Régionales : dans le Grand-Est, l'épineux dossier de la stratégie aéroportuaire

REGIONALES - Le Grand-Est compte quatre aéroports structurants à Vatry, Metz-Nancy, Strasbourg et Bâle-Mulhouse. La région peine à établir des synergies entre ces platesformes, menacées par les formes diverses de la concurrence des aéroports voisins.
Le retrait de HOP, compagnie régionale d'Air France, a lourdement pénalisé l'activité les aéroports du Grand-Est. A Strasbourg, Air France a été le principal opérateur jusqu'en 2018.
Le retrait de HOP, compagnie régionale d'Air France, a lourdement pénalisé l'activité les aéroports du Grand-Est. A Strasbourg, Air France a été le principal opérateur jusqu'en 2018. (Crédits : Olivier Mirguet)

La presse locale a titré, le 6 juin, sur le "tabou de la fermeture" de l'aéroport de Metz-Nancy-Lorraine. Provocation ? Pas tant que cela. Mal en point avant la crise sanitaire (263.000 passagers en 2019), cet aéroport régional trop proche de Luxembourg (4,4 millions de passagers en 2019) a failli subir le coup de grâce quand son trafic s'est effondré à 38.000 passagers en 2020. HOP, compagnie régionale d'Air France, a annoncé fin octobre l'arrêt définitif de ses lignes vers Nice et Lyon. "Metz-Nancy-Lorraine est notre aéroport régional qui a le plus souffert. Il a bénéficié de mesures de sauvegarde exceptionnelles. Si le Conseil régional n'avait pas tenu le budget des dépenses en 2020, cet aéroport n'existerait plus", reconnaît Christian Debeve, élu (UDI) en charge des aéroports dans le Grand-Est, et directeur de campagne du président sortant Jean Rottner.

La Région seule aux commandes

Le Conseil régional, qui assure l'exploitation de Metz-Nancy-Lorraine via un établissement public (EPIC) dont il est le seul actionnaire, s'est retrouvé aux commandes en 2011 après le désengagement des chambres de commerce et d'industrie et une tentative infructueuse de reprise par le groupe canadien SNC-Lavalin. Aujourd'hui, le Grand-Est ne veut plus être seul maître à bord. "Toutes les collectivités devront se mettre ensemble pour relancer l'activité", annonce Christian Debeve, comme un appel au co-financement lancé aux Messins et aux Nancéiens. "Nous n'y sommes pas indifférents parce que nous aurons besoin de certaines liaisons directes, notamment vers le hub de Lyon", a déjà acquiescé François Grosdidier, maire (LR) de Metz et président de la métropole messine, interrogé par La Tribune.

Le couperet n'est pas tombé sur Metz-Nancy-Lorraine mais 22 salariés de l'aéroport, sur un effectif de 80, ont dû être licenciés ou reclassés en 2020. Et la région aura d'autres batailles à mener. Selon les chiffres obtenus par La Tribune, le Conseil régional investira cette année 4,375 millions pour le fonctionnement et l'investissement, hors budgets additionnels, au profit des aéroports de Vatry, Metz-Nancy et Strasbourg. "Chacun de ces aéroports est un élément structurant de l'économie et de notre aménagement du territoire. Strasbourg possède une dimension politique à cause du Parlement européen. Vatry, dont l'activité fret est désormais dominante, est très proche de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Il y a un an, au pic de la crise sanitaire, un avion russe Antonov s'est même posé chez nous, chargé de masques sanitaires", observe Christian Debeve. En gestion directe par le conseil départemental de la Marne, Vatry bénéficie du soutien de la région (1 million d'euros prévus en budget de fonctionnement pour 2021). Les collectivités se sont réjouies de la baisse de leur contribution rendue possible par la croissance du segment cargo. Le projet du terminal 4 de Roissy-Charles-de-Gaulle, proche concurrent, a été abandonné et Vatry pourra profiter de l'explosion de la demande de fret aérien : son trafic cargo a continué de progresser début 2021 avec des vols réguliers vers l'Asie, le Moyen-Orient et des vols domestiques effectués au profit de Chronopost. Christian Parois, son directeur, a fixé l'objectif à 30.000 tonnes en 2021, contre 12.000 tonnes en 2020.

Bâle-Mulhouse abandonne son projet d'extension

L'Euroairport de Bâle-Mulhouse, qui dispose depuis 1949 d'un statut binational franco-suisse, a subi la crise de plein fouet. Son trafic passagers a reculé de 71 % en 2020, après l'année du record historique en 2019 à 9,1 millions de passagers. Il reste pourtant le mieux placé des aéroports dans le Grand-Est. Leader régional, mais excentré du point de vue géographique, il a établi son modèle sur la complémentarité des zones de chalandises française, suisse et allemande au cœur d'un bassin de vie de 6,5 millions d'habitants.

