Encore trop méconnu et sous-estimé. L'illectronisme, qui consiste à ne pas savoir utiliser le numérique ou ne pas y avoir accès, touche pourtant 14 millions de Français, selon un rapport présenté jeudi par la mission d'information sur la lutte contre l'illectronisme du Sénat. Et près d'un Français sur deux ne serait pas à l'aise avec le numérique. Des chiffres trop élevés, qui placent pourtant l'Hexagone dans la moyenne européenne, selon la mission d'information lancée à l'initiative du groupe RDSE à majorité radicale.
Cette "fracture numérique générationnelle et sociale est un handicap dans une société toujours plus numérisée", dénonce en guise de préambule le rapport, qui formule 45 propositions pour l'inclusion numérique.
La mission d'information a été lancée avant la crise sanitaire du coronavirus et le confinement. Si pendant la pandémie le numérique a démontré tout son potentiel (télétravail, école à distance, téléconsultation, commerce en ligne...), il a aussi exacerbé les inégalités en la matière.
Or, maîtriser les outils numériques est de plus en plus nécessaire pour s'insérer sur le marché du travail (12% des demandeurs d'emploi ne les maîtrisent pas, selon le rapport) mais aussi accéder aux services publics. Le gouvernement a promis une dématérialisation à marche forcée de 100% des services publics à horizon 2022, ce qui "laisse sur le bord de la route 3 Français sur 5, incapables de réaliser des démarches administratives en ligne", chiffre le rapport.
Parmi les "exclus du numérique", 2,5 millions de personnes illettrées, mais aussi les personnes âgées, les foyers à faibles revenus et les personnes les moins formées.
"Face à une société hyperconnectée, ceux qui en sont exclus ont le sentiment d'être des citoyens de deuxième zone", souligne le rapport.
D'où l'urgence d'agir.
Repenser la dématérialisation des services publics
C'est pourquoi la mission d'information estime à un milliard d'euros le montant nécessaire à allouer à l'inclusion numérique d'ici 2022, qui doit être définie comme "priorité nationale et service d'intérêt économique général". Dans le détail, le rapport propose de "passer d'une logique 100% dématérialisation à une logique 100% accessible". Parmi les propositions, conserver un accueil physique ou téléphonique pour toutes les démarches dématérialisées du service public ou encore, créer un droit à l'erreur pour toutes les démarches réalisées en ligne.
Dans cette optique, la mission d'information juge primordial "d'améliorer l'accessibilité des sites Internet". L'accessibilité numérique doit permettre à une personne handicapée de pouvoir utiliser pleinement Internet, mais aussi toutes sortes de logiciels et d'applications mobiles. Par exemple, les personnes souffrant de déficiences visuelles peuvent recourir à des logiciels de grossissement pour pallier aux difficultés d'accès à Internet.
"Les personnes en situation de handicap, qui représentent une personne en exclusion numérique sur cinq, subissent une double peine. Si les sites en ligne doivent être théoriquement accessibles, seulement 13 % de démarches administratives leur étaient, en avril 2020, réellement accessibles", déplore le rapport.
Former au numérique dès le plus jeune âge
Au-delà de garantir l'accès aux services publics pour tous, le rapport met l'accent sur la formation au numérique dès le plus jeune âge et appelle à construire une "Education nationale 2.0". La mission d'information propose notamment de procéder à un recensement, par académie et par établissement, des "difficultés numériques rencontrées par les élèves et les enseignants en matière de continuité pédagogique pendant la crise de la Covid-19, par type de difficulté (infrastructures - zone blanche, matériel insuffisant ou inadéquat, compétences numériques insuffisantes)". Le but : pouvoir assurer des formations sur des outils pédagogiques numériques en adéquation avec les besoins repérés.
Une logique similaire pourrait être appliquée aux salariés du privé. Dans le cadre du plan de relance, le rapport propose de financer "la formation aux compétences numériques des salariés, ciblant prioritairement les salariés peu qualifiés, les jeunes, et les salariés des PME, les commerçants et les artisans".
De manière générale, le rapport met l'accent sur la formation au numérique pour tous au niveau national en proposant de généraliser le dispositif des "pass numérique" sur tout le territoire. D'une valeur faciale de dix euros, ce pass est distribué aux citoyens par des structures locales (associations, collectivités, travailleurs sociaux, etc.) et permet à ses utilisateurs de financer des formations au numérique. Expérimenté depuis 2015 en Gironde, le dispositif a progressivement été étendu à près de 50 collectivités territoriales. Ce qui ne permet pas encore de mailler efficacement le territoire, selon le rapport.
Un chèque-équipement pour les foyers à faibles revenus
Si la formation est primordiale, elle ne se suffit pas. Encore faut-il pouvoir posséder smartphones, tablettes ou ordinateurs pour utiliser Internet. C'est pourquoi le rapport consacre un volet "d'inclusion numérique aux personnes à faibles revenus". La mission du Sénat propose l'expérimentation d'un chèque-équipement, destiné à la location ou à l'achat d'un équipement - de préférence reconditionné - pour les ménages à bas revenus. L'obtention de ce chèque pourrait être conditionnée à la participation d'une formation financée par le fameux "pass numérique".
Autre action : améliorer la durée de vie des équipements. Cela peut passer par la création d'un taux de TVA réduit pour la réparation et le reconditionnement des appareils, ou encore, le renforcement des sanctions pour obsolescence programmée. "Le renouvellement contraint des terminaux numériques pèse fortement sur le pouvoir d'achat des ménages à faibles revenus", regrette le rapport.
Le plan de relance, une occasion manquée ?
Cette publication arrive peu de temps après le plan de relance du gouvernement, qui prévoit d'allouer 250 millions d'euros pour la lutte contre la fracture numérique. Un "effort inédit et historique", commentait début septembre Cédric O, secrétaire d'Etat en charge de la Transition numérique et des communications électroniques. Mais le compte n'y est pas pour la mission sénatoriale, qui juge les moyens alloués "insuffisants" et une "ambition faible".
"Le gouvernement entend désormais consacrer 250 millions d'euros d'ici 2022 à la formation de 4 millions de Français, mais la mise en œuvre de cette stratégie est à la peine", note le rapport. "Seulement 209.000 pass numériques ont été à ce jour achetés, et peu ont été utilisés (...) Le rythme de déploiement doit s'accélérer compte tenu de l'urgence économique et sociale."
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