De l'audace, rien que de l'audace !

Par Paul Jorion, chercheur, auteur de "La crise, des subprimes au séisme financier planétaire" (Fayard, 2008).

En 1944, au sortir de la deuxième guerre mondiale, les grandes puissances se réunirent aux Etats-Unis, à Bretton Woods dans le New Hampshire. Toutes étaient exsangues, à l'exception de la nation hôte qui avait le bonheur de ne pas avoir connu la guerre sur son sol. Un accord fut conclu : le dollar serait ancré à l'or par une parité fixe, à trente-cinq dollars pour une once d'or. Les autres monnaies seraient liées à l'étalon-or par le truchement de leur taux de change par rapport au dollar.

En 1971, Nixon désancra le dollar par rapport à l'or. Mais rien ne changea vraiment tant que l'économie américaine demeurait la première, et de loin, par rapport aux autres : au lieu de représenter l'or, le dollar représentait désormais la richesse des Etats-Unis. Or, l'accord signé à Bretton Woods permettait à ceux-ci de s'endetter toujours davantage et les encourageait même à le faire. Les ménages américains achetaient sans réserve et ceux qui leur vendaient s'enrichissaient de jour en jour.

A ce jeu, la Chine et les Etats-Unis se sont enlacés ces dix dernières années dans un tango mortifère : la Chine achetait la dette des Etats-Unis sous forme de Bons du Trésor ou de "Residential Mortgage-Backed Securities", obligations adossées à des prêts immobiliers, permettant aux taux de ces instruments de dette de demeurer faibles et d'encourager ainsi l'Etat et les ménages à emprunter davantage. Ce mécanisme a alimenté une bulle de l'immobilier résidentiel, offrant aux propriétaires américains les sommes nécessaires à l'achat de produits chinois en quantités croissantes, ce qui permettait à la Chine d'accumuler des excédents, bouclant ainsi la boucle.

Le moment aurait pu venir où la richesse grandissante de la Chine porterait ombrage à une Amérique de plus en plus endettée. Or, la machine grippa avant même qu'on n'en arrive là. Fin 2006, certains ménages américains cessèrent d'être solvables. Et 2007, cette insolvabilité toucha de plein fouet les banques gavées de dettes titrisées. Un an plus tard, en 2008, l'insolvabilité des banques et des compagnies d'assurance oblige l'Etat américain à combler un puits sans fond : il devra emprunter 550 milliards de dollars avant la fin de l'année et 368 milliards au premier trimestre 2009, tandis que le prix de l'assurance contre le risque de crédit qu'il représente s'envole. C'est l'insolvabilité de l'Amérique qui se profile désormais à l'horizon. D'où l'urgence aujourd'hui d'un nouveau Bretton Woods car les monnaies mondiales demeurent de fait ancrées au dollar.

Alors que faire ? La monnaie constitue une richesse et son ancrage à l'or, matière ayant une valeur en soi, aisément fractionnable et ne s'abîmant que très peu quand il circule, semblait aller de soi. L'étalon-or ne reviendra cependant pas car si l'or constitue une richesse, il n'en représente pas fidèlement le tout. La solution pourrait alors passer par la création d'un panier de devises, plus conforme à la diversité des richesses de la planète, pour remplacer le dollar. Et pourquoi ne pas envisager une autre devise équivalente au dollar ? Une chose est sûre, la situation est gravissime et elle doit encourager à l'audace.

Le moment est venu en effet pour les monnaies de représenter la richesse effective, ce qu'elles n'ont jamais fait ou ont cessé de faire. Elles ont cessé de le faire quand la finance a ajouté au montant de la richesse constituée des biens produits, la somme des paris sur l'évolution des prix. Mais les monnaies n'ont surtout jamais représenté la richesse effective parce que le rôle qu'elles auraient du jouer n'a jamais pas été pensé avant qu'on n'en introduise l'usage. La richesse s'est jusqu'ici toujours évaluée localement et non à l'échelle de la planète.

Or, aujourd'hui, la richesse est de deux types : renouvelable ou non. La distinction entre ces deux richesses importait peu jusqu'ici parce que nous vivions dans un monde qui nous apparaissait vaste et aux ressources illimitées. Il y a la richesse qui nous vient, toujours renouvelée, du soleil, du vent et ou de la pluie, ou de la lune, pour les marées. Et il y a celle enfouie dans le sol qui elle ne se renouvelle pas. Sur celle-ci un propriétaire a écrit son nom, l'a vendue comme étant la sienne et l'a transformée en monnaie. Le jour où cette ressource est épuisée, il est part sans avoir à rendre de compte. Mais si cette richesse venait à manquer un jour, nous devrions aller alors la rechercher là où elle pour l'extraire à nouveau. Parfois, elle fut détruite sans espoir de retour, pire, laissant dans son sillage un nuage de gaz toxique ou des mers désertées de ses poissons.

A tout cela nous n'avons jamais pensé : le coût de la perte de l'irremplaçable, du recyclage de l'éparpillé et de la reconstitution de l'empoisonné. Tout ceci, nous ne l'avons jamais intégré à notre calcul de la richesse, et donc dans nos monnaies qui la réflètent. Le véritable enjeu d'un nouveau Bretton Woods serait alors de prendre la vraie dimension d'un monde aux ressources finies. Et nous ne pouvons plus attendre une minute de plus.

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