Parmi les quatre aéroports de la région, il est aussi celui dont la situation financière est la plus saine. Bénéficiaire avant la crise, sa trésorerie (plus de 50 millions d'euros) a permis de franchir le cap du Covid sans recours à des soutiens publics, hormis la prise en charge de l'activité partielle de ses salariés par l'Etat français. Mais Bâle-Mulhouse ne s'agrandira plus avant plusieurs années. "Nous annulons notre projet d'extension qui prévoyait un agrandissement du terminal passagers pour 250 millions d'euros", annonce Matthias Suhr, directeur de l'Euroairport. "Nous nous sommes approchés de la saturation avant la crise, mais nous n'y sommes plus du tout", reconnaît-il. Avec 6.000 emplois sur son site, la plate-forme aéroportuaire du sud-Alsace se distingue dans la logistique, l'aménagement des aéronefs et dans le fret aérien, tirée par l'industrie pharmaceutique bâloise. "Nous sommes restés dynamiques dans l'aviation générale avec 20.000 mouvements d'avions par an. Nous avons un problème d'espace, et pourrions en sortie de crise libérer une partie de nos hangars d'aviation générale au profit de Strasbourg", propose Matthias Suhr.

Strasbourg sauvé par l'Europe

Strasbourg, qui souffre au même titre que Metz-Nancy-Lorraine de sa proximité avec un aéroport dans le pays voisin à Baden-Baden, a été globalement à la peine depuis la mise en service du TGV-Est en 2007. Son trafic (1,3 million de passagers en 2019) a reculé de 60 % en 2020. Installé sur une ex-base aérienne dissoute en 1994, il fut concédé à la chambre de commerce avant d'être repris par une société d'exploitation qui rassemble l'Etat, la chambre de commerce et les collectivités territoriales. Pour amortir les effets négatifs de la concurrence avec Baden-Baden et l'Euroairport, soumis à des régimes de taxe différents, les collectivités locales ont accepté de lui verser chaque année 3 millions d'euros. Ce financement correspond à une réduction de 5 à 10 euros sur chaque billet passager. "Pour un opérateur low-cost, cette compensation apparaît comme un élément de compétitivité", souligne Renaud Paubelle, président du directoire.

La compagnie espagnole Volotea l'a bien compris : elle est devenue le premier opérateur à Strasbourg en 2019 avec 41 % du trafic, succédant à Air France qui avait transféré sur le rail sa ligne aérienne vers Roissy. Volotea a encore conforté son leadership en 2020. Strasbourg apparaît aussi comme un aéroport d'affaires avec 400 "accueils VIP" par an pour des chefs d'Etat ou d'autres dirigeants en visite dans les institutions européennes. Trois lignes européennes vers Munich, Madrid et Amsterdam sont subventionnées sous le régime des obligations de service public (OSP), au même titre que d'autres liaisons maritimes entre la Corse et le continent. Très proche des zones densément habitées au sud de l'agglomération, Entzheim pourrait offrir de nouvelles opportunités foncières à son aéroport. "Il existe encore une friche militaire, sur 30 à 40 hectares, dont nous pourrions profiter pour développer des activités économiques et renforcer nos recettes extra-aéronautiques", espère Renaud Paubelle.

Le 9 mai, lors de la signature du contrat triennal "Strasbourg Capitale européenne", Emmanuel Macron a promis aux élus locaux de réunir un groupe de travail sur le changement de statut de cet aéroport. Exploité selon des règles bi-nationales ou européennes à inventer, il pourrait échapper à certaines taxes et redevances et gagner en compétitivité face à Baden-Baden, aéroport de taille similaire situé à 60 kilomètres plus au nord. "J'aimerais qu'on renforce les liens entre Entzheim et Baden-Baden, qu'on imagine un aéroport avec une direction commune tout en maintenant les deux sites existants. Ce serait la seule solution pour éviter la disparition de l'un d'eux", a déjà proposé Frédéric Bierry, président de la Collectivité européenne d'Alsace, née le 1er janvier 2021 de la fusion des département du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Une étude non aboutie

Cette question des aéroports combine les problématiques du développement économique, de l'environnement et de l'aménagement du territoire. Curieusement, elle n'a pas fait l'objet de débats entre les candidats aux élections régionales. Interrogée par La Tribune, Rachel Thomas, candidate sur la liste menée par Brigitte Klinkert (majorité présidentielle), déplore l'absence de vision stratégique de la majorité sortante. "Nous avons voté une enveloppe de 200.000 euros pour réaliser une étude sur les aéroports. Cette étude n'a jamais été livrée", accuse-t-elle. L'étude incriminée a été confiée en 2019, sous forme de mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage, à la société de conseil Mensia. Elle a été interrompue par la crise sanitaire. "Aucune piste ni ébauche de piste de réflexion n'a été élaborée", attaque pourtant Rachel Thomas. "La crise sanitaire a mis tous les aéroports à terre, mais elle a aussi révélé des atouts", répond Christian Debeve. L'élaboration d'une stratégie aéroportuaire serait donc l'un des dossiers prioritaires pour les conseillers régionaux élus dans le Grand-Est le 27 juin.

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