De la Méditerranée à la profondeur africaine, l'Algérie à la croisée des chemins

Un double mouvement historique se dessine aujourd'hui, estime Jean-Louis Grigou, président de l'Institut de prospection économique du monde méditerranéen (Ipemed, Paris) : d'une part celui d'industrialisation de l'Afrique du Nord ; d'autre part l'émergence d'une vraie dorsale qui reliera l'Afrique du Nord à l'Afrique subsaharienne en plein boom économique. L'Algérie est idéalement placée pour participer des deux mouvements, à condition toutefois de relever trois défis, que Jean-Louis Grigou détaille ici.
Est-Ouest et Nord-Sud : les deux axes de développement de l'Afrique dans lesquels peut s'inscrire l'Algérie.

L'Algérie est en passe de retrouver son destin de grande puissance en Méditerranée et en Afrique. Sans bouleversements intempestifs, l'économie et les mentalités se transforment en profondeur. Se dessine une vision ambitieuse et historique pour les Algériens, mais aussi une vision qui doit parler aux Méditerranéens, aux Africains, et aux Européens.

L'Algérie emprunte deux chemins qui traversent son territoire. Le premier c'est celui de l'industrialisation du Nord de l'Afrique, de l'Egypte au Maroc, avec l'Algérie au centre. Le second chemin, selon un axe Nord-Sud, c'est celui de la Dorsale Transsaharienne, d'Alger à Lagos, contribuant au développement du Sahel, tout en reliant l'Afrique du Nord à l'Afrique subsaharienne.

Le premier chemin est horizontal. C'est celui de l'industrialisation du Nord de l'Afrique, de l'Égypte au Maroc. En effet, depuis 1980, presque tous les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée s'industrialisent. Ils substituent la production intérieure (voiture, mécanique, biens d'équipements...) aux importations. Sans rupture, le Maroc, la Tunisie, le Liban, la Turquie, et la Jordanie (1) sont devenus exportateurs de produits manufacturés, de machines et d'équipement de transport etc...

L'Algérie définit ses priorités industrielles

Consciente de son retard, l'Algérie accélère sa diversification économique. Le monde patronal et le secteur privé font de plus en plus entendre leur voix. Le thème de la diversification industrielle est au centre des réflexions et des propositions. Sont désormais considérées comme prioritaires les industries d'assemblage (automobile et technique), les industries de base (sidérurgie et pétrochimie), l'industrie agroalimentaire, l'industrie pharmaceutique, et l'industrie numérique.

L'Algérie prend ainsi, progressivement, avec une place centrale grâce à sa position géographique et à l'abondance de ces matières premières et énergétiques, le chemin de l'industrialisation de la rive Sud de la Méditerranée.

Car, il y a bien un mouvement historique, de grande ampleur, qui positionne le Nord de l'Afrique comme la grande zone industrielle en complément de l'Europe. La Ruhr du XXIe siècle pourrait être nord-africaine. Ce mouvement d'industrialisation au sud est entretenu et accéléré par, tout d'abord, le dynamisme extraordinaire des entrepreneurs locaux qui amènent les Allemands (2) à s'interroger « l'Afrique sera-t-elle l'Asie du XXIème siècle ? » .

Les bienfaits de la coproduction mieux compris

Ce mouvement d'industrialisation est conforté par les nouveaux comportements des entrepreneurs européens qui commencent à comprendre les bienfaits de la coproduction et du partenariat, avec un pied au Nord et un pied au Sud de leur chaîne de valeur. Cette stratégie leur permet d'une part de bénéficier de la proximité géographique et culturelle, et d'autre part de la complémentarité entre des pays matures et vieillissants au Nord, et des pays jeunes et émergents au Sud. Enfin ce mouvement est fortement accéléré par les Chinois qui vont délocaliser 85 millions d'emplois manufacturés en Afrique (3), et se positionner sur la rive sud de la Méditerranée pour approvisionner l'Europe. Ce mouvement est irréversible - le capital est à l'œuvre. Voilà pourquoi l'Algérie entend profiter de ce mouvement, tant ses richesses minières et humaines et sa « profondeur » africaine lui attribuent un rôle stratégique. Ce premier chemin d'industrialisation est d'autant plus pertinent pour engager le pays qu'il se croise avec un deuxième chemin Nord/Sud que les Algériens veulent et vont construire.

En effet, le second chemin, en chantier, est vertical Nord/Sud. C'est celui du transport, de la logistique de la communication, des connections gazières, et du développement du Sahel. Un grand axe est en chantier qui part du nouveau port de Cherchell, à l'ouest d'Alger, en direction de Tamanrasset, en passant par le Niger, le Mali pour aboutir à Lagos (Nigéria). Encore un grand projet d'infrastructure similaire au port de Hambourg exigeant quelque 3 milliards d'investissement et la coopération des Chinois. Il s'agit d'une nouvelle version de la Transsaharienne mais, cette fois, enrichie de zones industrielles, de zones franches, de technopoles et de clusters industriels. Une vraie dorsale qui reliera l'Afrique du Nord à l'Afrique subsaharienne en plein boom économique.

