5G : dix questions sur une arrivée controversée

La France va donner ce mardi le coup d’envoi des enchères des fréquences 5G aux opérateurs. Il s’agit d’une étape cruciale en vue du lancement de cette technologie d’ici à la fin de l’année. La Tribune fait le point sur ce nouveau standard, qui n’a jamais suscité autant de défiance.
Pierre Manière
La 5G pourrait être une réalité dans l'Hexagone fin novembre ou début décembre.
La 5G pourrait être une réalité dans l'Hexagone fin novembre ou début décembre. (Crédits : TINGSHU WANG)

Huit ans après le lancement de la 4G, la France se prépare à l'arrivée d'une nouvelle technologie de communication mobile : la 5G. Ce mardi 29 septembre, à 9h30, l'Arcep, le régulateur des télécoms, va donner le coup d'envoi de la vente des fréquences dédiées à ce nouveau standard. Au terme d'une enchère qui rapportera un minimum de 2,17 milliards d'euros à l'Etat, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free pourront proposer la 5G à leurs clients. Reportée de plusieurs mois à cause du coronavirus, cette vente se déroule dans un climat de défiance. Les écologistes, certains élus de gauche et plusieurs ONG fustigent une technologie perçue comme énergivore, potentiellement dangereuse pour la santé et dont l'utilité reste à démontrer. L'exécutif, lui, redoute un déclassement de l'économie française si le pays ne se convertit pas rapidement à la 5G. La Tribune fait le point.

Pourquoi les opérateurs achètent-ils de nouvelles fréquences ?

Pour proposer un service de téléphonie mobile, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont besoin de deux choses : des antennes, qu'ils déploient tous les jours sur le territoire, et des fréquences. Ces dernières appartiennent à l'Etat, qui les loue pour plusieurs années aux opérateurs sous forme de licences. Pour la 5G, les opérateurs vont acquérir un premier jeu de fréquences à compter du mardi 29 septembre. Ce spectre, qui se situe dans la bande des 3,5 GHz a une particularité. Il s'agit de fréquences hautes. Ces dernières permettent d'offrir plus de débit que les fréquences utilisées aujourd'hui par les opérateurs, mais elles portent moins loin. Ces considérations sont importantes, car elles obligeront les opérateurs à densifier leurs réseaux. D'autres fréquences seront aussi utilisées pour la 5G : la bande des 700 MHz, qui sert aujourd'hui pour la 4G, et la nouvelle bande des 26 GHz. Cette dernière fait l'objet d'expérimentations et sera attribuée plus tard.

Combien ces nouvelles fréquences vont-elles coûter ?

Cher ! L'Etat retirera au minimum 2,17 milliards d'euros de cette vente. Dans le détail, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free se sont déjà engagés à acheter chacun un gros bloc de fréquences de 50 MHz au prix fixe de 350 millions d'euros. Ce mardi, 11 blocs supplémentaires de 10 MHz seront mis aux enchères avec un prix de réserve de 70 millions d'euros. Chaque opérateur peut demander un maximum de 5 blocs. Comme nous l'explique Sébastien Soriano, le président de l'Arcep, le régulateur des télécoms qui organise la vente, il s'agit d'une enchère ascendante. A chaque tour, le prix des blocs augmentera de 5 millions d'euros. « Nous pensons que l'enchère ne devrait pas durer plus d'une quinzaine de jours, précise Sébastien Soriano. Tout dépendra, après, de l'appétence des opérateurs pour les fréquences, et de l'énergie qu'ils mettront pour que les plus gourmands d'entre eux payent plus cher. » Pour l'Etat, les enchères de fréquences sont l'occasion de remplir les caisses. Les deux dernières enchères de fréquences 4G, en 2011 et en 2015, ont respectivement rapporté 3,5 et 2,8 milliards d'euros.

Quand la 5G arrivera-t-elle en France ?

Sans doute peu après la fin des enchères. Quelques jours après la vente des 11 blocs, le régulateur organisera une enchère dite de « positionnement ». L'enjeu, pour les opérateurs, est de savoir où leurs blocs se situeront dans la bande. Certains emplacements sont privilégiés, car davantage protégés contre les brouillages que d'autres. Cela fait, les opérateurs recevront leurs nouvelles licences, sans doute, selon l'Arcep, « fin novembre ou début décembre ». Ils pourront à ce moment allumer la 5G. A noter que dans le cahier des charges initial, les opérateurs avaient l'obligation de lancer un service commercial 5G dans au moins deux villes d'ici à la fin de l'année. Mais l'Arcep, qui a dû reporter l'organisation des enchères (initialement prévues au mois d'avril) pour cause de Covid-19, a décidé de laisser les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free libres de proposer leurs offres quand ils veulent. L'opérateur historique et celui de Xavier Niel ont déjà prévenu qu'ils lanceraient la 5G sans traîner. Le PDG d'Orange, Stéphane Richard, affirme que de nouveaux abonnements seront disponibles « avant Noël ».

