L'Opep hantée par la malédiction des matières premières

L'Opep et les autres pays producteurs ont décidé de maintenir leurs quotas de production en l'état pour neuf mois. Cette stratégie n'a pas eu jusqu'ici l'effet escompté sur les cours, en raison de la hausse de la production américaine. Elle illustre la perte d'influence de l'organisation sur le marché pétrolier et les effets pervers de la rente sur les économies de ces pays.
Robert Jules
La réunion de l'Opep, jeudi 25 mai, à Vienne (Autriche).

Les membres et non membres de l'Opep ont décidé, jeudi 25 mai, à Vienne de maintenir pour les neuf prochains mois leurs quotas de production au niveau de ceux fixés en novembre dernier. Ce choix n'a pas convaincu le marché, le cours du baril coté à New York, le WTI, perdant le même jour plus de deux dollars. Il évolue depuis sous le seuil des 50 dollars.

prix du baril

Le baril à moitié vide

Est-ce un échec ? Disons qu'on peut y voir le baril à moitié vide. Cet attentisme traduit d'abord la perte d'influence de l'organisation, et de leurs nouveaux amis, Russie en tête, sur les fondamentaux. En effet, en un peu plus de 6 mois, cette stratégie n'a pas réussi à faire baisser durablement les niveaux de stocks mondiaux. Pire, pour les seuls pays de l'OCDE, ceux de brut culminaient en mars à un pic historique de 1,235 milliard de barils, largement au-dessus de la moyenne de 5 ans (2012-2016) à 1,05 milliard de barils, selon le décompte de l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Toutefois, les efforts consentis, sous la forme de perte de parts de marché, ont permis de hisser les cours (du WTI) dans la fourchette des 50-55 dollars (même s'il a rechuté lourdement il y a quelques semaines), contre 40-50 dollars entre avril et novembre 2016. Visiblement, l'organisation s'en contente, tablant sur une baisse des stocks vers la fin de l'année.

Pris en tenaille

Les Etats producteurs de pétrole sont impuissants aujourd'hui parce qu'il sont pris en tenaille.

Premièrement, ils ont sous-estimé la capacité des producteurs américains indépendants à s'adapter. Ces derniers ont amélioré l'efficience technique pour pomper leur pétrole de schiste. Ils ont réduit de 40% leurs coûts de production. Désormais, leurs puits deviennent rentables en moyenne à partir de 45 dollars le baril.

L'Arabie Saoudite, qui avait inondé le marché il y a deux ans pour faire chuter les cours et envoyer au tapis ces producteurs, n'a donc pas gagné son pari. Les Etats-Unis sont aujourd'hui quasiment indépendants en matière d'énergie, avec des niveaux de stocks pétroliers historiquement élevés.

Premier consommateur mondial, les Etats-Unis sont moins obsédés par la nécessité de sécuriser leurs approvisionnements, notamment auprès de pays producteurs plus ou moins instables. Aussi, la prime géopolitique qui avait été un élément constitutif du prix depuis la première guerre d'Irak s'est considérablement réduite.

Par ailleurs, il faut rappeler qu'un prix du baril élevé est une forte incitation à développer les énergies renouvelables, plus faciles à soutenir politiquement en raison de la lutte contre le réchauffement climatique.

La Russie en récession depuis 2014

Deuxièmement, les pays dopés à la rente pétrolière sont devenus fragiles, par exemple la Russie dont l'économie est entrée en récession depuis le début de 2014. En effet, la stratégie de l'Opep visait d'abord à augmenter les recettes de ses membres et non membres pour pouvoir équilibrer les budgets publics.

Les pays de l'Opep ne perdent pas de l'argent avec le pétrole, le coût de production moyen d'un baril de brut s'élevant à 20 dollars. Mais cela reste insuffisant, surtout quand on s'est habitué par le passé à des prix tournant autour de 100 dollars.

