser.

Ce sentiment sur l'état des libertés reflète la relation paradoxale historique entre les Français et le libéralisme. La France est à la fois la patrie d'Alexis de Tocqueville et de François Bastiat, deux grandes figures libérales régulièrement citées aux Etats-Unis et en économie, et le pays de la gauche « marxiste » qui n'a toujours pas réalisé son Bad Godesberg. La question s'avère être aussi, au-delà des libertés, la place de l'Etat dans la société et l'économie.

Les deux principales libertés que les Français considèrent comme menacées sont le droit de propriété et la liberté d'expression. En effet, la mise à mal des libertés dans notre pays s'est accélérée sous l'effet des attentats de la dernière décennie, qui ont justifié à raison des mesures spécifiques, puis de la crise du Covid qui s'est traduite par de nombreuses restrictions, parfois au-delà du nécessaire.

Durcissement progressif de l'espace numérique

Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, qui est présenté cette semaine au conseil des ministres et doit être examiné en juillet prochain au Parlement, présente de réelles avancées, notamment en matière de protection de l'enfance. Cependant, le projet de loi s'inscrit aussi dans un durcissement progressif de l'espace numérique sous le contrôle a priori de l'administration au détriment de l'intervention du juge judiciaire. Or le juge judiciaire est en principe le seul pouvoir compétent en matière de restriction des libertés. L'article 66 de la Constitution dispose que « l'autorité judiciaire est la gardienne des libertés individuelles ».

Pour des objectifs incontestablement louables, comme prévenir l'accès des mineurs aux sites pornographiques, lutter contre les contenus pédopornographiques ou encore contre les arnaques, ce projet de loi foisonne d'obligations de blocages de sites. Elles peuvent être ordonnées aux fournisseurs d'accès, aux moteurs de recherche, aux navigateurs, aux résolveurs de noms de domaine, directement par des autorités administratives indépendantes, comme l'ARCOM, ou par les autorités de police.

Mais ce texte trouve ses limites dans des énoncés vagues comme « protéger les citoyens contre les vecteurs de propagande étrangère en ligne manifestement destinés à la désinformation et à l'ingérence » ou quand le pouvoir de blocage est attribué à des administrations qui seront désignées par décret. Et l'inquiétude gagne quand l'obligation de blocage concerne jusqu'aux résolveurs de noms de domaine qui permettent justement de transmettre les informations, usant des mêmes options que les régimes autoritaires qui bloquent facilement les accès à internet.

La protection des libertés est le résultat de l'équilibre entre les contrôles exercés par le juge administratif sur les actes de l'administration et l'intervention du juge judiciaire. Mais l'augmentation permanente des pouvoirs a priori de l'administration, dans un pays où les autorités administratives s'accumulent et où les délais de jugement s'allongent, sont les causes profondes d'un sentiment de recul du libéralisme et de la protection des libertés fondamentales.

L'Etat devrait s'attaquer au sentiment « d'insécurité juridique » en faisant davantage confiance à l'intervention du juge, administratif ou judiciaire, et en lui donnant enfin tous les moyens d'exercer sa mission et de rendre des jugements dans des délais raisonnables. Cela bénéficierait grandement à la liberté d'entreprendre et à la prospérité économique française, en redonnant à chaque individu le juste équilibre entre liberté et responsabilité.

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Commentaire 1
à écrit le 09/05/2023 à 17:08
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Seul ceux qui on les moyens et appuis financiers peuvent se permettre cette liberté mais pas pour longtemps ! ;-)

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