Le patriotisme économique vaut aussi pour la recherche publique

Les Assises nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche se sont refermées hier. Dommage que l'exportation de la recherche française n'ait pas fait l'objet de recommandations en vue de sa protection, de son encadrement et de sa valorisation à l'étranger.
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Protéger notre savoir. Voilà qui peut sembler une évidence. Et pourtant... Si les Assises nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche qui se sont tenues les 26 et 27 novembre 2012 au Collège de France ont épilogué sur l'expatriation des étudiants et des chercheurs et inversement, sur l'accueil d'étudiants et de chercheurs étrangers, force est de constater que la sensibilisation des centres de recherche à la protection de leurs publications et de leurs découvertes n'était pas au centre des débats.

Des découvertes françaises développées par d'autres pays

Sauf que le rayonnement de la recherche française à l'étranger va de pair avec son encadrement. Sans quoi les avancées françaises sont reprises à leur compte par d'autres pays. "Depuis 30 ans, de nombreuses découvertes de rupture ont été faites en France, pour être développées dans d'autres pays (essentiellement les Etats-Unis) qui en tirent les bénéfices des développements industriels", écrivait André Choulika, président de France Biotech, dans une tribune du 2 novembre dernier.
Les déclarations du Premier ministre Jean-Marc Ayrault en ouverture des Assises, qui souhaite ouvrir grandes les portes de la recherche publique, sans même introduire la notion de sécurité du patrimoine scientifique, semblent donc bien naïves : "C'est pour ça [l'ouverture internationale des établissements d'enseignement supérieur] que le gouvernement a mis fin aux limites d'accueil des étudiants étrangers, qui était une conception, j'allais dire, frileuse de la France, et c'est aussi pour cela que nous participerons plus activement à la création de l'Europe de la science et de la connaissance."

Limiter les fuites du "pipeline de l'innovation"

Or l'accueil de chercheurs et d'étudiants étrangers à tous crins, comme leur expatriation, ne va pas sans un certain encadrement, en particulier en matière de protection du savoir.
La délégation interministérielle à l'intelligence économique (D2IE) l'a d'ailleurs largement explicité dans un guide publié en mars 2012. En préambule, elle explique ainsi qu'"il s'agit de mettre en place, d'une part, une politique de limitation des fuites du "pipeline de l'innovation", telles que les inventions transférées systématiquement pour exploitation à l'étranger avec une analyse insuffisante de la possibilité de les exploiter sur le sol national, les divulgations ou les publications avant dépôt de brevet, et, d'autre part, une politique d'augmentation du débit du pipeline, en limitant, notamment, le nombre d'inventions qui restent sur étagère".
La D2IE relève d'ailleurs que les transferts de technologies sont loin d'être équilibrés : "la France exporte plus de droits de propriété intellectuelle à l'étranger qu'elle n'en importe". Selon la Banque mondiale, la France vend pour 9.4 milliards d'euros de licences quand elle n'en achète que 5.3 milliards d'euros.

Protection des locaux et encadrement du personnel non salarié

Outre la mise en place d'une veille sur les brevets et les normes déposés au niveau international, le guide préconise de protéger le patrimoine immatériel des établissements de recherche, à savoir aussi bien le savoir-faire de leurs chercheurs, que leurs résultats de recherche, ou que leur portefeuille de contrats et de collaborations de recherche.
Comme toute entreprise, les centres de recherche peuvent être sujets à des vols de données informatiques ou de documents comme les cahiers de laboratoires, à une diffusion volontaire ou non d'information, ou à une interception de communications.
Une protection minimum des locaux devrait aussi être respectée : "les plus sensibles sont notamment les locaux abritant les produits dangereux, les calculateurs et moyens informatiques centraux, les espaces de stockage, les laboratoires abritant les activités de recherche stratégiques, les archives, les cahiers de laboratoires, etc...", lit-on dans le guide.
A cela doit s'ajouter une politique de gestion des ressources humaines bien encadrée : "un personnel non salarié de l'établissement a des droits individuels de propriété intellectuelle sur les résultats des travaux de recherche. Il est donc important pour l'établissement de contractualiser avec ces personnels avant le début de leurs travaux. Un accord de cession de l'ensemble des droits avec contrepartie financière en cas d'utilisation commerciale sera privilégié", ajoute la D2IE.

