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Zephalto emmènera des passagers aux portes de l’espace

Jules Vernes avait imaginé le survol de l’Afrique durant cinq semaines dans un ballon gonflé à l’hydrogène. Vincent Farret d’Astiès, fondateur de Zephalto et explorateur des temps modernes, promet une croisière spatiale dans la stratosphère, à bord d’un aéronef. Récit d’une aventure du new space qui n’est plus une utopie. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°5 Juin 2021)
Dans l’Hérault, Zephalto envisage d’ici 2024 d’emmener des voyageurs en croisière spatiale dans le ballon « Céleste » capable de voler à 25 km au-dessus de la Terre.
Dans l’Hérault, Zephalto envisage d’ici 2024 d’emmener des voyageurs en croisière spatiale dans le ballon « Céleste » capable de voler à 25 km au-dessus de la Terre. (Crédits : Zephalto)

« J'avais un rêve depuis 2012, celui de partir dans le ciel très haut, vers les étoiles, sans impact sur l'environnement, comme le fait un voilier sur l'océan... » Vincent Farret d'Astiès, fondateur de Zephalto, sera-t-il le prochain Elon Musk ou Jeff Bezos du new space (qui veulent respectivement envoyer des hommes sur la Lune avec SpaceX et dans l'espace suborbital avec la fusée New Shepard) ? Son rêve a commencé à prendre forme et le projet est sérieux. Avec Zephalto, Vincent Farret d'Astiès vise les étoiles, et plus exactement la stratosphère, deuxième couche de l'atmosphère terrestre située entre 12 et 60 km d'altitude, où il veut envoyer un aéronef... On est en plein dans le tourisme spatial et le rêve désormais moins inaccessible d'accéder aux portes de l'espace. L'ingénieur aéronautique de 41 ans, auparavant contrôleur aérien, est un amateur de vol en ballon et rêve désormais de croisières « propres » en très haute altitude. Après des années de recherche, il quitte l'aviation civile et crée Zephalto en 2016, dans la campagne héraultaise du Pouget. La promesse : une croisière spatiale en aéronef à 25 km d'altitude en 2024. « J'ai senti qu'il y avait un élan à avoir dans cette direction. Ça peut paraître audacieux, mais d'un point de vue technique, les voyants sont au vert », raconte-t-il aujourd'hui.

« Si l'Homme veut, l'Homme pourra »

Cet élan dont il parle n'est pas une vue fantasque de l'esprit. Au CNES (Centre national d'études spatiales), qui veut participer à l'émergence de nouvelles applications, de nouveaux marchés et de nouveaux acteurs français dans le domaine de l'exploration de l'espace, le tourisme spatial sous ballon stratosphérique n'est plus une utopie. « Il existe pas mal de technologies et si l'Homme veut, l'Homme pourra », assure ainsi Vincent Dubourg, sous-directeur Ballons au CNES, en précisant toutefois : « Jusqu'à quel niveau ça pourra se démocratiser, l'avenir le dira ». Thomas Fouquet, conseiller du directeur du CNES (innovation, applications & sciences), confirme : « Dans le monde, il existe beaucoup d'initiatives comme SpaceX, la fusée New Shepard ou Virgin Galactic (du milliardaire Richard Branson, qui ambitionne de vendre des vols suborbitaux au grand public, ndlr). C'est important de montrer qu'on a aussi, en France, des start-ups du new space, qui permettent de repousser plus loin les limites. Sur le vol stratosphérique, auquel nous croyons beaucoup, il y a un fort potentiel, avec notamment Zephalto ». Vincent Farret d'Astiès et ses équipes conçoivent des ballons qui s'élèvent grâce à leur gaz plus léger que l'air. Le projet a permis un saut technologique avec deux innovations. Les ballons de Zephalto sont ainsi dotés d'un régulateur d'altitude qui améliore la sécurité et permet de faire varier l'altitude du ballon de façon écologique : « Nous utilisons l'énergie solaire pour compresser de l'air dans le ballon et lui permettre de monter et descendre. Il gagne de la masse et perd de l'altitude et inversement, quand on relâche de l'air, il perd de la masse et gagne de l'altitude. Cela permet de stabiliser la trajectoire, de faire des paliers mais aussi de s'intégrer à la circulation aérienne, et en tant qu'ancien contrôleur aérien, j'y suis sensible ! », explique l'ingénieur. L'autre innovation, c'est une enveloppe réutilisable pour les vols suivants.

Ultraviolets puissants, températures extrêmes

Le CNES accompagne Zephalto comme l'indique Vincent Dubourg : « Nous sommes arrivés comme un passage normal dans sa recherche de retour d'expériences et de soutien. L'approche de Vincent Farret d'Astiès nous plaît car c'est une approche de projet technique, et pas seulement de business plan ». Il y a quatre ou cinq ans que le CNES - « leader mondial sur les ballons et la qualification d'instruments à travers l'envoi de ballons sous stratosphère », comme le rappelle Thomas Fouquet - s'est tourné vers le new space. « Mais cela fait 60 ans que le CNES fait des ballons qui vont dans la stratosphère, dont certains qui peuvent voler longtemps et porter des télescopes de plus d'une tonne jusqu'à 40 km d'altitude », observe Vincent Dubourg, mais souligne que « ce sont des ballons non habités, dédiés à la science et à la technologie. Le CNES est très ouvert à toute opportunité d'applications de ses technologies, mais ce n'est pas le CNES qui fera du tourisme spatial... » L'apport du CNES au projet Zephalto ? « Lui faire toucher du doigt les problématiques de la physique du vol de ces ballons dans la stratosphère, où les vents sont de plus en plus forts et changent de sens, où les rayonnements ultraviolets sont plus puissants, les températures extrêmes et la pression faible. Nous l'avons un peu accompagné également sur la modélisation informatique des vols mais il a su rapidement monter en compétences pour avoir une simulation la plus précise possible. Enfin, le CNES lui ouvre des portes et peut faciliter certaines relations » répond Vincent Dubourg. Zephalto a été sélectionné pour bénéficier du programme Connect by CNES, « qui propose un accompagnement technico-commercial, de la communication et l'opportunité d'être mis en réseau en vue d'une levée de fonds », précise Thomas Fouquet. Au travers du Space-ticket, le CNES filtre les projets et Bpifrance finance un premier round.

