Torsten Oletzky (Ergo) : « Les Allemands ont plus peur du futur que du présent »

Quelle analyse fait de l'Allemagne d'aujourd'hui un grand patron, qui incarne la nouvelle génération de dirigeants économiques d'outre-Rhin ? Nous avons posé cette question et quelques autres à Torsten Oletzky, 46 ans, natif de Cologne, titulaire d'un doctorat de l'université de Hanovre et qui a débuté sa carrière chez McKinsey. Il est depuis 2008 Président du directoire d'Ergo, l'une des plus grandes compagnies d'assurances européenne, dont le siège est à Düsseldorf (48 000 salariés, 18 milliards d'euros de chiffre d'affaires). Ergo est une filiale du groupe Munich Re. Torsten Oletzky nous a reçus dans son bureau, au siège de la compagnie, un immeuble d'une architecture audacieuse, comme un navire d'acier ancré non loin du cœur de la cité rhénane.
Torsten Oletzky, Président du directoire d'Ergo. Copyright DR.

Les réformes impulsées par l'ancien chancelier Schröder ont-elles été décisives dans le redressement de l'Allemagne ? Comme vous le savez, ce sujet fait débat en France où certains accusent Schröder d'avoir détruit le modèle social allemand...

Torsten Oletzky. Très honnêtement, si la situation actuelle de l'Allemagne est aujourd'hui plutôt bonne, nous le devons en partie aux changements que nous avons accomplis depuis plus d'une dizaine d'années et ces changements furent significatifs. Tout attribuer à Schröder est probablement excessif, mais lui retirer tout mérite est injuste. Certes, le fait que ces changements dans le modèle social aient été initiés par un gouvernement de gauche a probablement permis de les faire accepter plus facilement par les Allemands. L'adversaire conservateur de Schröder aux élections, Edmund Stoiber, a reconnu récemment lors du 10e anniversaire des réformes, qu'un gouvernement conservateur n'aurait probablement pas réussi à faire passer des mesures de cette ampleur. Je crois que les gouvernements de gauche sont mieux à même de réaliser certaines réformes que les gouvernements conservateurs...

En tant que l'un des dirigeants de l'industrie financière européenne, quelle analyse faites-vous de la façon dont le gouvernement allemand gère la crise de l'euro ?

Mon sentiment personnel est que la chancelière Merkel et le gouvernement n'ont jamais voulu prendre de positions extrêmes, contrairement à ce que l'on pense dans certains pays de la zone euro. Ils tentent de respecter une sorte de juste milieu. Angela Merkel veut obtenir le maximum d'informations avant de prendre des décisions, elle ne réagit pas de façon impulsive à une crise de cette nature. De mon point de vue, l'approche de l'Allemagne dans cette crise a toujours été d'évaluer le plus précisément possible les différentes solutions envisagées, de ne pas faire d'annonces spectaculaires mais d'essayer de trouver des voies de sortie, quitte à prendre un peu de temps. Mme Merkel tient à juste titre à bien faire comprendre à la population allemande que les Allemands doivent participer aux efforts, mais sans être les seuls à en supporter la charge. On a reproché à l'Allemagne de ne pas vouloir prendre de risques financiers... Si l'on regarde bien les différents mécanismes mis en place pour le soutien des pays et des banques de la zone euro, on s'aperçoit pourtant que l'Allemagne s'est largement exposée sur le plan financier. Cela reflète bien notre volonté de vouloir absolument trouver des solutions...

Même s'il faut critiquer tel ou tel gouvernement de la zone euro, comme ce fut parfois le cas ?

On ne peut pas nier le fait que le modèle économique de certains pays de la zone euro doit changer. Les épargnants allemands mais aussi français et ceux des autres pays européens ont le droit de demander cela... Cela ne signifie pas qu'il faille condamner un pays tout entier. Je crois que le gouvernement allemand fait la part des choses entre les citoyens et les systèmes politiques. Ce sont surtout ces derniers qui sont responsables des crises. Dans un certain nombre de pays, les citoyens veulent que leur système économique évolue. Nous avons une filiale en Grèce et je me rends régulièrement dans ce pays. Je suis frappé par le nombre de Grecs qui me disent : « ne prêtez pas trop attention aux critiques contre l'Allemagne, ici un grand nombre de personnes veulent que la Grèce change d'habitudes et de système... »

Mais l'image de l'Allemagne est atteinte dans les pays du sud de l'Europe...

Dans les médias, à la télévision, peut-être, mais est-ce vraiment durable ? Franchement je crois que les concepts, l'approche et les outils que met en place le gouvernement allemand dans la gestion de cette crise valent beaucoup mieux que l'image que certains en ont ou fabriquent... En réalité, je crois que ce dont nous souffrons, c'est d'une insuffisance de gouvernance européenne. On ne peut pas négocier efficacement à 37... Nous avons besoin d'un vrai groupe offensif au sein de l'Union européenne, qui rassemble des leaders des grands pays comme la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la Pologne par exemple et qui se mette d'accord pour sortir l'Europe de la crise dans laquelle elle est, avec le concours du Parlement européen. Aujourd'hui, l'impression que donne l'Union européenne, c'est que chaque pays est seul contre les autres, l'Allemagne contre tous, la France contre tous, l'Espagne contre tous... Malheureusement, je ne vois pas l'émergence d'un tel groupe se produire actuellement...