Les trois défis à relever par l'Algérie

Pour mener à bien ce grand projet géopolitique d'une Algérie à la croisée des chemins - celui de l'industrialisation dans l'espace euro-méditerranéen, mais aussi celui d'un ancrage africain Nord/Sud, trois difficultés sont à surmonter.

La première est de faire revenir « ses » élites algériennes de France, d'Europe et d'Amérique du Nord (Silicon Valley). Le retour de la diaspora a été opportunément utilisé par l'Inde et cela à grande échelle, en lui confiant le montage et la gestion des technopoles, des parcs industriels et des zones franches (Bangalore), transformant l'Inde en une immense technopole qui travaille, la main dans la main, avec des entreprises Américaines.

La seconde difficulté est de retrouver le chemin de l'intégration et de la coopération avec les autres pays du Maghreb, et en particulier avec le Maroc. L'Union du Maghreb permettrait ainsi de constituer un bassin économique intégré de 100 millions d'habitants véritable plateforme industrielle et logistique pour aller plus au sud, vers Afrique subsaharienne.

Enfin, la troisième difficulté, c'est peut-être de réconcilier, enfin, ces deux pays amis - la France et l'Algérie. Comment retrouver les chemins de la confiance si ce n'est en construisant ensemble un grand projet historique qui est celui de « l'Algérie à la croisée des chemins ». Les Algériens et les Français sont à la Méditerranée, ce que les Allemands et les Français sont à l'Europe : des frères ennemis qui doivent redevenir de vrais bons amis capables de construire ensemble leur avenir mais aussi l'avenir au sein d'un ensemble Afrique - Méditerranée - Europe, transformant les relations Nord/Sud en relations de confiance, de coproduction, et de mobilité généralisée.

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(1) J-L.Guigou, Michel Gonnet, Thibault Fabre. Etude IPEMED - l'Industrialisation du Nord de l'Afrique de l'Egypte au Maroc compatible avec la réindustrialisation de l'Europe. Novembre 2016.

(2) Christian Hiller Von Gaertringen - « Afrika Ist Das Neue Asien- Ein Kontinent im Aufschwung » 2014, Hoeffmann Undcampe.

(3) China's rise and structural transformation in Africa - Opportunities for Africa from China's Rise.  Oxford Handbook of Africa and Economics : Policies and Practices edited, Celestin Monga, Justin Yifu Lin, 2015.

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Commentaires 10
à écrit le 12/12/2016 à 3:20
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Il faut admettre que l'Algerie a fait des progrès considérables en terme d'infrastructure. Il manque peut être un grand port qui serait en négociation avec une entreprise chinoise avec le début des travaux en 2017. Ce pays a un souci dans sa balance...

à écrit le 11/12/2016 à 16:23
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Je pense que l Algerie devrait se rapproher des BRICS, les français profitent trop de l economie algerienne.....On assiste a une decheance française totale delocalisation, 8 millions de pauvres 5 millions de chomeurs La France fait partis du quar...

le 12/12/2016 à 3:23
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Je suis algérien et la France à un avenir en Algerie mais il faut quel change sa vision. Ce pays ne doit plus être un partenariat commercial mais une véritable politique d'investissement. Dans le cas contraire, il faudra penser à se rapprocher d'au...

à écrit le 11/12/2016 à 13:36
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Il y a plus de 30 ans la Tunisie a réussi à capter une partie de l'industrie textile française qui se delocalisait !30 ans de retard à cause de la rente pétrolière et d'une économie soit disant socialiste .Maintenant que le baril est à55 $ il faut se...

à écrit le 11/12/2016 à 11:30
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Les 3 défis de l'Algérie sont: 1-changement de la classe politique actuelle inadaptée aux éxigences d'aujourd'hui, 2-changement radical des lois en vigueur qui paralisent toute possibilité de "mvers l'avant", 3- faire de sorte que les jeunes veuillen...

à écrit le 10/12/2016 à 16:14
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voici un scénario de science fiction tant l'écart est abyssal entre la réalité et ce projet irréaliste et irréalisable dans une algérie aujourd'hui dominée par une dictature militaire instable.

le 10/12/2016 à 18:56
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ya pas plus dictateur que ton roi predateur, les algeriens eux peuvent et osent critiquer et meme insulter leur president et ministres partout ou ils se trouvent dans ce monde c'est une preuve de liberté contrairement a vous occupe toi de ton pays e...

le 10/12/2016 à 18:58
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Rien n'est impossible mais effectivement la situation du pays ne permet pas cette évolution .Les investisseurs sont limités par la règle des 49/51 %.le transfert des bénéfices n'est pas toujours facile .Le respect de la propriété industrielle ,par ex...

le 11/12/2016 à 11:37
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@Kader: pour avancer, il faut regarder droit devant et ne pas addosser ses échèques aux autres. Tu t'en es pris à Jean parce qu'il a exprimé une opinion qui ne te plait pas!!!!!! Et en une fraction de seconde, tu as identifié en lui ce qui semble etr...

le 12/12/2016 à 3:28
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Vous dites que l'Algerie est instable mais je vous assure que vous vous trompez. L’Algérie est entouré de pays instable et pourtant avez vous senti ce pays vacillé? Je pense que votre vision de l'Algerie est erroné et que ce pays est source de stab...

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