Longtemps regardée avec méfiance par l'Education Nationale, l'approche pédagogique originale des écoles de production imaginée à la fin du 19ème siècle en Rhône Alpes par un centralien, l'abbé Boisard, retrouve du crédit depuis que la loi « Choisir son avenir professionnel » de 2018 les a reconnues. Pour rappel, les écoles de production sont des établissements d'enseignement technique basés sur l'apprentissage.
En mai dernier, la ministre de l'industrie, Agnès Pannier Runacher, vantait « cette troisième voie » et annonçait le déblocage de cinq millions d'euros, dans le cadre du plan de relance, dans l'intention de doubler leur nombre (aujourd'hui de 35) en deux ans.
La Normandie montre l'exemple. En quatre ans, cinq nouvelles écoles de production y ont été créées autour des métiers du bois, de la métallurgie, de l'usinage et du maraîchage. Elles ont rejoint celle centrée sur la restauration inaugurée six ans auparavant dans la banlieue rouennaise. A l'origine de cette accélération, la promesse de la Région de leur consacrer 1,5 million d'euros par an. « Le modèle nous a totalement séduit parce qu'il offre une alternative pédagogique à des jeunes en rupture avec l'enseignement académique et qu'il apporte une réponse pour des métiers en tension », justifie David Margueritte, vice-président en charge de la formation.
Le cocktail : un tiers de théorie, deux tiers de pratique
Reconnus par l'Etat, ces six établissements techniques privés accueillent chaque année des promotions de dix à vingt jeunes « décrocheurs » à qui sont proposées des formations diplômantes du CAP au BAC Pro. Particularité, les élèves consacrent les deux tiers de leur temps à honorer de « vraies » commandes pour de « vrais » clients. Dans celle d'Evreux, par exemple, ils se font la main sur un parc de machines professionnelles et dans un atelier auquel Schneider, Zalkin ou Collins Aerospace passent régulièrement commande « au prix du marché » insiste son directeur, Roger Harel. « L'avantage, c'est qu'ici l'usine se trouve dans les murs à côté des salles de cours », résume t-il.
Cette approche dite du « faire pour apprendre » parvient à sortir de l'ornière des adolescents déboussolés par l'enseignement traditionnel. « Se trouver face à des clients responsabilise ces jeunes qui ont eu des parcours scolaires compliqués. Il arrive souvent qu'ils soient recrutés par ceux pour qui ils ont travaillé », constate Michel Chourin, président de l'Union régionale des écoles de production. « Les clients sont généralement des sociétés qui ont des besoins de main d'œuvre », confirme le directeur de l'école de production du Cotentin (Valognes), Thomas Blin qui, elle, livre des pièces en acier, inox ou plastique à Orano ou Naval Group.
Des taux de réussite ébouriffants mais....
Quant au taux de réussite aux examens, il est proprement ébouriffant, de l'ordre de 95%. Les débouchés sont garantis, assure Michel Chourin. « Quand ils ne poursuivent pas leurs études, les diplômés ont au moins deux ou trois offres d'emploi à leur sortie ».
Reste un frein au développement des écoles de production, les difficultés à recruter des enseignants appelés ici « maîtres professionnels ». « C'est un écueil, concède David Margueritte. Ce sont des profils compliqués à trouver parce qu'ils doivent allier une bonne connaissance des métiers à une appétence pour la pédagogie ». Les établissements doivent aussi composer avec la méfiance persistante de certains responsables académiques. « On rencontre encore quelques résistances dans les CFA et les lycées professionnels qui redoutent qu'on ne leur siphonne leurs stagiaires alors que nous ne visons pas le même public », se désole Roger Harel.
Pas suffisant toutefois pour décourager les plus convaincus. En Normandie, deux autres projets sont à l'étude à Argentan et Vernon, preuve que le concept commence à faire école.
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