Athlétisme : « Je commence à réadapter mon niveau de vie » (Renaud Lavillenie)

ENTRETIEN - Le champion olympique 2012 de saut à la perche détaille la trajectoire financière de sa carrière. Et le modèle économique de sa discipline.
Solen Cherrier
Renaud Lavillenie
Renaud Lavillenie (Crédits : SEBASTIEN BOUE/PRESSE SPORTS)

Opéré mi-septembre d'une rupture à 90 % de son tendon ischio-jambier de la cuisse gauche, Renaud Lavillenie, 37 ans, sait que Paris 2024 est encore loin. Mais l'ancien recordman du monde de saut à la perche (6,16 mètres en 2014) entend bien en être. Faute de sauter, le voilà en promotion. Celle de son autobiographie, Je ne regrette (presque) rien (Solar, 320 pages, 20,90 euros), dans laquelle l'unique médaillé d'or français en athlétisme des six derniers Jeux parle de tout sans tabou. D'argent notamment.

L'économie de l'athlétisme en France est-elle trop précaire pour en vivre ?

Globalement, oui. Tu t'en sors quand tu es dans le top 20 mondial. Mais le dixième Français peut vite être en difficulté. La complexité, c'est que nos revenus dépendent de nos performances, qui t'apportent des gains et des partenaires. On n'a pas de marge quand on est blessé ou qu'on a une baisse de régime. Depuis quelque temps, la fédération a mis en place un contrat professionnel qui permet de bénéficier du statut de salarié. On est sur des sommes dérisoires comparé à d'autres sports [autour de 1 500 euros par mois], mais ce n'est pas négligeable. Moi, je n'avais pas ça à mes débuts.

Au début, la pratique coûte de l'argent ?

Pour un perchiste, les perches, c'est entre 500 et 1 000 euros l'unité, et il en faut entre cinq et dix pour être bien. C'est un investissement, souvent assumé par les clubs... Il faut ajouter les déplacements. Impossible en train, car on ne peut pas y mettre une perche. Pour l'avion, il y a un gabarit minimum d'appareil. On est donc beaucoup en voiture. En 2008, j'ai commencé à avoir des compétitions partout en France et à avaler les kilomètres avec ma Supercinq.

Quand vous êtes-vous dit « je vais en vivre » ?

Dans un premier temps, l'idée est surtout de « survivre de ta discipline ». Tu franchis une étape quand ton année ne t'a pas coûté d'argent. Mon premier gain en meeting, ça devait être à 18 ans : 30 euros. Je n'ai pas encadré le chèque, mais il y avait une petite fierté. Puis ça passe à 150, 200, 300, 500 euros, puis à quatre chiffres... En 2009, j'ai arrêté mes études car je venais de signer un gros contrat équipementier. Revenus multipliés par cinq. C'était assez pour vivre une année et même un peu plus. Je pouvais me concentrer à 100 % sur le sportif. Il y a eu des étapes, mais je me suis vite retrouvé à 100 000 euros annuels. Pas en salaire mais en chiffre d'affaires, car j'ai monté une société avec l'aide du comptable de mon père. Ça m'a permis de capitaliser et de lisser quand mes revenus ont baissé.

Vous écrivez avoir gagné assez pour tenir cinq ans une fois les perches remisées. Pas plus ?

Ma carrière ne peut pas me permettre de ne rien faire derrière. Beaucoup prennent le foot comme référence, mais certains gagnent plus en un an que moi en dix, on ne peut pas comparer. À côté de ça, on n'a pas de traitement de faveur. Ne serait-ce que la prime olympique : elle est imposée. L'État nous donne de l'argent qu'il récupère, c'est particulier. Concrètement, 45-50 % maximum de mon chiffre d'affaires va dans ma poche. Pour tenir une quarantaine d'années, il faut avoir les reins solides. Ou tout revendre.

Le plaisir que je me suis fait, c'est une Porsche. Mais j'ai mis trois ans et demi à me décider.

Parce que vous avez fait des investissements ?

Mon premier objectif était de pouvoir financer ma maison avant d'arrêter. Ma dernière échéance est tombée en 2021. À 35 ans. Une réussite personnelle. À côté de ça, j'ai pu faire deux ou trois placements. Aujourd'hui, mes revenus ont baissé, je vis sur mes économies et les contrats que j'ai encore. Je commence à réadapter mon niveau de vie et à prospecter pour l'après. J'ai encore un peu de patrimoine pour me projeter. J'ai aussi fait partie des meilleurs, donc j'ai gagné de belles sommes.

Jusqu'à 1,4 million d'euros en 2015...

Pour moi, c'était inimaginable, tout comme le niveau de performance que j'ai pu atteindre. Ma famille ne roulait pas sur l'or. Très vite, le sport m'a aidé à m'émanciper. Étudiant, j'étais boursier, ça me payait la chambre universitaire et les frais de restauration. Je complétais avec des gains, une petite aide de la Région... En quelques années, je me suis retrouvé à pouvoir me faire plaisir. Ça a été un gros changement dans ma vie.

Vous êtes-vous permis une folie ?

À une période, mon kif était d'être à la pointe de la technologie. Le nouvel iPhone sortait le 15 septembre ? Le 12, il était déjà précom-mandé. J'ai changé mon mode de consommation. Mon autre passion, c'est les sports mécaniques. J'ai six motos chez moi, des engins entre 5 000 et 15 000 euros que je peux revendre. Non, le plaisir que je me suis fait, c'est une Porsche. Mais ça n'a pas été un achat compulsif.

C'est-à-dire ?

Avant les Jeux de Londres, je m'étais dit que si je ramenais l'or, je pourrais m'offrir une Porsche d'occasion avec la prime de 50 000 euros. En fait, j'ai mis trois ans et demi à me décider. Je scrutais les annonces, j'en essayais, mais il y avait toujours un truc qui clochait. Un jour, en 2016, je me suis dit qu'il fallait passer le cap. Je suis allé chez le revendeur Porsche à Clermont juste avant les Mondiaux en salle à Portland. Il venait de rentrer une 911 cabriolet, un peu au-dessus de mon budget. Je l'ai essayée, je suis tombé amoureux. Je l'ai réservée pour mon retour. Malgré tout, je continuais à me dire « si je gagne, je ne réfléchis pas »... Bon, ça fait sept ans que je l'ai, elle a pris de la valeur et m'a surtout apporté beaucoup de plaisir.

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En fonction des performances, qu'est-ce qui fluctue le plus ?

Les gains en meeting restent sensiblement les mêmes : 10 000 euros, par exemple, pour une victoire sur le circuit de la Diamond League. Les primes d'image, en revanche... Au début, c'était 1 000 ou 2 000 euros. C'est monté jusqu'à 30 000 et ça redescend désormais. À moins d'avoir mis des bonus dedans, les contrats sponsoring ne sont pas directement impactés par la performance. Les contrats équipementiers, si. Moi, je n'ai fait que monter jusqu'en 2017. Ils ont bien baissé depuis [divisés par cinq], mais je n'ai pas eu à me plaindre. Enfin, les primes d'engagement varient de zéro à 50 000 euros pour un événement. Entre dix et vingt, tu commences à avoir un sacré palmarès. Au-dessus de vingt, tu fais partie des meilleurs de l'athlétisme en général.

Désormais, on vous demande de venir gratuitement ?

Oui. Alors on négocie ! Je suis de retour à un niveau d'engagement plus proche de celui de mes débuts. J'ai beaucoup diminué, Armand Duplantis [champion olympique et recordman du monde] est là et fait que je n'ai plus la même aura.

Solen Cherrier

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