Comment les algorithmes révolutionnent l’industrie culturelle

Netflix, Spotify, Deezer, Amazon ou le géant du jeu vidéo Steam ont bâti leur succès sur l'exploitation des données grâce à des algorithmes de plus en plus perfectionnés. Et ce n'est pas prêt de s'arrêter, comme le montre l'éclosion de pléthores de nouveaux services innovants.
Sylvain Rolland
L'utilisation des données dans les services culturels n'en est qu'à ses prémisses. Environnement immersif, prise en compte des émotions et du contexte devraient permettre l'éclosion de nombreux nouveaux services.

On connaissait déjà les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), les géants du net aux valorisations exorbitantes. Plus récemment, on a découvert les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber), qui désignent les nouveaux disrupteurs de l'économie de la donnée. Désormais, place aux ASNS (Amazon, Spotify, Netflix, Steam), un nouvel acronyme qui désigne spécifiquement les nouveaux champions de l'industrie culturelle.

Grâce à la toute-puissance de leurs algorithmes de prédiction et de recommandation basés sur l'exploitation des données personnelles, ces quatre entreprises sont les symboles des mutations que vivent actuellement plusieurs pans de l'industrie du divertissement: la librairie en ligne pour Amazon, l'écoute de la musique pour Spotify, la vidéo pour Netflix, et les jeux vidéo pour la plateforme Steam.

Avec, à la clé, une véritable révolution des usages et des parts de marché toujours plus importantes. Selon l'Idate, les contenus dématérialisés (en ligne et accessibles grâce au nuage informatique, le cloud) pèsent désormais 40% des revenus des industries créatives et culturelles. Cette proportion devrait même exploser à 80% en 2018.

Le secteur culturel pionnier dans l'utilisation des algorithmes

Quel est le secret de ces entreprises? Pour la CNIL, qui présentait ce mardi son troisième Cahier Innovation et Prospective consacré à la question, la réponse est simple: les données. Les algorithmes de prédiction et de recommandation, plus précisément. "La révolution numérique touche tous les secteurs, mais la culture a été le premier à vivre cette dématérialisation, ce qui en fait un laboratoire des nouvelles pratiques", explique Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL.

"Ces services séduisent car ils ne se contentent plus de vendre des produits mais de proposer des contenus adaptés aux goûts et aux habitudes de chacun", ajoute Geoffroy Delcroix, de la CNIL. En proposant des playlists adaptées à ce qu'on aime, aux goûts de nos amis et aux données récoltées par d'autres services, entre autres, Spotify et Deezer "tiennent la main" à l'utilisateur. Ce qui encourage sa fidélité voire sa conversion en abonné payant. Plus l'algorithme propose des morceaux pertinents, plus l'utilisateur utilise le service, qui devient presque indispensable une fois qu'il s'y est habitué. Dans la musique, les revenus du streaming font désormais jeu égal avec ceux des ventes "physiques", selon le Syndicat national de l'Edition phonographique (SNEP).

Ainsi, le succès de la dématérialisation des services culturels s'explique par le fait que les données améliorent le service en permanence. C'est pourquoi Netflix se vante que 75% des contenus visionnés par ses clients viennent d'une recommandation personnalisée de son algorithme. Et pour cause : si le client doit chercher lui-même son film dans le moteur de recherche interne, c'est que Netflix a failli à sa mission. Même constat dans le jeu vidéo. Pour l'heure, les données récoltées servent surtout à inciter à d'autres achats, mais aussi à adapter le jeu en fonction, par exemple, des difficultés rencontrées par les joueurs ou des niveaux qu'ils apprécient.

Les Français, bons petits soldats de la recommandation

L'efficacité des algorithmes n'est plus à prouver. Mieux: les Français les apprécient de plus en plus, en dépit de leurs craintes sur la dissémination de leurs données personnelles partout sur la Toile. Selon l'étude menée par la CNIL, 9 utilisateurs des services de streaming sur 10 considèrent que leurs données sont utilisées pour améliorer le service. Et 65% écoutent les recommandations de l'algorithme. "Cela veut dire que les Français sont de plus en plus conscients de l'économie de la donnée et qu'ils apprécient et intègrent ces services à leurs habitudes", explique Geoffroy Delcroix. Le taux monte à 68% parmi les utilisateurs de services de vidéo comme YouTube ou Netflix.

