Le corps et le sang d'Internet

Cela ferait un fabuleux scénario pour le James Bond des années 2020. Internet, qui régule désormais notre quotidien et fait tourner nos économies, a un corps, celui des câbles sous-marins qui traversent les mers et les océans et forment l'infrastructure invisible, mais vitale, par laquelle transitent à la vitesse de la lumière les milliards de milliards de données de nos vies connectées.
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

Quelque 430 câbles sont déjà en service dans le monde. Ils appartiennent à des opérateurs télécoms, à des investisseurs financiers et de plus en plus aux géants du Net dont ils représentent un actif stratégique. Constitués de fibres optiques de l'épaisseur d'un cheveu, ces câbles sont autant de cibles potentielles pour un hacking géant que pourrait opérer un génie du crime, le Spectre du XXIe siècle.

La carte des câbles sous-marins, que nous publions est l'épine dorsale de l'économie numérique : 99% des communications mondiales, qu'il s'agisse de la téléphonie ou d'Internet, transitent par le truchement de ces gros tuyaux. Et parfois, cela casse. En 2008, l'Égypte a été affectée pendant plusieurs jours par la rupture de deux câbles sous la Méditerranée. Alors que moins d'une vingtaine de ces câbles relient l'Europe et les États-Unis, on imagine sans peine l'impact d'une coupure accidentelle ou provoquée. C'est la raison pour laquelle ces autoroutes sous-marines du Web sont surveillées de près par les marines du monde entier. Ils sont devenus l'un des points névralgiques de la géopolitique mondiale, s'étendant sur des centaines de milliers de kilomètres, et l'objet de toutes les attentions des revues de prospective sur les risques du futur.

Corps et sang du dieu Internet, ces câbles vont continuer à se multiplier pour absorber la croissance exponentielle des fameuses datas, que nous produisons désormais en permanence parfois à l'insu de notre plein gré. Nous n'avons pas pleinement pris conscience de l'ampleur prise par ce déluge : selon une étude statistique de Today Domo, une société de marketing Web, intitulée « Data Never Sleeps », à chaque minute, en 2017, Google réalise 3,6 millions de recherche, 100 millions de spams sont envoyés, 4,2 millions de vidéos sont vues sur YouTube et 69.000 heures sont regardées sur Netflix, pour ne prendre que quelques exemples. Pour les géants du Web, les câbles sont une infrastructure essentielle et ils sont prêts à y investir des milliards. D'ici 2020, Amazon, Facebook et le japonais Softbank vont déployer Jupiter, un câble transpacifique de 14.000 kilomètres ayant une capacité de 60 térabits par seconde, raconte le magazine du futur Usbek & Rica qui interroge : va-t-on vers une privatisation des océans au profit des géants du net, seuls capables de financer de tels « monstres » ? À voir les projets des Gafam, on pourrait le penser.

Faut-il craindre aussi la grande « panne » d'Internet, qui nous condamnerait une « digital detox » sans doute bienvenue, mais menacerait gravement le fonctionnement de toutes nos infrastructures, de l'énergie aux marchés financiers ? Dans son roman Une toile large comme le monde, la Suisse Aude Seigne raconte comment une série de personnages tente d'éteindre Internet, en cherchant les moyens les plus appropriés :

« Coupure de câble. Catastrophe naturelle. Décision politique. Piratage informatique. Incendie/explosion/attentat dans un data center. Pandémie. Tempête solaire. »

Parmi les raisons invoquées, il en est une qui devrait attirer notre attention : Internet consomme une part croissance de notre énergie, dans des proportions folles : qui sait qu'Internet est devenu le troisième consommateur mondial d'énergie après la Chine et les États-Unis. En pleine COP23, le sujet mériterait d'être mis sur la table. À chaque fois que nous faisons une recherche en ligne, que nous regardons une vidéo, que nous envoyons un SMS ou un mail ou achetons du Bitcoin, nous pensons tout cela se passe gratuitement, sans fil, dans une sorte d'éther invisible. Bien au contraire, il s'agit d'actions physiques, matérialisées, traçables, qui franchissent en quelques millisecondes des distances énormes, d'un data center à un autre.

Philippe Mabille

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Commentaires 3
à écrit le 23/11/2017 à 12:01
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L'ennui, c'est que si quelques uns sont bien conscients de ces menaces, y' pas grand-monde pour y résister. Pire, le sens du vent technologique actuellement, c'est de tout connecter ensemble !!

à écrit le 23/11/2017 à 9:18
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Internet est un énorme consommateur d'énergie comme vous dites chaque clic, chaque recherche ne consomme pas beaucoup mais multipliés par des milliard cela devient un gouffre. Première mesure qui permettrait d'économiser beaucoup d'énergie c'est ...

le 23/11/2017 à 12:50
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Montrez l'exemple et arrêtez de troller sur l'UE et le grand capital responsables de tous les maux de ce monde.

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