Alors que la crise énergétique s'aggrave sur le Vieux continent, les appels à anticiper le scénario du pire se multiplient. En effet, alors que le directeur de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), Fatih Birol, a exhorté hier les gouvernements européens à se préparer à un arrêt total des exportations de gaz russe, c'est au tour de l'exécutif bruxellois de tirer la sonnette d'alarme.
« Le risque d'une rupture totale de l'approvisionnement en gaz est aujourd'hui plus réel que jamais », a averti ce jeudi Frans Timmermans, commissaire européen et responsable de la politique climatique du bloc.
Et pour cause, après avoir coupé fin avril les vannes à la Pologne et la Bulgarie, puis à la Finlande, aux Pays-Bas et au Danemark courant mai, Moscou a cette fois-ci réduit le débit de son gazoduc Nord Stream 1 relié à l'Allemagne à 40% de sa capacité la semaine dernière, et invoqué des problèmes d'équipement. Dénonçant une « attaque économique », Berlin n'a ainsi eu d'autre choix que d'activer ce jeudi le niveau 2 de son plan d'urgence sur l'approvisionnement en gaz - le dernier palier avant un rationnement organisé par l'Etat.
De son côté, le gouvernement russe a persisté jeudi dans la justification technique, réaffirmant que Moscou augmentera les flux dès que des turbines manquantes seront livrées. « Tout est clair, il n'y a pas de double sens », a défendu le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, jugeant que la Russie restait un fournisseur « fiable ». Un argumentaire qui peine à convaincre l'exécutif allemand, celui-ci martelant que cette « décision politique » est destinée à peser dans le bras de fer entre Moscou et les pays occidentaux sur la guerre en Ukraine.
Un rationnement inévitable en cas d'interruption des flux, selon un groupe de recherche
En tout, ce sont pas moins de dix pays de l'Union européenne qui ont activé le premier niveau d'alerte, dit « précoce », sur l'approvisionnement en gaz à la suite de la réduction des livraisons en provenance de la Russie, a rappelé jeudi Frans Timmermans, responsable de la politique climatique du bloc. Ce stade prévoit un contrôle plus strict des flux quotidien, et une obligation de remplissage à 80% des réserves de gaz d'ici à la saison de chauffage, en novembre, tandis qu'une « alarme » de niveau 2 permet théoriquement aux services publics de répercuter les prix élevés sur les consommateurs et de contribuer à faire baisser la demande.
Vient ensuite le niveau 3, qui serait « inévitable » si Moscou décidait de stopper totalement ses livraisons via le gazoduc Nord Stream 1, peu importe les efforts des gouvernements en matière de diversification d'approvisionnement et de remplissage des stocks, a récemment alerté le groupe de recherche et de conseil Wood Mackenzie. Si tel était le cas, les Etats n'auraient d'autre choix que de répartir les volumes de gaz entre particuliers, administration et industrie. De quoi entraîner une destruction de la demande à l'hiver prochain, dont les impacts pourraient être graves sur l'économie européenne.
« Il y a de nombreux processus industriels qui ne peuvent pas fonctionner sans gaz ! », s'était ainsi inquiété dimanche soir à la télévision allemande le président du lobby industriel BDI, Siegfried Russwurm, craignant des « conséquences en cascade ».
La France rehausse son objectif de stockage de gaz
Du côté de la France, moins dépendante du gaz russe que son voisin allemand, le gouvernement se veut néanmoins rassurant. « Nous sommes dans une situation plus favorable que d'autres pays européens pour assurer notre sécurité d'approvisionnement », assure-t-on à Matignon, en faisant référence aux équipements permettant d'importer du gaz naturel liquéfié (GNL) et à la connexion de l'Hexagone avec la péninsule ibérique, elle-même dotée de nombreuses infrastructures.
De son côté, l'énergéticien tricolore Engie a assuré ce mardi qu'il ne rencontrait aucune difficulté pour alimenter ses clients, alors même que plus aucun mètre cube de gaz russe n'arrive dans l'Hexagone par gazoduc.
« Le groupe Engie a une politique de diversification sur ses approvisionnements en gaz. On a d'autres fournisseurs et on accélère sur cette diversification, notamment avec l'Algérie ou la Norvège », a affirmé à la presse Cécile Prévieu, la directrice générale adjointe de l'entreprise.
Il n'empêche que la situation pourrait se tendre en cas d'arrêt brutal des flux. Pour s'y préparer, Elisabeth Borne a officialisé ce jeudi la construction d'un nouveau terminal méthanier flottant au Havre visant à augmenter les capacités d'importation de GNL, afin de pousser les niveaux de stockage de gaz du pays à 100% d'ici la fin de l'été, contre 58% actuellement. Mais à l'heure d'un bouleversement du marché mondial du GNL et d'une flambée historique des prix sur les marchés, la partie reste loin d'être gagnée.
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