Cette adhésion encourage l'innovation. Deezer a récemment lancé Flow, qui créé des playlists personnalisées. Sur Spotify, l'outil "Premier" permet de gonfler l'égo des 10% de "précurseurs", ceux qui ont écouté un artiste devenu star avant tout le monde.

De nouveaux services voient même le jour en exploitant d'autres données pour enrichir l'expérience. C'est le cas du français Prizm. Cette startup a conçu un boîtier connecté qui se décrit comme "un cerveau pour les enceintes". Son algorithme combine des informations sur la présence d'autres personnes, le moment de la journée, de la semaine, et l'ambiance (calme, festive, soirée en amoureux) pour diffuser une playlist de manière automatique et complètement personnelle. L'objet, de la forme d'une pyramide, a fait sensation au CES 2015 et à l'IFA, le salon de l'électronique grand public de Berlin, début septembre.

Les "données d'usage" vont bouleverser le livre numérique

L'utilisation des données dans les services culturels n'en est qu'à ses prémisses, prédit la CNIL. Dans le livre numérique, les données indiquent à l'éditeur le temps passé à lire le livre, les passages les plus lus ou ceux qui ne sont pas appréciés... Ce qui permet à Amazon de repérer le potentiel de vente de certains ouvrages (si un livre peu promu est beaucoup lu ou suscite de fortes réactions, c'est qu'il pourrait devenir un best-seller avec un effort marketing, par exemple).

A l'avenir, l'exploitation plus intensive de ces "données d'usage" pourrait faire changer le livre numérique de dimension, croit la CNIL. Le service Nosy Crow, éditeur de livres jeunesse, a déjà un pied dans le livre de demain car ses livres créent de l'interaction avec les enfants. Autre évolution notable, la "socialisation" de l'expérience de lecture. Le service Glose, par exemple, permet l'annotation, l'archivage de citations et le partage de ces informations avec la communauté des lecteurs sur l'application.

Environnements immersifs, prise en compte des émotions

Les perspectives sont tout aussi impressionnantes dans la vidéo ou le jeu vidéo. Demain, l'essor des environnements immersifs (avec des casques qui captent l'activité cérébrale, notamment) et la personnalisation croissante des offres d'achats, pourront permettre aux éditeurs de jeux vidéo d'adapter leurs offres aux comportements de l'utilisateur. Et même à ses émotions, en temps réel, grâce aux capteurs corporels mesurant le stress ou le rythme cardiaque. Des données qui seront utilisées à la fois pour mieux vendre des produits (en proposant des services payants au moment le plus propice dans le jeu), mais aussi pour concevoir des jeux qui donnent toujours plus de sensations.

La recherche "d'hyperfidélisation" concerne aussi la vidéo. Netflix utilise déjà les goûts de ses utilisateurs pour concevoir des programmes originaux sur-mesure, censés plaire au plus grand nombre ou à une niche de spectateurs bien identifiée. A l'avenir, des services proposant des recommandations plus innovantes, basée sur l'humeur par exemple, devraient tirer leur épingle du jeu.

Le français Spideo Mood Discovery, au nom éloquent, ambitionne ainsi de battre Netflix à son propre jeu en complétant la recommandation algorithmique grâce à des outils de mesure de l'humeur. Son application offre 20 « vœux » à l'utilisateur, qu'il va combiner à sa guise pour trouver son prochain film.

Mais une épée de Damoclès plane. Toutes ces nouvelles pratiques, aussi innovantes soient-elles, supposent l'adhésion des utilisateurs à une exploitation toujours plus importante de leurs données personnelles.

Sylvain Rolland

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Commentaire 1
à écrit le 19/11/2015 à 14:09
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Les algorithmes sont aussi massivement utilisés en finance, assurances, météo, stats et previsions... Après, ce ne sont que des programmes... Leur utilisation, à bon ou mauvais escient, dépend de l'utilisateur.

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