Pourquoi le Crédit Mutuel mise gros sur l'informatique quantique

Crédit Mutuel Alliance Fédérale vient de créer une équipe d'experts en informatique quantique, réunis dans une « Quantum Factory ». Sa mission : développer des applications nouvelles qui tirent profit des capacités extraordinaires de l'informatique quantique, avec en ligne de mire la volonté de stimuler l'innovation du groupe et réaliser des économies d'échelle dès 2026.
François Manens
La chercheuse d'IBM Maika Takita, qui travaille sur un projet de l'entreprise.
La chercheuse d'IBM Maika Takita, qui travaille sur un projet de l'entreprise. (Crédits : IBM)

Alors que l'informatique quantique dessine à peine ses contours, Crédit Mutuel Alliance Fédérale (CMAF) ambitionne de déployer de premières applications dès 2026. Pour y parvenir, la banque a lancé fin 2022 un cycle d'innovation de plusieurs millions d'euros avec IBM, son partenaire informatique depuis plus de 50 ans. Le géant américain se trouve être un allié de choix, puisqu'il se partage avec Google le titre officieux d'entreprise la plus avancée sur l'informatique quantique, grâce à ses avancées à la fois côté matériel et côté logiciel.

Après une phase exploratoire de près de neuf mois, le projet vient de lancer une nouvelle étape, la « mise à l'échelle », qui doit mener à l'industrialisation de solutions concrètes dans trois ans. « Nous réfléchirons alors à installer des machines quantiques dans nos datacenters », se projette Nicolas Théry, le président de CMAF, auprès de La Tribune.

L'informatique quantique par un autre prisme que la menace

C'est un véritable pari que lance la banque française, via sa filiale technologique Euro-Information. L'ordinateur quantique suffisamment fiable et puissant pour révolutionner les usages n'existe toujours pas, même si plusieurs constructeurs comme IBM, Google ou encore Pasqal sont persuadés d'être sur la bonne voie. Autrement dit, le potentiel révolutionnaire de la machine reste à prouver, même si de premiers cas d'usage apparaissent.

Dans le secteur bancaire, l'informatique quantique est abordée le plus souvent sous l'angle de la menace. Et pour cause : elle pourrait offrir les capacités de calcul nécessaire pour casser l'algorithme de Shor, qui protège les transactions bancaires, et ainsi faire s'écrouler le système. L'écrasante majorité des banques développent donc déjà des algorithmes dit post-quantiques [qui peuvent tourner sur des machines classiques, ndlr] pour se protéger de cette éventualité. Mais à l'inverse, elles sont plus frileuses quand il s'agit d'investir sur l'utilisation de la nouvelle technologie.

« Avant même le début de la phase exploratoire, nous savions qu'il y avait des choses à faire autour de la cybersécurité et de la lutte contre la fraude. Mais nous voulions aussi identifier des cas d'usages positifs, comme dans le conseil client », développe Nicolas Théry. En collaboration avec IBM, l'entreprise se fixe l'objectif de créer des prototypes d'application sur trois grandes thématiques : la gestion de la fraude, la gestion du risque et l'expérience client.

Une « Quantum Factory » pour développer des applications

Pour mener cette mission à bien, le Crédit Mutuel va créer une unité dédiée, sous le nom de « Quantum Factory » (littéralement, une « usine quantique »). 20 personnes vont y travailler à plein temps dès les prochains mois et le dirigeant projette de tripler, voire quintupler cet effectif à terme selon les besoins. Cette équipe multidisciplinaire devra développer des prototypes d'outils utilisables à l'échelle de l'entreprise, qui n'auront plus qu'à être industrialisés.

Avec cette division séparée, la banque reproduit le schéma couronné de succès de son projet sur l'intelligence artificielle. Lancé en 2016 en collaboration avec IBM, il s'était accompagné de la création d'une « Cognitive Factory », qui compte aujourd'hui 115 salariés spécialisés. L'unité a rapidement déployé plusieurs applications dopées à l'IA dans le but de réduire le temps consacré par les 25.000 employés de l'entreprise aux tâches administratives (saisie de texte, signature de documents, recherches dans les documents internes...). Résultat ? En 2022, « un volume équivalent aux horaires de travail de près de 1 600 salariés à temps plein a ainsi été libéré », chiffre le communiqué de l'entreprise. Nicolas Théry ajoute que la Cognitive Factory présente un taux de rentabilité de 30%, ce qui a motivé la décision de reproduire le schéma. « Les banques n'ont pas de brevet pour se protéger de la concurrence. Tout repose sur deux piliers : le devoir de conseil et la confidentialité. La technologie doit nous permettre de les améliorer », insiste-t-il.

