Maritime : Nantes va accueillir l’Institut français pour la décarbonation Meet 2050

INTERVIEW. À la traine en Europe, la France devrait se doter d’un Institut pour la décarbonation du transport maritime MEET 2050 dont le siège doit être officialisé à Nantes, au cours du mois de juin. Selon son développement, une antenne pourrait être implantée à Marseille. Objectif : accélérer la décarbonation du maritime responsable de 3% à 4% des émissions mondiales de CO2 par la mise en place d’un programme Navires et Ports Zéro Émissions. Pour Erwan Jacquin (1), co-fondateur et responsable du projet MEET 2050, cet Institut et ce programme doivent devenir le moteur de la coordination, de la planification et du financement d’actions indispensables pour accélérer la décarbonation de la filière et de la France.
La France devrait se doter d’un Institut pour la décarbonation du transport maritime MEET 2050 dont le siège doit être officialisé à Nantes.
La France devrait se doter d’un Institut pour la décarbonation du transport maritime MEET 2050 dont le siège doit être officialisé à Nantes. (Crédits : Nantes Métropole)

LA TRIBUNE - Vous allez officialiser la création de l'Institut français de la décarbonation MEET 2050 (Maritime Energy and Environnemental Transition), à Nantes, dans les prochains jours. Quelle est sa vocation ?

ERWAN JACQUIN - C'est d'abord une réponse aux acteurs, publics et privés de la filière qui ont exprimé leurs besoins dans le cadre d'une coalition (T2EM) portée par le Cluster Maritime français et depuis un an pour la constitution de ce centre d'expertise MEET2050. Sa vocation est de regrouper tous les acteurs de la chaîne de valeur du maritime (armateurs, ports, énergéticiens, chantiers, bureaux d'étude, équipementiers, classification, financeurs, chercheurs ...) et de collaborer à travers un programme que l'on a appelé le Programme Navires et Ports Zéro Émissions. Il contribuera ainsi à une partie de la déclinaison opérationnelle de la feuille de route élaborée par la filière du maritime et le gouvernement sous la direction du Cluster Maritime français et du Secrétariat d'Etat à la Mer (DGAMPA).

Pourquoi est-il important selon vous de mettre en place un tel programme ?

Dans le monde d'avant, il fallait une offre et une demande et des conditions de marché rentables pour qu'une solution émerge et se développe, peu importe le temps que cela prenait, peu importent les conséquences environnementales. Dans le monde d'aujourd'hui, où l'urgence est notamment d'atteindre des objectifs de baisse des émissions définis dans le temps, le marché seul n'y arrivera pas. Il est même un frein majeur : toute solution décarbonée coûte plus cher que la solution fossile disponible actuellement. Chaque solution nécessite donc un investissement significatif, avec un retour sur investissement parfois très long, en tout cas plus long que les temps politiques, financiers et industriels qui guident aujourd'hui les décisions. Il est donc essentiel de mettre en place un programme coordonné, planifié et financé, qui s'attaque aux leviers de décarbonation. Sans cela, il n'y a aucune chance d'atteindre les objectifs définis. Comme pour l'avion et la voiture zéro émission, il est essentiel que le maritime se dote d'un grand programme de décarbonation. Nous y sommes presque, même s'il reste encore quelques acteurs à convaincre.

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À quels leviers pensez-vous ?

Il existe aujourd'hui 3 grandes classes de leviers : réduire le contenu en CO2 de l'énergie utilisée à bord, améliorer l'efficacité et agir sur la sobriété en baissant la vitesse, ce qui aura un impact sur la souveraineté d'approvisionnement. Il faut donc trouver des solutions énergétiques et technologiques. Or, chaque solution présente des limites physiques ! Par exemple, on parle de e-carburants, produits à partir d'électricité renouvelable, comme l'e-hydrogène, l'e-ammoniac, l'e-méthane ou le e-méthanol. Si l'on devait convertir les 3.000 térawattheures (TWh) d'énergie fossile utilisés par la flotte mondiale en hydrogène, il faudrait, en raison des faibles rendements de la chaîne de production, produire entre 6.000 et 9.000 Twh d'électricité renouvelable. Cela correspondrait, uniquement pour le maritime, à 600 réacteurs nucléaires ou 4.000 champs éoliens comme celui de Saint Nazaire. Ça n'a pas de sens de miser uniquement sur ce levier, même s'il est essentiel. Dans un monde où l'énergie décarbonée sera moins abondante et plus chère que ce que l'on a connu, gagner des pourcents d'efficacité prend tout son sens. À titre d'exemple, le maritime peut compter sur la propulsion par le vent, énergie qui ne sera pas en conflit d'usage avec d'autres industries et permettra de réduire les besoins en énergie décarbonée du maritime. Au niveau national, on parle de 1 à 2 réacteurs nucléaires économisés en 2050, c'est loin d'être anodin !

Au-delà des changements climatiques, où se situe le caractère d'urgence ?

Au regard des enjeux environnementaux, de la transition énergétique, de la réglementation qui va viser la neutralité carbone en 2050 et de la souveraineté d'approvisionnement de la France et de l'Europe, il est urgent que l'Etat soutienne la transition du maritime. Cette urgence vient des enjeux, mais aussi de la durée de vie des navires qui est en moyenne de vingt-cinq ans. Cela veut dire que pour atteindre les objectifs, il faut mettre à l'eau des navires neutres en carbone dès 2025 ou qui puissent être modifiés en conséquence dans cette période ! Le challenge est énorme et les coûts pour y parvenir très élevés, estimés à près de 3.000 milliards de dollars d'ici à 2050 par plusieurs organismes spécialisés.

