
La TRIBUNE : Vous vous êtes lancés dans le développement d'une application de Contact Tracing pour lutter contre la propagation du Covid-19. Comment avez-vous fait pour vous regrouper ?
Laurent GIOVACHINI : Il s'agit à l'origine d'une initiative prise par quelques entreprises au sein de la fédération Syntec. Cette initiative a rapidement fusionné avec les travaux qu'Orange avait engagé de son côté pour donner naissance à un sextuor composé du cabinet de conseil SIA Partners, de Sopra Steria, d'Accenture au travers de sa filiale Octo Technology, d'Orange, de Dassault Systèmes et de Capgemini. Les six entreprises ont regroupé leurs compétences au sein d'un plateau virtuel qui a réussi à développer en six semaines une application opérationnelle. Très motivées par l'enjeu de santé publique, les équipes se sont retroussé les manches, ont travaillé sept jours sur sept et ont fait le job !
Pourquoi aussi rapidement ?
Parce qu'il fallait aller vite. Nous nous étions fixé l'objectif de disposer d'une version opérationnelle avant la fin du mois d'avril, sans savoir que le début du déconfinement serait finalement fixé au 11 mai. Pari tenu : depuis lundi dernier, un prototype est disponible, même si bien sûr il n'est pas encore téléchargeable publiquement.
Dans le consortium, qui fait quoi ?
Chacun a travaillé sur ses points forts. C'était la condition du succès de cette démarche citoyenne. SIA Partners a assumé la responsabilité de la définition fonctionnelle de l'application, Sopra Steria celle du volet mobile sur smartphones, Octo a mis au point le serveur, Orange s'est chargé des aspects Bluetooth et déploiement, Dassault Systèmes via sa filiale Outscale de l'hébergement et Capgemini de l'interface avec le portail de santé. Au total, ce sont plus d'une soixantaine de consultants, d'ingénieurs informaticiens et de data scientists de haut niveau qui ont collaboré en équipe intégrée... et bien sûr en télétravail ! Nous nous sommes d'emblée assurés du respect des principes de volontariat et d'anonymat fixés par le gouvernement. Cela explique notamment notre choix de faire reposer notre application sur la technologie Bluetooth et non sur le GPS.
L'INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) travaille en coopération avec un laboratoire de recherche allemand sur la définition de cette application. Quels sont vos liens avec l'INRIA, et au-delà, le gouvernement ?
Dès le départ, notre intention a été d'apporter notre contribution aux pouvoirs publics. C'est pourquoi nous avons constamment entretenu des contacts étroits avec l'Etat et tout particulièrement avec le secrétariat d'Etat chargé du Numérique. Sous son égide, l'initiative de notre consortium a vocation à converger rapidement avec le programme piloté par l'INRIA, qui dispose de compétences sans égales dans le domaine. L'application française de contact tracing va ainsi pouvoir bénéficier des meilleures compétences publiques et privées.
Pourquoi pensez-vous que votre application sera sélectionnée par le gouvernement ?
Parce qu'elle est modulaire et composée de briques que le gouvernement pourra adapter au plus près de ses besoins. C'est une excellente illustration de ce qu'une collaboration entre organismes publics et acteurs privés souverains peut apporter.
Estimez-vous qu'une telle application sera acceptée par les Français ?
Même s'ils relèvent avant tout du gouvernement, nous sommes pleinement conscients des enjeux d'acceptabilité de cette application par nos concitoyens. Les enquêtes d'opinion sont à cet égard plutôt encourageantes, même si les Français expriment légitimement des préoccupations. Comme l'a indiqué le Premier ministre, la représentation nationale aura l'occasion d'en débattre très prochainement.
Votre application sera-t-elle interopérable avec tous les smartphones ?
Nous avons fait en sorte qu'elle fonctionne à la fois avec les smartphones Android et IoS (Apple). Un bon niveau d'interopérabilité a ainsi pu être atteint. Il continuera à s'améliorer à mesure que les systèmes d'exploitation des fabricants s'ouvriront.
Comment fonctionne votre application ?
Dans le respect de votre anonymat et sous réserve d'un consentement explicite, l'application vous informe que vous avez été en contact rapproché avec une personne qui a été testée positive au COVID-19. Vous êtes ainsi en mesure, à votre initiative, d'aller vous faire tester et de prendre les toutes les précautions vous permettant de protéger vos proches. Précisons que, pour qu'elle soit véritablement utile, cette application doit être téléchargée par le plus grand nombre de nos concitoyens. Pour les y inciter, il faut leur offrir un maximum de fonctionnalités. C'est pour cela que nous avons développé une solution « de bout en bout », qui couvre non seulement le traçage mais aussi par exemple l'accès aux professionnels de santé pour la gestion des tests.
Quels sont les avantages de cette application pour les autorités sanitaires ?
Elle apportera un précieux support au traçage manuel, qui repose sur un travail d'enquête minutieux et donc gourmand en effectifs. Elle participera ainsi à la réussite du processus de déconfinement.
Finalement qu'est-ce que vous gagnez dans cette opération ?
Notre seul moteur a été de mettre les savoir-faire des entreprises de la Tech française au service de la santé de nos concitoyens et de la reprise de l'économie. Dans le domaine du numérique, la France et l'Europe sont souvent perçues à tort comme exclusivement dépendantes des compétences américaines et asiatiques. Nous avions à cœur, dans cette période si particulière, de ne pas rester les bras croisés et de mettre en lumière l'excellence technologique française. Même si notre pays et notre continent ne disposent pas d'un acteur global capable à lui seul de développer une application de ce type dans un délai aussi court, nous avons fait la preuve qu'en réunissant les meilleures expertises publiques et privées, c'était parfaitement à notre portée.
Avez-vous des concurrents ?
Google et Apple ont annoncé récemment leur intention de proposer conjointement une solution de contact tracing. Il reste à voir si elle respecterait les exigences du gouvernement français.
Proposez-vous votre application à d'autres pays ?
Même si nous avons déjà reçu des marques d'intérêt à l'international, je ne crois pas à une application unique, car il faut tenir compte des cultures, des sensibilités et des politiques de santé publique propres à chaque pays. L'important sera d'assurer la meilleure interopérabilité entre les applications nationales. La nôtre est nativement conçue dans cette perspective.
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