Vous avez mentionné la Pologne. Elle n'est pas membre de la zone euro...

Certes, mais cela n'empêche pas que c'est un grand pays européen, qui réussit très bien, et qui devrait être davantage associé aux grandes questions concernant la résolution de la crise économique au sein de l'Union, d'autant plus qu'il s'agit du plus puissant représentant des nouveaux membres de l'Union européenne en provenance d'Europe de l'Est et que les autres États s'inspirent de plus en plus de l'exemple polonais.

Quelles sont, selon vous, les plus grandes craintes d'une famille allemande aujourd'hui ?

Les Allemands n'ont pas vu beaucoup de progrès dans leur niveau de vie depuis une dizaine d'années. Mais ce n'est pas la situation actuelle qui les inquiète le plus, ce sont les dix ou vingt prochaines années. Ils craignent qu'il n'y ait pas d'augmentation de leurs revenus, que les pensions de retraite diminuent, que l'inflation revienne, bref qu'ils ne puissent pas maintenir leur niveau de vie actuel. Ils ont le sentiment que seule une petite minorité de privilégiés vont s'en tirer à leur avantage. Ils ressentent davantage de pressions au travail, la nécessité de faire plus sans gagner plus, ce qui provoque le sentiment que leur niveau de bien-être est en train de diminuer. Objectivement, la situation est bien meilleure dans le sud de l'Allemagne que dans la partie orientale du pays, mais les soucis des gens me paraissent néanmoins très similaires. Je dirais globalement que les préoccupations des Allemands portent moins sur le présent immédiat que sur le futur.

L'Allemagne est engagée dans un formidable défi, le tournant énergétique. Croyez-vous qu'elle va réussir ?

C'est un défi énorme, j'en conviens. Il demeure d'ailleurs des incertitudes significatives concernant les conditions économiques et financières de ce tournant. Mais en tant que citoyen, je suis heureux que le gouvernement ait pris la décision de sortir de l'énergie nucléaire. Une majorité d'Allemands n'a jamais été à l'aise avec l'idée que nous nous rendions dépendants du nucléaire pour notre fourniture énergétique et que nous puissions être à l'origine d'une catastrophe européenne comparable à celle de Tchernobyl. Le tournant énergétique va demander de lourds investissements. En tant que compagnie d'assurances, nous sommes intéressés à participer au financement de ces investissements, car il s'agit de projets de long terme. L'Allemagne est selon moi de taille à relever ce défi. Vous savez, au moment de l'unification, l'objectif était d'amener les länder de l'Est au niveau de ceux de l'Ouest en dix ans... Il aura fallu deux fois plus de temps... Peut-être qu'un phénomène analogue se produira concernant le tournant énergétique, il nous faudra peut-être un peu plus de temps que nous le pensons, mais nous atteindrons notre but...

Vous appartenez à la nouvelle génération des dirigeants allemands. Qu'apportez-vous de différent dans le management des entreprises ?

En effet, la génération que je représente est aujourd'hui aux commandes de nombreuses grandes entreprises allemandes. Et je pense que nous approchons le management d'une façon différente de celle de nos aînés, qui ont tout de même réussi la grande transformation de l'économie allemande de ces vingt ou trente dernières années. Aujourd'hui, nous travaillons davantage en équipe, l'entreprise repose moins sur la vision d'une personne que sur celle d'un groupe. Je dirais aussi que même si nous passons beaucoup de temps à travailler, nous sommes attachés à préserver une vie en dehors de l'entreprise. Mon impression est que nous ne croyons pas que l'entreprise c'est nous et que nous sommes l'entreprise. Notre approche est beaucoup plus simple, nous n'avons pas besoin de héros à la tête des entreprises, mais de personnes qui savent écouter et envisager des questions de plus en plus complexes en adoptant également la perspective de la base. Par exemple, je déjeune très souvent à la cafétéria, avec les membres du personnel, je m'attable au milieu d'eux, nous échangeons très naturellement sur l'entreprise, et lorsque je n'ai pas de réponses à l'une de leurs questions, je le dis... Peut-être avons-nous moins l'ambition aujourd'hui d'avoir une solution immédiate à tous les problèmes...

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Commentaires 4
à écrit le 21/04/2013 à 22:59
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Ce jeune dirigeant qui dit à propos de la Transition Energétique "l'allemagne est de taille à relever ce défi" devrait faire réfléchir notre Nomenklatura radioactive et lui faire comprendre à quel point elle nous entraine dans une impasse dangereuse ...

à écrit le 17/04/2013 à 16:21
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"Les épargnants allemands mais aussi français". En effet, les épargnants français auraient autant voir plus à perdre que les épargnants allemands si la Grèce ne respectait pas ses échéances, il a raison de le rappeler quoiqu'on en pense de la situati...

à écrit le 17/04/2013 à 15:58
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intéressant... ceci étant, il est le représentant d'un secteur...... "privilégié"..... dans le sens "grande entreprise"..... mais ceci étant, je pense que de nombreux grands patrons français devraient fréquenter leurs cantines..... ça permet de reste...

à écrit le 17/04/2013 à 14:09
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100 % d´accord avec tout ce qu il a dit. Pas un chouia de critique ou de seaccord a apporter.

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