Aristote avait-il prévu la crise de la dette grecque ?

Par Olivier Lecomte, professeur de finance à Centrale Paris.
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Dans la série "les mots fétiches de l'économie" il en est un qui revient régulièrement : le "cycle". Peu avant l'éclatement de la bulle Internet au début de ce siècle, on glosait beaucoup sur la robustesse prolongée de l'économie américaine... forcément entrée dans un cycle de Kondratiev (présumé durer une cinquantaine d'années) et nommé d'après le fondateur de l'Institut soviétique de conjoncture sous Lénine, ce qui ne manquait pas de sel.

Fin 2010, la banque Standard Chartered a publié une étude intitulée "the Super-Cycle Report", 150 pages fort documentées postulant que nous serions dans un 3e épisode de croissance mondiale soutenue, démarré en 2000 et devant durer jusqu'à 2030, les précédents s'étant déroulés de 1870 à 1913 et de 1945 à 1973. On note que ses auteurs évitèrent cette fois la référence au camarade Kondratiev, dont les épigones considèrent que la cinquième vague a duré de 1984 à 2010... de quoi se prendre les pieds dans le cycle. Quoi qu'il en soit, la notion de super-cycle paraît ressurgir tous les dix ans, et l'on serait tenté de postuler l'existence d'un cycle médiatique de l'utilisation du super-cycle.

Mais Kondratiev ne fut pas le seul à s'intéresser aux cycles économiques, puisque l'on trouve aussi des références aux cycles de Juglar (un Français), de Kitchin (un Anglais) et de Kuznets (un Russo-Américain). L'idée de base fut émise par un économiste suisse, Jean-Charles de Sismondi, qui réfuta l'existence d'un équilibre spontané et durable de l'offre et de la demande et affirma très justement l'existence d'alternances de périodes d'expansion et de crise.

Qu'un système dynamique aux multiples variables, présentant des délais de propagation et des points d'accumulation, montre de telles alternances ne surprendra aucun physicien, et, plus prosaïquement, que l'économie connaisse des hauts et des bas correspond à l'expérience de tout un chacun. La tentation est assurément forte d'essayer d'en comprendre la dynamique, avec en ligne de mire l'espoir qu'une meilleure compréhension des facteurs qui sous-tendent les oscillations permette d'amortir celles-ci, et donc de réduire l'amplitude entre les hauts et les bas.

Maints économistes de talent s'y sont donc intéressés, dégageant des concepts féconds, tel Joseph Schumpeter, qui popularisa en Occident les travaux de Kondratiev et vit dans l'innovation la cause d'une certaine cyclicité, avec sa thèse sur la destruction créatrice.

Cependant, comme c'est hélas souvent le cas avec la recherche scientifique, cette notion de cycle a aussi donné lieu à des interprétations et des extrapolations qui n'ont rien de scientifique, un peu comme d'aucuns passent de l'astronomie à l'astrologie ou de la cosmologie à la métaphysique. Quoi de plus tentant en effet que de voir dans ces cycles économiques le reflet de lois cachées, de forces mystérieuses qui donneraient aux activités humaines des oscillations régulières comme le mouvement des planètes, la prévision économique se réduisant alors à un (simple) calcul mathématique. Et je n'exagère pas : on peut lire une foultitude d'études qui font référence aux cycles pour conclure qu'on se situe à tel ou tel point de la courbe, et qu'il faut donc vendre ou acheter.

Au moment de la bulle Internet, ne pouvait-on lire, dans un ouvrage qui fit parler de lui, écrit par un stratège des marchés, cette extraordinaire déclaration : "la mécanique de Kondratiev, cette merveilleuse horloge, fixe des rendez-vous, et s'y tient !" Évidemment, cela n'a rien de surprenant pour une civilisation encore très empreinte de ses origines grecques : Platon et Aristote ne voyaient-ils pas dans le mouvement circulaire les sphères et les rapports numériques harmonieux, les fondements des lois qui gouvernent l'Univers ? Peut-être même avaient-ils prévu la crise que subiraient leurs lointains descendants ?

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