Où sera-t-elle disponible ?

D'abord dans les grandes villes. Et ce pour deux raisons. D'abord parce que les grandes agglomérations sont toujours les plus rentables pour les opérateurs en raison de leur importante population. D'autre part parce que les opérateurs ont besoin de la 5G dans les villes pour faire face à l'explosion du trafic mobile, où le réseau 4G devrait arriver à saturation d'ici environ deux ans.

Faudra-t-il changer de téléphone ?

Pour utiliser le réseau 5G, il faudra un smartphone compatible. Certains fabricants, comme Samsung, Huawei, LG ou Xiaomi en commercialisent déjà. Apple est très attendu dans ce domaine, et pourrait bientôt lever le voile sur un iPhone 12 compatible 5G. Il faut toutefois garder à l'esprit que le déploiement de la 5G sera long, progressif, et que les réseaux 3G et 4G seront encore massivement utilisés dans les années à venir. Les smartphones actuels ont encore de beaux jours devant eux...

Les prix vont-ils augmenter ?

Les abonnements 5G seront vraisemblablement plus chers. Le PDG d'Orange, Stéphane Richard, n'en fait pas mystère. « Peut-être qu'on donnera beaucoup plus de données et de contenus pour un petit peu plus d'argent », affirmait-il sur Franceinfo il y a dix jours. « Au début, nous pouvons nous attendre à ce que les opérateurs commercialisent des forfaits premium à des prix plus élevés, indique de son côté Sébastien Soriano. C'est généralement le cas au lancement d'un nouveau réseau. Mais au bout d'un certain temps, les nouvelles offres deviennent des standards de marché et les tarifs baissent. »

A quoi la 5G servira-t-elle ? Que va-t-elle changer ?

Difficile de répondre à cette question avec certitude. Il est presque impossible d'anticiper précisément la manière dont les acteurs économiques se saisiront de la 5G. Dans l'histoire des réseaux mobiles, il y a souvent un fossé entre les usages anticipés par les industriels et ceux qui percent, comme l'utilisation désormais massive du smartphone. Cela dit, la 5G offrira des débits beaucoup plus importants. Les opérateurs et équipementiers télécoms arguent qu'ils seront jusqu'à dix fois plus rapide qu'avec la 4G. Là où la 5G se démarque très nettement des précédents standards, c'est qu'elle a été pensée et développée pour les industriels et des usages professionnels. Pour le comprendre, il faut se plonger dans les caractéristiques de cette technologie. En premier lieu, la 5G prendra en charge, de manière massive, les objets connectés. Cette technologie offrira aussi une latence (le temps de réponse pour l'envoi et la réception d'une information) imperceptible. Enfin, la 5G permettra le network slicing, qui permet d'adapter au mieux les ressources du réseau à différentes applications avec une grande qualité de service. Ces propriétés constituent des atouts dans de nombreux domaines aussi stratégiques que les usines connectées, la domotique, la robotique industrielle, la logistique, la maintenance à distance, la voiture autonome, la télémédecine, les réseaux électriques intelligents ou le trading à haute fréquence. Dans certains secteurs, elles sont même des prérequis indispensables. La très faible latence et le network slicing apparaissent essentiels pour éviter des accidents de voitures autonomes. Idem pour les opérations chirurgicales à distance. Toutefois, la technologie 5G n'est pas encore mature : il faudra attendre 2023 ou 2024 pour voir émerger ces nouveaux usages, notamment ceux reposant sur une faible latence.

La 5G va-t-elle nuire à l'environnement ?