Une cabine pressurisée pour 2023

En bientôt cinq ans, Zephalto a conçu deux générations de prototypes, en 2018 et 2020, ce qui encourage Vincent Farret d'Astiès pour la suite : « Les deux ont volé, et on prépare la troisième, avec l'objectif d'un troisième vol courant 2021 pour monter au-dessus de 10 km. En août 2020, nous avons fait un vol d'essai entre Le Pouget et Sauviat dans le Puy-de-Dôme, avec deux personnes à bord (dont lui-même, ndlr). Le prototype Odyssée 8000 est capable d'aller jusqu'à 12 km d'altitude mais nous sommes restés en basse altitude, à 2,500 m maximum, et nous avons volé pendant trois heures et demie. » L'un des verrous technologiques que le projet Zephalto va devoir résoudre, c'est celui consistant à embarquer des hommes dans son aéronef pour les emmener entre 25 et 30 km d'altitude. « Il faut concevoir une cabine pressurisée où respirer normalement. Cela implique des développements, des tests et des certifications. Nous profiterons de l'expérience du CNES mais aussi de plusieurs industriels en France. L'objectif, c'est qu'elle soit prête en 2023 » explique Vincent Farret d'Astiès.

Tous ces développements requièrent évidemment beaucoup de financements. L'ingénieur prévoit de boucler une première levée de fonds au cours du second semestre 2021 (montant non communiqué), mais il indique qu'« il y a déjà beaucoup de business angels qui nous rejoignent, des particuliers passionnés par l'espace ou sensibles à l'impact écologique. Aujourd'hui, on compte plusieurs dizaines d'associés ». En attendant, et pour dégager des ressources, le dirigeant propose un step avant de dédier totalement Zephalto au tourisme spatial : les vols scientifiques habités « qui permettront de tester des balises, des appareils de mesures atmosphériques, des appareils de communication, des sous-ensembles de satellites, etc. ».

« Son côté explorateur »

Des prestations qui pourraient intéresser le CNES, des industriels ou encore l'Isae-Supaero de Toulouse, spécialiste de l'enseignement supérieur dans l'ingénierie aérospatiale. Stéphanie Lizy-Destrez, qui y est enseignant-chercheur en conception des systèmes spatiaux, responsable d'un groupe de recherche sur les systèmes spatiaux avancés, dit avoir été « contactée par un des anges-gardiens de Vincent » : « J'ai été touchée par son côté explorateur... Du point de vue scientifique et sociétal, son projet répond à des besoins qui ne sont pas couverts : des vols orbitaux scientifiques à des altitudes auxquelles on n'accède pas facilement, et des vols touristiques. Nous travaillons sur la télé-opération pour l'exploration de la Lune ou de Mars et nous nous intéressons au facteur humain et à ses performances, par exemple les impacts physiologiques à une altitude aussi élevée. C'est très différent d'une simulation au sol, que l'on peut interrompre facilement ». Zephalto pourrait d'ailleurs prochainement faire l'objet d'une thèse, en collaboration avec le CNES et Thalès.

Plus de 300 personnes candidates à un vol

Mais alors, une fois l'aéronef prêt, combien faudra-t-il débourser pour embarquer sur un vol stratosphérique ? « Le prix sera supérieur à 100 000 euros par passager, on s'adressera donc à des personnes très aisées, parfois nos investisseurs. Plus de 300 personnes sont candidates et se sont déjà préinscrites pour voler. Nous allons organiser des préventes. Cela restera une expérience de luxe et d'exception et nous cherchons à nous entourer d'experts de ce monde-là, notamment des agences de voyages qui connaissent cette clientèle. » répond Vincent Farret d'Astiès. Au CNES, Thomas Fouquet estime que « les vols sous stratosphère ouvrent des marchés importants. Zephalto, c'est réaliste. La seule barrière, ce sera de montrer aux capital-risqueurs qu'un retour sur investissement est possible ».

Mais Vincent Farret d'Astiès, le CNES et toute la galaxie de gens qui soutiennent Zephalto sont confiants. Bientôt, un ballon stratosphérique, déjà baptisé Céleste, s'envolera avec à son bord ses passagers, aventuriers-explorateurs de l'espace. Et rejoindra le silence et le noir absolus de la stratosphère, où contempler la courbure de la Terre, le soleil, les étoiles et un panorama de plus de 1 000 kilomètres d'étendue...

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°5 - VOYAGES, l'ailleurs n'est pas si loin - Juin 2021 - Découvrez la version papier

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Commentaire 1
à écrit le 20/11/2021 à 12:31
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Avec tous les débris qui se baladent dans l'espace est-ce bien raisonnable ?

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