La France qui gagne... des prix Nobel

Patrick Modiano pour la Littérature… Et Jean Tirole pour l’Economie… Deux prix Nobel, pas mal pour un pays qu'on dit "fini"... Un message « anti-French Bashing » qui tombe à point nommé. Mais constitue aussi un appel à engager au plus vite des réformes qui ont trop attendu !
Philippe Mabille

On le sait, les Français sont parmi les plus pessimistes au monde. Un sondage du Pew Research Center, au printemps dernier, dépeignait un peuple déprimé, plus pessimiste sur l'avenir que les ... Palestiniens, les Argentins, les Italiens et même les Egyptiens. Les seuls à être plus déprimés que nous, ce sont les Grecs, c'est dire...

A cet égard, il faut se féliciter des deux buts marqués par l'équipe de France aux prix Nobel de l'année 2014. Patrick Modiano, récompensé pour son œuvre littéraire, et ce lundi, Jean Tirole, deuxième prix Nobel d'Economie depuis... Maurice Allais en 1988. Manuel Valls a immédiatement salué sur Twitter ce « pied-de-nez au French bashing », contre lequel le Premier ministre a engagé une croisade, jusqu'à se rendre au cœur de la City de Londres pour déclarer « « my government is pro-business ».

TSE, une référence

Si ce prix Nobel récompense d'abord la carrière d'un homme, Jean Tirole, l'un des meilleurs spécialistes mondiaux de l'économie industrielle, ce succès, qui surgit dans un pays en plein doute et à l'économie en panne, a le mérite de redonner à la France une partie de l'estime de soi qui lui fait cruellement défaut actuellement.

A l'international, d'abord, c'est la reconnaissance de la qualité d'une université française qui place, selon une sélection réalisée par le FMI en août dernier, sept économistes de moins de 45 ans parmi les meilleurs du monde : avec Esther Duflo au MIT, qui a renouvelé les travaux sur la pauvreté et conseille le président Barack Obama, Emmanuel Farhi à Harvard, Xavier Gabaix et Thomas Philippon à New York University, Hélène Rey à la London School of Economics et Emmanuel Saez à Berkeley, la plupart font aujourd'hui carrière à l'étranger.

Seul Thomas Piketty, avec son livre vedette sur « le Capital au 21ème siècle » est resté en France, à Paris School of Economics (PSE), de même que Jean Tirole. Le nouveau prix Nobel, plus discret et moins médiatique que son jeune confrère, a une autre corde à son arc : héritier de l'économiste toulousain Jean-Jacques Lafont, Jean Tirole a contribué à restaurer l'attractivité de l'université française dans la compétition mondiale pour le savoir. Il a fait de Toulouse School of Economics (TSE) une référence mondiale pour la recherche en micro-économie en créant une véritable fondation, qui porte le nom de son maître et a été la première à oser s'ouvrir à des capitaux privés pour financer des travaux de recherche. Spécialiste de l'économie de la régulation et de la concurrence, TSE a réussi à faire venir ou revenir des économistes réputés, français et étrangers, en se rapprochant sinon en s'alignant sur les niveaux de rémunération constatés à l'international.

Un message aux Français

Ce prix Nobel adresse aussi un message aux Français que l'on dit, et pas à tort, assez nuls, dans leur grande majorité, en économie. C'est le constat inlassable que fait la Banque de France chaque année dans le sondage réalisée pour les "Journées de l'Economie" à Lyon. Car ce n'est pas la macro-économie, souvent trop abstraite et décriée pour son incapacité à produire des solutions à la crise, qui est récompensée, mais la micro-économie, c'est-à-dire l'économie de l'entreprise, dans toutes ses dimensions. C'est un point clef à l'heure où la financiarisation est à juste titre critiquée pour sa responsabilité dans la crise, parce que sans nul doute la réponse à une bonne partie de nos difficultés se trouve justement dans l'économie réelle et l'entreprise, dans la régulation de la finance et du capitalisme. Or ce sont très exactement les travaux pour lesquels Jean Tirole est récompensé cette année, et une forme de pied-de-nez à tous ceux qui à gauche ont de façon assez ridicule brocardé le « J'aime l'entreprise » lancé par Manuel Valls lors de l'Université d'été du Medef.