C'est une des principales inquiétudes de certains élus écologistes, de gauche et de plusieurs ONG, qui réclamaient un moratoire sur la 5G. Beaucoup redoutent les effets néfastes de cette technologie sur l'environnement. Certains opérateurs et équipementiers télécoms, qui ont un intérêt économique au déploiement de la 5G, arguent que les nouvelles antennes consomment beaucoup moins d'énergie. Franck Bouétard, le PDG d'Ericsson France, qualifie même la 5G de « techno green » ! Selon lui, elle consomme « dix fois moins » d'énergie que la 4G pour une même quantité de données. Mais d'autres acteurs émettent un avis différent. A commencer par Olivier Roussat, le directeur général délégué de Bouygues et président de Bouygues Telecom. En juin dernier, lors d'une audition au Sénat, il affirmait que la 5G accroîtra sans nul doute la consommation énergétique du secteur. Devant les parlementaires, il a bien souligné que cette technologie « permet de transporter des données avec moins d'énergie ». Mais, a-t-il ajouté, comme la 5G « augmente considérablement les débits » et favorise les usages « datavores », la consommation d'énergie des télécoms progressera forcément « de façon importante ». Sur ce point, « nous n'avons pas la pierre philosophale », a renchéri le dirigeant. Le renouvellement des terminaux constitue aussi une crainte pour l'environnement. Pour mieux comprendre ces enjeux, l'Arcep a lancé une plateforme baptisée « Pour un numérique soutenable ». « Tout le monde peut y participer, souligne Sébastien Soriano. L'objectif est, d'ici la fin de l'année, de donner des chiffres plus précis sur les enjeux environnementaux, puis de faire des propositions. Au pouvoir politique, ensuite, de se saisir de ces pistes de travail pour mieux contrôler l'empreinte environnementale du numérique. »

La 5G est-elle dangereuse pour la santé ?

C'est l'autre point qui inquiète de nombreux élus écologistes et de gauche. L'agence française de sécurité sanitaire, l'Anses, mène aujourd'hui une étude concernant l'impact de la 5G sur la santé. Elle rendra sa copie au premier trimestre 2021. Ses experts travaillent sur deux types de fréquences utilisées pour la 5G : la bande des 3,5 GHz et celles 26 GHz. Les fréquences 3,5 GHz suscitent moins d'interrogations et d'inquiétudes. Elles sont proches de celles utilisées aujourd'hui pour la 4G et le Wi-Fi. Comme la 5G fonctionnera d'abord avec ces fréquences, le gouvernement estime qu'il n'y a pas lieu de retarder son lancement. La donne est différente pour la bande des 26 GHz. L'Anses ne cache pas qu'il existe, à ce jour, peu de données disponibles sur ces fréquences hautes. Or « à partir de 10 GHz, l'énergie électromagnétique ne pénètre pratiquement plus dans le corps mais est concentrée au niveau de la peau: cela pose des questions différentes en matière d'effets potentiels sur la santé », explique Olivier Merckel, expert de l'Anses.

Pourquoi le gouvernement a-t-il balayé la perspective d'un moratoire sur la 5G ?

Parce qu'au regard de l'exécutif, « les impacts sanitaires et environnementaux sont bien documentés et maîtrisés », comme l'a récemment affirmé Cédric O, le secrétaire d'Etat en charge de la Transition numérique, au journal Le Monde. Le gouvernement souhaite surtout que la France ne prenne pas davantage de retard dans le déploiement de la 5G, alors que cette technologie est déjà une réalité chez ses voisins européens, aux Etats-Unis et en Chine. Il en va, selon le gouvernement, de la compétitivité du pays dans les années à venir. « Il est indispensable que nous déployions la 5G, a déclaré Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, il y a deux semaines sur France 2. On ne va pas faire ce cadeau à nos adversaires ou à nos rivaux économiques de prendre du retard. Ce serait une erreur économique dramatique pour le pays. Cela nous priverait d'avancées en matière médicale, en matière de gestion des flux d'énergie, de gestion des transports. »

Pierre Manière

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 29/09/2020 à 15:49
Signaler
Avant de déployer la 5G il serait plus honnête de finir l'ADSL, la 4G et bien sûr le câble ! ! !

à écrit le 29/09/2020 à 15:14
Signaler
Il faut absolument contrôler l'expansion chinoise et ne jamais devenir des esclaves technologiques de la Chine, aussi bien pour la 5G que pour d'autres technologies. Le fait que Huawei veuille s'implanter à Strasbourg est un coup d'echec tactique. S...

à écrit le 29/09/2020 à 14:59
Signaler
Le débat c'est est-ce que les ondes sont dangereuses? La réponse n'a jamais été claire, hors le fameux principe de précaution est une dérobade que l'on peut appliquer à beaucoup d'autre choses, c'est aussi une position douteuse, qui si elle avait ét...

à écrit le 29/09/2020 à 14:13
Signaler
Avant de déployer la 5G il serait plus honnête de finir l'ADSL, la 4G et bien sûr le câble ! ! !

à écrit le 29/09/2020 à 10:10
Signaler
Une communication mobile supplémentaire pourquoi faire? Regarder les infos en traversant la chaussée? En conduisant? Pour le camping? Une antenne couvre combien de surface?

à écrit le 29/09/2020 à 9:43
Signaler
vive les nouveaux appareils téléphoniques, vive les nouveaux abonnements, vive le chômage qui arrive à grande allure, vive le réchauffement climatique, vive la misère mais, connectée.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.