Transport maritime : la filière vélique se structure à Nantes pour accélérer la décarbonation

C‘est une volonté régionale pour une ambition nationale. A l’initiative de l’Institut de Recherche Technologique Jules Verne et de l’association Wind Ship, trente-cinq acteurs de la propulsion vélique s’associent pour structurer et financer l’émergence d’une filière française. Une étude de faisabilité est lancée, pendant six mois à Nantes, pour détailler les enjeux et le programme à mettre en œuvre avec l’Etat dans le cadre du plan France 2030. Avec un double objectif : que l’accélération de la décarbonation du transport maritime profite, aussi, à la réindustrialisation du pays.
La filière vélique se réunira les 1er et 2 juin prochain à Saint-Nazaire pour la deuxième édition du rendez-vous international du transport maritime à la voile Wind for goods, où seront notamment présentés solutions concrètes et prototypes.  Construit et lancé en 2022, le Canopée de Zéphyr&Borée utilisé pour transporter le lanceur Ariane 6 depuis l’Europe continentale vers la Guyane française devrait y faire sa première apparition public.
La filière vélique se réunira les 1er et 2 juin prochain à Saint-Nazaire pour la deuxième édition du rendez-vous international du transport maritime à la voile Wind for goods, où seront notamment présentés solutions concrètes et prototypes. Construit et lancé en 2022, le Canopée de Zéphyr&Borée utilisé pour transporter le lanceur Ariane 6 depuis l’Europe continentale vers la Guyane française devrait y faire sa première apparition public. (Crédits : Zephyr & Borée)

Douze ans après les premières esquisses du bateau neoliner à voiles Neoline qui devrait être mis à l'eau en 2025, trente-cinq acteurs de la décarbonation maritime se sont mis autour de la table pour structurer une filière industrielle complète dédiée à la propulsion vélique. « Il y a douze ans, malgré un retour d'expérience de 5000 ans, on devait expliquer les vertus de la propulsion par le vent. Aujourd'hui, ce n'est plus à faire. Mais vu les enjeux climatiques et énergétiques, il faut aller beaucoup plus vite. Or, aucun armateur n'est capable de dire avec quelle propulsion son navire naviguera dans dix ans. Les outils dont disposent les institutions ne sont pas dimensionnés face aux défis du transport maritime », témoigne l'armateur Jean Zanuttini, président de Neoline, dont le projet a bénéficié de 50% de fonds propres apportés par des partenaires publics et d'une dette garantie par l'Etat. « Un aspect essentiel, sans quoi nous n'y serions pas arrivés », dit-il.

Une ingénierie financière complexe

Les financements seront un des nombreux enjeux de l'étude de faisabilité engagée à Nantes par l'Institut de Recherche Technologique (IRT) Jules Verne et l'association Wind Ship, actrice de la promotion de la propulsion par le vent. L'étude doit durer six mois et permettre de bâtir l'ossature et les contours d'une filière nationale. Avant tout, il s'agira de déterminer les modalités d'accompagnement de l'Etat. A travers le plan France 2030 ? Un guichet unique interministériel ? « L'ingénierie financière est compliquée, mais nous sommes pris par le temps », raisonne le directeur général de l'IRT Stéphane Cassereau qui, face à une concurrence grandissante en Europe du Nord et en Asie, cherche à trouver un deal avec l'Etat en rappelant que le « maritime est un secteur oublié du plan France 2030. » « Le vélique s'inscrit déjà dans le plan France 2030 dont l'un des objectifs est de décarboner les transports. C'est donc une brique prometteuse à approfondir qui correspond aussi à l'ambition du gouvernement de faire émerger des champions de demain », observe, confiant, Jean Rerolle, chef du service Economique à la Préfecture des Pays de la Loire. Selon le directeur général de l'IRT Jules Verne, ce programme nécessiterait un budget de 200 à 250 millions d'euros sur cinq ans, à partager entre ressources publiques et privées.

neoline

Imaginé il y a douze ans, le néoliner Neoline devrait être lancé en 2025.

