« C'est le grand soir des énergies renouvelables ! Après des années d'évangélisation, on a réussi à lever deux obstacles : la compétitivité des panneaux solaires et la réglementation, même s'il y a encore beaucoup de travail pour simplifier les démarches administratives...», affirme Pascal Martin, directeur général de la société rennaise Legendre Energie. Ce spécialiste de l'installation des centrales solaires photovoltaïques a été choisi à l'issue d'un appel à projet lancé en septembre 2020 par l'aménageur public de l'île de Nantes, la Samoa (Société d'aménagement de la métropole Ouest Atlantique), afin de déployer une "boucle d'autoconsommation collective d'énergie" dans le quartier République. Un quartier voulu pour être le nouveau cœur de la métropole nantaise et un « laboratoire in vivo des nouvelles manières de fabriquer la ville, placé sous le signe de la nature en ville, de la résilience, et de la mutualisation énergétique ».
C'est là que se construit notamment le futur centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes qui, bien que sollicité, ne souhaite pas, pour l'instant, prendre part à cette expérimentation. C'est là aussi que « s'élèveront, dans les prochaines années 275.000 m² d'opérations immobilières comprenant 2.000 logements. D'est en ouest, une trentaine d'opérations est actuellement en cours », précise Virginie Vial, directrice générale de la Samoa. « En tant qu'aménageur, nous souhaitons impulser une nouvelle dynamique pour limiter l'empreinte carbone du projet et favoriser la résilience énergétique des nouvelles opérations immobilières », explique-t-elle.
Photovoltaïque: une énergie verte devenue compétitive
Choisi pour sa mixité, le quartier République comprendra à terme 4.000 nouveaux habitants, contre 2.000 aujourd'hui, 4.000 employés, 7.500 étudiants, 25.000 m² de commerces et activités économiques, et 45.000 m² d'équipements divers.
« C'est un lieu où il y aura toujours quelqu'un pour consommer de l'électricité, quelle que soit la saison », assure Virginie Vial.
À ce jour, ce quartier consomme 11 gigawattheure (GWh) par an, dont 15% à 20% seront produits, à l'avenir, par les 10.000 m² de panneaux photovoltaïques qui, installés sur les toits des habitations, des immeubles, des entreprises et des commerces, délivreront d'ici à 2030 une puissance maximale de 2 mégawatts crête (MWc).
La nouveauté : l'électricité produite ne sera pas revendue à EDF
« Surtout, c'est la première fois que l'on passe à cette échelle avec un schéma d'autoconsommation sans réinjection sur le réseau, et donc, sans revente d'électricité à EDF. Et ça, c'est nouveau », se félicite Pascal Martin.
« Jusqu'à présent, 99% de la puissance installée reposait sur un modèle où tous les producteurs devaient injecter l'énergie produite dans le réseau EDF pendant vingt ans, ce dernier s'engageant à l'acheter à 100%. Certes, ça a permis de compenser des prix de revient élevés, d'investir et de faire décoller la filière, mais, aujourd'hui, nous produisons une énergie verte plus que compétitive, on peut passer à des schémas d'autoconsommation - même si l'impact du bouclier tarifaire biaise les données », détaille Pascal Martin.
Une réglementation qui continue de « protéger le monopole d'EDF »
À Nantes, en tout cas, l'expérimentation va se dérouler dans une zone d'un rayon de 1 kilomètre. Dans le secteur choisi, les immeubles seront progressivement équipés de panneaux solaires pour monter en puissance au fil des années et atteindre les besoins de consommations de 2,2 GWh en 2028, soit l'équivalent de 800 logements.
« Techniquement, on aurait pu créer une boucle sur une zone de 10 km ou 20 km de diamètre, mais la règlementation nous en empêche, pour protéger le monopole d'EDF. C'est le double langage des autorités qui, d'un côté, disent qu'elles veulent promouvoir les énergies renouvelables et, de l'autre, soutiennent une règlementation hyper restrictive, contrairement à l'Allemagne où tout est beaucoup plus facile depuis vingt ans», estime le dirigeant de Legendre Energie.
Conséquence, en se limitant à une zone de 1 kilomètre de diamètre, la Samoa a choisi un quartier où se concentre essentiellement des immeubles neufs et des programmes en cours de construction pour inciter les copropriétés, voire, de manière plus coercitive, imposer aux promoteurs d'intégrer des installations en toiture dans les nouveaux programmes immobiliers. Les premières mises en service devraient démarrer en fin d'année 2023 et s'étaler jusqu'en 2028-2030.
Pour mener à bien ce chantier, un groupement d'entreprises baptisé Helia Île de Nantes a été formé autour de Legendre Energie (60%), l'agence de développement économique Loire Atlantique Développement SELA (20%), et le fournisseur d'énergie verte Enercoop Pays de la Loire (20%). Ce dernier doit, dans les prochains mois, formaliser l'offre commerciale proposée aux habitants et aux entreprises du quartier, lesquels, tout en conservant leur contrat auprès de leur fournisseur actuel, pourront adhérer à Enercoop et en devenir sociétaire.
L'énergie produite sur les toits des bâtiments de l'île de Nantes transitera par le réseau Enedis-RTE, qui appliquerait un droit de péage de 30 à 40 euros le KWh pour les électrons verts. Un surcoût inclus dans le prix de revient de cette énergie renouvelable qui devrait se situer entre 150 et 200 euros le MWh pour les particuliers.
Ce tarif est compétitif même avec le bouclier tarifaire qui permet aux particuliers d'obtenir une électricité dont le prix se situe à 170 euros le MWh. Et reste bien en dessous des prix actuellement payés par les entreprises, dont le MWh, vendu 68 euros avant la crise ukrainienne, a été depuis multiplié par 5 ou 10...
Prévisible spéculation immobilière sur les toitures
L'investissement pris en charge par Helia Ile de Nantes devrait représenter 2 à 3 millions d'euros pour installer les deux MWc nécessaires. « On est sur des choses extrêmement nouvelles », explique Pascal Martin, co-actionnaire d'Helia, engagée par un bail emphytéotique de 30 ans, qui louera les toitures pour installer les panneaux photovoltaïques.
Ce nouveau modèle promet en effet de bousculer les pratiques et changer les façons de construire, en transférant à la cave, par exemple, des installations habituellement situées sur le toit, et en installant, dès la construction, des bornes électriques de charge pour anticiper les futurs besoins des véhicules électriques.
« Le prix de l'électricité dépendra alors de trois facteurs : le soleil - même si l'ensoleillement est plus fort à Marseille qu'à Lille, il est gratuit ; la compétitivité des panneaux solaires, dont les prix baissent ; et le prix de location des toitures. Le risque, c'est d'assister à une spéculation immobilière sur les toitures, qui vont acquérir une valeur croissante, qu'elles n'avaient pas hier », prédit le directeur général de Legendre Energie. À Nantes, les toitures pourraient valoir de l'or... vert.
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