Certes, chaque pays est plus ou moins gagnant. Ainsi, ramenés par habitant, les revenus pétroliers du Qatar sont 75 fois plus élevés que ceux du Nigéria, le pays le plus peuplé d'Afrique. Mais le problème est qu'ils baissent inexorablement ces dernières années.

Le revenu moyen par habitant tiré du pétrole passé de 3.000 à 1.000 dollars

Depuis 2012, le revenu moyen tiré du pétrole au sein de l'Opep est passé d'un peu moins de 2.700 dollars par habitant à 1.000 dollars en 2016. Plus spectaculaire, pour la seule Arabie Saoudite, qui représente quelque 30% de l'offre globale de l'organisation, ce revenu est passé dans la même période de 12.000 dollars par habitant à 4.000 dollars! Selon le FMI, Ryad a besoin désormais d'un baril à 83 dollars pour équilibrer son budget qui dépend à plus de 70% de l'or noir. Autant dire que cela relève aujourd'hui du mirage.

Si les Etats pétroliers ne peuvent plus compter sur ces revenus, il ne leur reste plus qu'à devoir réduire les dépenses publiques, et à se désintoxiquer de la drogue de la rente. A mener des politiques de rigueur, sans lesquelles ils se retrouveront dans la situation que connaît le Venezuela.

Le pays possède les plus importantes réserves mondiales de pétrole (conventionnel et non conventionnel) mais sa population connaît des pénuries alimentaires ! La gestion catastrophique du pays a conduit à une crise politique et à une montée de la violence qui menace de transformer la situation en chaos. Et c'est bien la gabegie budgétaire et non les menées de l'impérialisme yankee qui a conduit à cette situation déplorable.

Autre exemple, celui du royaume saoudien. Conscient du problème, le vice-prince héritier Mohammed ben Salmane a annoncé il y a un an un ambitieux plan de réformes. Mais n'est-ce pas déjà trop tard?

Le pays, de plus en plus militarisé, s'implique dans des conflits régionaux, notamment pour contrer l'influence de son ennemi traditionnel l'Iran, accentuant ses dépenses militaires. Dans le même temps, il doit faire face à une population croissante, majoritairement très jeune, qui supporte mal « l'austérité » de certaines mesures, comme la réduction drastique des subventions, ou encore la suppression des emplois garantis.

La mise en Bourse d'Aramco

Le royaume compte sur la mise en Bourse, au cours des 18 prochains moins, de l'Aramco, la société pétrolière publique (en fait royale). Mais la valorisation de cette introduction, qui sera la plus importante de toute l'histoire boursière, dépend étroitement du prix... du pétrole.

Que le prix soit à 30 dollars et ou à 70 dollars le baril, et la différence se comptera en dizaines de milliards de dollars dans les caisses de l'Etat.

L'Opep et les autres Etats producteurs n'ont plus de marges de manoeuvre. Soutenir le prix du baril, c'est augmenter la production des autres producteurs, Etats-Unis en tête, et donc, en retour, peser sur les cours.

Les pays producteurs doivent donc se contenter d'un cours qui évolue autour des 55 dollars et ajuster leurs budgets à cette nouvelle donne, en réduisant leurs dépenses et en accélérant la diversification de leur économie, pour éviter la classique « malédiction des matières premières ».

Robert Jules

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Commentaires 4
à écrit le 29/05/2017 à 1:52
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Vivement que les stocks se vident et qu on passe à autre chose...marre de polluer cette pauvre planète à outrance!

à écrit le 28/05/2017 à 18:21
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Bonne analyse, et au final le pétrole est en train de s'éradiquer tout seul. On est pas prêt de voir le pétrole à moins de 30 dollars c'est un fait mais dépassant 50 ça sera dur également. Espérons que cela permettra de financer des énergies ...

à écrit le 27/05/2017 à 18:10
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Habitant Houston, le prix de revient de de 5$ pour le shiste, ils ont de la marge !!

le 28/05/2017 à 15:55
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Ne confondez-vous pas le prix d'extraction (hors investissements, transport et stockage) et le prix de revient ?

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