Sous l'égide d'Euro-Information, la Quantum Factory aura accès aux dernières technologies quantiques d'IBM dès leur sortie. Ainsi, les employés travailleront dans un premier temps sur le processeur Offspray (433 qubits, lancé en 2022). Mais ils pourront dès la fin d'année tester le Condor (plus puissant, avec 1121 qubits) et le Heron (premier processeur quantique à embarquer plusieurs puces connectées entre elles). « Nous nous rapprochons de plus en plus d'une technologie prête à être mise en production à grande échelle », note Béatrice Kosowski, présidente d'IBM France. La feuille de route du projet se calque sur celle du constructeur, qui prévoit d'avoir de premiers ordinateurs à plus de 10.000 qubits, avec des taux d'erreurs suffisamment faibles, à l'horizon 2026.

Pas de rupture technologique

Concrètement, l'unité spécialisée va développer ses outils sur Qiskit, la plateforme open source d'IBM dédiée au quantique. L'avantage de ce logiciel ? « Nous pourrons utiliser les programmes développés sur les serveurs d'IBM évidemment, mais aussi sur d'autres infrastructures si besoin », note Nicolas Théry. Cette garantie paraît importante dans un secteur encore incertain, où plusieurs constructeurs pourraient émerger en leader.

La banque devra également définir si elle souhaite déployer ses futures applications dans le cloud d'IBM -qui vient d'ouvrir au début du mois son premier centre de données quantique en Europe- ou bien elle-même héberger les machines quantiques dans son propre cloud. Cette dernière option implique l'achat d'ordinateurs quantiques, mais aussi des aménagements significatifs dans ses datacenters actuels. C'est pourquoi elle est déjà en cours de réflexion au sein de la banque.

Quoiqu'il en soit, les deux dirigeants partagent la même vision. « Nous avons la conviction que l'informatique du futur s'appuiera sur un système hétérogène », avance Béatrice Kosowski. Comme le rappellent les experts, l'ordinateur quantique devrait dépasser les machines traditionnelles sur certains cas d'usage, et même en débloquer de nouveaux. Mais l'informatique classique restera plus performante sur d'autres tâches. Autrement dit, les vainqueurs du prochain virage technologique parviendront à orchestrer de manière optimale les différentes briques de systèmes informatiques complexes composés de processeurs traditionnels, quantiques, ou encore dédiés à l'intelligence artificielle. C'est pourquoi il paraissait important aux deux partenaires de s'atteler au sujet, avant même que la technologie soit arrivée à maturité. « Nous avons la conviction forte que l'informatique quantique va simplifier la vie des salariés et celle des clients », résume Nicolas Théry. Rendez-vous dans trois ans pour le bilan.

François Manens

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Commentaires 5
à écrit le 20/06/2023 à 15:58
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Faut vraiment être prétentieux ! Il faudrait déjà qu'ils soient capabales de faire un site internet qui fonctionne. Pour le reste on verra quand ça fonctionnera.

à écrit le 20/06/2023 à 9:57
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Si vous avez bien lu l'article, l'utilisation de l'IA a permis de faire gagner 1600 etp, et ce bien avant la sortie en grande pompe de chatgpt, donc les équipes dans les banques sont loin d'être des manches. Vous pouvez être certain que si le CM anno...

à écrit le 20/06/2023 à 8:23
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Quantum factory, nom de Zeus, ca sonne drolement bien. Mais en substance ca donne quoi, du vent....

à écrit le 19/06/2023 à 18:40
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"Des experts en informatique quantique !" mdr ! Il n'y a pas d'ordinateurs quantiques, juste de la recherche fondamentale. J'espère que ces experts du néant son payés une fortune dans la quantum factory. Cela sent bon la série des années 80 : " Cod...

à écrit le 19/06/2023 à 18:20
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Etant donné qu'aucun ordinateur quantique n'est encore vraiment sorti d'un laboratoire, je vois mal comment on peut en faire quelque chose de concret d'ici 2026. Il s'agit vraisemblablement de marketing. Pour ne pas dire de piège à gogo....

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