 Où sera basé l'institut Meet2050 ?

Les locaux de MEET2050 seront basés à Nantes certainement au Brick, un bâtiment, mis en place par la métropole nantaise, qui accueille des entreprises engagées dans la décarbonation du maritime comme déjà Airseas ou Wisamo. Une antenne devrait aussi être créée rapidement à Marseille idéalement dans le Centre Tangram de l'armateur CMA CGM, dédié à la formation et à l'innovation dans le transport et la logistique durable. MEET2050 reposera à la fois sur une équipe d'experts mis à disposition de ses partenaires, et sur un travail à distance qu'il faudra animer avec une équipe dédiée. Aujourd'hui, déjà une centaine d'acteurs soutient la démarche.

Ce genre de centres d'expertises existent déjà depuis plusieurs années au Danemark, en Norvège, en Grande Bretagne, à Singapour... Que va apporter l'institut de décarbonation français Meet 2050 ?

Comme les autres pays maritimes, la France doit disposer de son centre d'expertise pour se forger sa propre perception et vision. Et ce centre doit pouvoir collaborer avec ses homologues étrangers. Mais il ne faut pas être naïfs. Ces centres ont pour objectif de favoriser les intérêts de leurs membres et de leurs pays. Leur capacité d'influence est énorme. En produisant du savoir et dans une dynamique collective, ils sont en mesure de favoriser le développement et le test de solutions technologiques, ils sont en mesure de développer des référentiels et normes qui s'appliqueront à tous, et ils sont en mesure, par leurs productions et leur présence dans différentes instances, d'influencer les réglementations futures. La France, si elle veut peser, être audible, proposer et faire partager sa vision, ou encore préserver ses intérêts, doit être au même niveau que ses homologues étrangers. Sur chaque maillon de la chaîne de valeur, la France compte des entreprises leaders au niveau international ; des armateurs de premier rang, des chantiers et bureaux d'étude très technologiques, des leaders sur les navires les plus complexes du monde, civils et militaires, une société de classification reconnue à l'international, des équipementiers innovants... Le vrai problème n'est donc pas la capacité des acteurs français pris individuellement, mais la capacité à porter une vision commune, à collaborer et se faire confiance.

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L'institut dans sa phase de création a déjà contribué à lancer deux projets « Vent frais » et « Cap 2050 », de quoi s'agit-il ?

Ce sont deux des premiers projets du programme Navires et Ports Zéro Emissions portés par MEET2050 et ses partenaires. En cours d'étude de faisabilité, le programme Vent Frais, piloté par l'association Windship et l'IRT Jules verne à Nantes veut permettre de lever les freins et les verrous auxquels font face les acteurs de la propulsion par le vent. Mené sur 3 à 5 ans, ce programme cofinancé par le public et le privé regroupera l'ensemble des acteurs de la filière. Il vise à positionner la France, pas uniquement comme aujourd'hui en tant que leader sur la partie R&D de ces systèmes, mais bien comme le pays leader avec des capacités de production industrielle et un maximum de navires équipés dans le monde.

L'autre projet, Cap 2050, associe une vingtaine d'industriels, centres de recherche et académiques pour fiabiliser les données liées à la transition du maritime et développer un outil de modélisation de scénarios de décarbonation et d'aide à la décision pour les politiques publiques. C'est d'ailleurs la V1 de cet outil qui a été utilisé au profit de l'Etat et de la filière pour élaborer la feuille de route de décarbonation du maritime, et les arbitrages en cours au Secrétariat Général à la Planification Écologique. C'est donc un outil stratégique que l'équipe projet de MEET2050 a développé sur fonds propres, et que l'Institut pourra accélérer avec des moyens humains et financiers démultipliés.

Pensez-vous qu'il est encore possible d'atteindre les objectifs de décarbonation du maritime ?

Les objectifs seront atteints, car ils sont imposés par la réglementation, qui veille tout simplement à notre survie sur une terre qui se réchauffe encore plus vite que prévu dans les modèles. La question est de savoir si ce sera par la contrainte et dans la douleur ou dans l'anticipation et la collaboration. Personnellement et avec les partenaires de MEET2050, nous croyons fortement à la deuxième solution.

(1)   L'institut Meet 2050 est dirigé par Erwan Jacquin (responsable du projet Meet 2050), ingénieur chercheur Centrale Nantes, ex-dirigeant des startups HydrOcean et Nextflow et ex-directeur R&D de CMA CGM, Jean-François Sigrist, ingénieur-chercheur ENSTA, spécialiste en simulation et modélisation (responsable scientifique) et le juriste en droit international, Emmanuel-Marie Peton (responsable des partenariats).

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Commentaires 2
à écrit le 14/06/2023 à 9:02
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Encore un bidule pour recaser les copains qui va nous couter un bras. Ce qui manque à la France et pas que, ce sont des ingénieurs scientifiques visionnaires de type Elon Musk alors que nous débordons de spécialistes d'ONG qui sortent des sciences po...

à écrit le 13/06/2023 à 16:57
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Au contraire de ce qui est dit dans l'article le marché peut faire le job de la décarbonation sans créer des instituts pour la spoliation du contribuable, et des machins de planification pilotés par des gens incapables de gagner leur pain sur les mar...

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