Devenir un leader mondial

Outre le développement d'une filière industrielle française, ce projet vise, d'une part, à réduire les besoins énergétiques des navires de 5% à 20% en installant des systèmes de propulsion vélique, et jusqu'à 90% pour les nouveaux navires intégrant cette technologie; et d'autre part, à atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés par l'Organisation Maritime Internationale (OMI) et la Commission Européenne. Un chantier colossal. Que ce soit avec les gréements Solid Sail développés par les Chantiers de l'Atlantique, les voiles gonflables créées par Wisamo, spin-off de Michelin, les ailes de Kyte d'Airseas fondée par Airbus ou les données acquises par les équipementiers et les armateurs Neoline, Zéphyr & Borée, Ayro, Beyond the sea..., les Français, qui revendiquent 30% à 40% du marché du vélique dans le monde, ambitionnent de devenir leader mondial. « C'est le marché export qui est visé ! », rappelle Stéphane Cassereau. Le marché ? C'est plus de 60.000 grands navires qui transportent 95% de marchandises à travers les océans.

Des retours d'expérience à faire valoir

La réglementation maritime internationale impose de diminuer de 70% les émissions de chaque navire d'ici 2025 par rapport à 2008. L'Europe entend même que le secteur atteigne le Zéro émission à cette date. « Et remplacer 300 millions de tonnes d'énergie fossile par des carburants de synthèse imposerait des pertes économiques extrêmement importantes. Alors que le vent, lui, est gratuit, partout, renouvelable et inépuisable. La propulsion vélique libérant, de plus, de la place en soute pour les carburants alternatifs », défend Lise Detrimont, déléguée générale de l'association Wind Ship. Il n'est pas interdit de penser qu'à défaut d'une législation restrictive pour les navires, la mise en place de normes interdisent à certains d'entre-eux de fréquenter certaines zones... « La règlementation ne peut pas détruire l'économie, mais au regard de nos projets, elle peut être plus exigeante puisque l'on montre qu'il existe des solutions... Que ce soit chez les équipementiers ou chez les armateurs, nous avons des retours d'expériences à faire valoir. Mais il est temps de passer de l'artisanat au mode industriel », souligne Jean-Zanuttini.

La marche de l'industrialisation

C'est toute la difficulté d'un secteur, encore, embryonnaire, dont la majorité des entreprises est constituée de startups et de PME, dont 45% ont démarré leur activité il y a moins de 4 ans et 80% depuis moins de dix ans. A la croisée de l'aéronautique, de la navale, du numérique et de la course au large, la filière vélique compte, aujourd'hui, seulement 270 emplois. Elle estime pouvoir créer 3000 postes supplémentaires d'ici 2030 et 15.000 emplois indirects. A ce jour, seuls vingt-et-un grands navires sont rétrofités avec une propulsion vélique dont deux français armés par Louis Dreyfus armateur et Marfret Niolon. Selon les estimations, ce nombre pourrait atteindre 3.000 à 5.600 navires d'ici à la fin de la décennie. Selon Wind Ship, 1.260 navires seront équipés d'une propulsion vélique dans le monde à l'horizon 2030, soit un marché estimé à 3,17 milliards d'euros pour les équipements dont 80% sera réalisé à l'export. Les armateurs français auront en main vingt-huit unités propulsées par le vent dont dix auront été entièrement construites.

Ces transformations permettraient d'économiser entre 2,7 et 4,8 millions de CO2. Mis en perspective du système d'échange des quotas d'émissions et du moindre recours au carburant fossile, les économies pourraient atteindre 400 à 700 millions d'euros pour la seule année 2030. A condition que les équipementiers réussissent à réduire les temps et donc les coûts de production pour convaincre armateurs, chargeurs et investisseurs. « La marche, c'est vraiment l'industrialisation », conclut le directeur de l'IRT Jules Verne.

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