Œnotourisme : en Alsace, des initiatives locales pour animer le vignoble

SÉRIE D'ÉTÉ – GRAND EST. (4/4). De l'Alsace à la Champagne, à la recherche d'un nouveau tourisme. La crise de surproduction subie depuis plusieurs années par le vignoble alsacien incite les instances de promotion à travailler à plus petite échelle avec les vignerons. Mais la valeur ajoutée d'une telle stratégie, à moyen terme, est incertaine.
Un bar éphémère dans le vignoble à Ottrott, dans le Bas-Rhin.
Un bar éphémère dans le vignoble à Ottrott, dans le Bas-Rhin. (Crédits : Olivier Mirguet)

170 kilomètres entre la plaine et le piémont vosgien, 120 villages traversés, des caves ouvertes chez les vignerons et des restaurants à foison. En Alsace, l'œnotourisme se pratique depuis 1953 sur la route des vins, l'une des plus anciennes de France après la Bourgogne. L'inauguration, il y a soixante-sept ans, a donné lieu à un rallye automobile. Deux groupes partis de Marlenheim, au nord, et de Thann, au sud, s'étaient retrouvés à mi-chemin à hauteur de Colmar. La tradition a perduré, mais la pratique a fini par s'essouffler : clientèle vieillissante, concurrence d'autres vignobles, lassitude des riverains qui ont mis sur pied depuis 2013 des week-ends de "slow tourisme" à vélo. Durant deux journées début juin, la route des vins a été fermée.

En 2019, l'agence régionale du tourisme se réjouissait d'avoir obtenu un label "Atout France" pour la qualité de 370 acteurs œnotouristiques alsaciens : 86 caves, 89 hébergements, 65 restaurants et bars à vins, 41 activités, 27 sites patrimoniaux, 47 événements, 12 offices de tourisme et autant de structures réceptives. Cette massification ne répond que partiellement à l'organisation du vignoble : l'activité se développe à deux vitesses, partagée entre la production importante des coopératives et négociants et celle, plus confidentielle, des indépendants. Avec une production (1,028 million d'hectolitres en 2019) qui dépasse de 10 à 30 % ses capacités de commercialisation, le vignoble connaît depuis 2017 une crise qui se traduit par une violente chute des prix, notamment sur les vins vendus en vrac, y compris pour les coopérateurs qui se contentent de vendre leur raisin. L'image du vignoble en a souffert.

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Dégustation géosensorielle

Certains cherchent une issue de sortie. "Les deux tiers des vignerons travaillent les cépages, de manière très classique, selon des standards mis en place par l'industrie. Le produit est excellent mais il correspond à une culture de masse. Les autres s'accrochent à la notion de terroirs", analyse Philippe Blanck, vigneron dans son exploitation familiale de 24 hectares à Kientzheim. L'accueil des touristes s'effectue dans son caveau au centre de ce village fondé en 707, où la vigne est exploitée depuis le douzième siècle. La visite s'étale sur une demi-journée, au ralenti. "Les clients viennent pour apprendre à observer les paysages, comprendre la culture de la vigne, la géologie", explique Philippe Blanck, militant des pratiques de dégustations géosensorielles. "On a commencé les dégustations dans les années 1950 avec des mots liés aux textures, comme lisse ou rugueux, sans tenir compte du fonctionnement de notre cerveau. L'hémisphère gauche, celui de la connaissance, s'oppose à l'hémisphère droit qui commande le ressenti. La dégustation géosensorielle permet de découvrir le vin comme une expérience", précise-t-il. Au printemps, pendant le confinement, les ventes au caveau ont été à l'arrêt. Elles redémarrent lentement au fil des groupes de dégustation. "La force de la périphérie fait la force du mouvement. Les grands négociants sont au centre, nous sommes à la périphérie. Les ventes finiront bien par repartir", espère Philippe Blanck.

"Les clients viennent pour apprendre à observer les paysages, comprendre la culture de la vigne, la géologie", explique Philippe Blanck, vigneron à Kientzheim.

Pique-nique, apéritif et bar éphémère

La valeur ajoutée de cette forme de tourisme reste marginale, et incertaine. "Le vigneron alsacien a-t-il vraiment compris ce qu'est l'œnotourisme ?" s'interroge Catherine Schmitt, vice-présidente du Syndicat des vignerons indépendants d'Alsace (Synvira), l'organisation professionnelle qui fédère une partie du vignoble depuis 1971. "Nous militons pour une succession de petits événements et nous les organisons : un pique-nique chez le vigneron chaque lundi de Pentecôte, des apéritifs gourmands à l'Ascension et des opérations "vendangeur d'un jour", qui sont payantes", détaille Catherine Schmitt.

À Ottrott (Bas-Rhin), dans le domaine familial, la viticultrice s'est inspirée des pratiques que des confrères ont menées à bien en Allemagne ou en Autriche et elle a construit, pour la première fois cet été, un bar éphémère. Les cabanes sont posées en bordure d'une parcelle où elle cultive son pinot noir. "L'Alsace n'est pas un terroir où vont émerger des projets majeurs d'infrastructures, des complexes hôteliers ou des restaurants à très grande capacité, parce que les vignerons d'Alsace sont avant tout vignerons", insiste Catherine Schmitt. Le bar éphémère sert du vin et des jus de fruits artisanaux. Il est installé sur le bord d'une piste cyclable fréquentée essentiellement par des locaux. "Les gens du village redécouvrent notre domaine", s'amuse Adrien Andres, chargé de cette nouvelle activité dans le domaine familial.

Le Synvira veut multiplier ce type de micro-événement dans les vignes, mais s'estime bridé par la réglementation. "En France, on une licence de débit de boissons alcoolisées si la dégustation et la vente s'effectuent en dehors du caveau, a appris Catherine Schmitt. On nous impose quatre jours de formation facturés 750 euros, c'est scandaleux." Avant les vendanges, elle va tenter de faire plier la préfecture pour obtenir un régime dérogatoire chez les vignerons. "On ne fait pas cela pour gagner de l'argent. Le bilan est tout juste équilibré", reconnaît Adrien Andres. "Toutes ces initiatives, c'est de la micro-communication et cela finira bien par payer", veut croire Philippe Blanck.

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