Jean Tirole ne revendiquerait certainement pas le poste de ministre de l'Economie actuellement occupé par Emmanuel Macron. Mais, à voir les louanges qu'ont suscité son prix Nobel dans l'exécutif hier, de l'Elysée à Bercy en passant par l'Education nationale ou l'Enseignement supérieur, il serait peut-être de bon ton que François Hollande, Manuel Valls, Emmanuel Macron, Michel Sapin (voire Najat Vallaud-Belkacem s'agissant de l'enseignement de l'économie à l'école) reçoivent plus souvent Jean Tirole et écoutent, ce que le prix Nobel pourrait leur dire s'agissant des quelques réformes qui pourraient aider à débloquer la France.

Sur la réforme des professions réglementées, sur le manque de concurrence dans certains secteurs clefs, sur le fonctionnement du marché du travail et sur l'assurance-chômage, jean Tirole, qui fait partie du groupe d'économistes consultés par l'Elysée depuis... 1999, a des idées bien arrêtées. Il est notamment favorable, comme Cahuc et Kramartz, à une évolution vers un contrat de travail unique, rapprochant le CDD du CDI tout en rendant celui-ci moins contraignant pour les employeurs.

Depuis l'annonce de son prix, Jean Tirole est dans tous les médias et a pris parti pour une accélération des réformes, dans le sens souhaité par Manuel Valls et Emmanuel Macron, sens qui fait aujourd'hui hésiter l'Elysée et effraye la majorité frondeuse. Moralité : c'est bien de se féliciter d'avoir un prix Nobel d'Economie. Ce serait encore mieux si on s'en servait pour mieux faire comprendre l'économie aux Français ! Car, Comme nombre d'économistes, contraints de jouer les Cassandre, Jean Tirole l'a dit haut et clair, ce mardi, sur Europe 1 : "la France est à la merci d'une attaque par les marchés financiers". Traduction : ce n'est pas parce que ce risque ne s'est pas encore matérialisé qu'il a disparu. "Pour l'instant, on a eu la chance de payer des taux d'intérêt extrêmement faibles, mais si les marchés commencent à douter de la France, les taux d'intérêt vont augmenter très vite et la charge de la dette va devenir très lourde", a-t-il souligné. Nous voilà, au moins, prévenus...

Philippe Mabille

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Commentaires 6
à écrit le 14/10/2014 à 17:39
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Ses travaux sont en parti financés par l'état. Comme par hasard, on donne le prix Nobel à ceux qui vont dans le sens de la doctrine du jour : Plus de liberté pour les patrons et moins pour les salariés. Et on cite ce comportement de soumission à la d...

à écrit le 14/10/2014 à 17:14
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Tirole ne propose pas le programme du Medef, et ses réformes sont bien plus fines que celles de Gattaz. Faire payer le chômage d'un chômeur par l'entreprise qui le licencie, va faire mal à certaines entreprises et du bien à d'autres! Ne vous ...

à écrit le 14/10/2014 à 17:01
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Mince, un fonctionnaire reçoit le prix nobel d'économie, une personne qui aurait pu gagner 10 fois plus aux USA, mais qui est revenue et restée en France pour servir son pays. Mince, je ne vais plus pouvoir cracher aveuglément sur une partie de la...

à écrit le 14/10/2014 à 16:24
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Les Français : grands causeurs mais petits faiseurs ou pour certains, faites ce que je dis mais pas ce que je fais , car je n'en ai pas le courage. Dans la vraie vie, c'est autre chose que dans la theorie.

à écrit le 14/10/2014 à 15:16
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Tiens ? Pas de commentaire de satisfaction ? Où sont les commentateurs habituels si prompts à râler ?

à écrit le 14/10/2014 à 14:18
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"Nous voilà, au moins, prévenus..." Ben oui, ce bon vieux fonctionnement de la dette vient tout juste de faire surface, mais il n'y a pas que des perdants ignares...

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