"Pas de place pour les seconds"

La traçabilité des informations est primordiale en cas de litiges liés à la paternité de résultats ou à la propriété de données. La preuve de l'antériorité de la création peut ainsi être opposée. Le cas échéant, sans dépôt de brevets, toute contestation est vaine...
"Les idées, concepts scientifiques ou découvertes, qui se cristallisent par le croisement d'une accumulation de connaissances, voient le jour au même moment et en plusieurs endroits dans le monde. Ces découvertes se concrétisent de deux manières, par la publication d'articles scientifiques et la prise de brevets d'inventions. Dans ce monde, il n'y a pas de place pour les seconds", constate André Choulika.
Et les missions réalisées à l'étranger devraient faire l'objet d'une sensibilisation plus systématique du personnel. D'autant plus que les séjours de chercheurs et d'étudiants français à l'étranger (et inversement) sont monnaie courante dans le cadre de coopérations scientifiques ou universitaires contractualisées. Pas besoin pour autant de verser dans la paranoïa, le pragmatisme suffira.

Préférer les coopérations contractualisées

La D2IE recommande ainsi de préférer les coopérations contractualisées à celles qui sont spontanées et non couvertes par une convention, de vérifier qu'une partie des lauriers reviendra bien à la France dans le cadre d'articles publiés en collaboration avec des partenaires étrangers, ou encore d'établir une charte relative aux comportements lors de missions à l'étranger. Inutile de dire que le transport de brevets ou d'articles en cours de rédaction est proscrit, et que la rédaction de clauses de propriété intellectuelle, de règles de co-publication ou de confidentialité (dans le cas d'embauche de stagiaires) est quant à elle conseillée.
Objectif : "éviter la diffusion mal maîtrisée de résultats non protégés". Mais aussi, "veiller à ce que les résultats de la recherche financée par la France lui soient bien attribués au prorata de sa participation".
Par ailleurs, la connaissance de la structure de la recherche du pays visité n'est pas superflue : "certains laboratoires appartiennent au complexe militaro-industriel de leur pays. Dans ce cas, l'utilisation des résultats de recherche conjoints à des fins autres que celles que vous envisagiez est possible. [...] Dans certains pays, toutes les universités et académies possèdent ou créent à volonté des entreprises pour développer les résultats de leur recherche. Certains laboratoires sont donc, de fait, des entreprises publiques"...
Au final, le comité de pilotage des Assises a élaboré une liste de 121 propositions. Parmi lesquelles : "Développer un système d'information et de prospective pour améliorer la visibilité et la lisibilité du dispositif ESR (enseignement supérieur et recherche) français à l'international". Souhaitons donc que celle-ci soit détaillée et davantage soumise à conditions lors de l'examen du projet de loi qui sera soumis aux assemblées au cours du premier semestre 2013.

Pour aller plus loin :
>>> L'intégralité du Guide de l'intelligence économique pour la recherche
>>> Se protéger à l'étranger, sur le site de l'Institut national de la propriété industrielle
>>> La stratégie de protection de la propriété intellectuelle au sein des pôles de compétitivité (Guide de la propriété intellectuelle)
>>> Le site des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche
 

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Commentaires 2
à écrit le 28/11/2012 à 14:52
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Je suis contre la "concurrence libre et non faussée" promue par une Europe qui sème le chaos, cette concurrence n'est que le fait de gagner plus en dépensant moins sans aucune amélioration ou perennité dans le service!

à écrit le 28/11/2012 à 10:49
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la gauche se prend pour le front national, et met en avant le pays et la nation! he ben vaut mieux entendre ca que d'etre sourd, hein?

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