De l'Arabie saoudite à la stagnation séculaire

Contrairement à ce qui était prévu, la baisse des prix du pétrole ne suffit pas à faire repartir vraiment la croissance européenne. En pesant sur les prix, elle contribue au contraire à une situation de stagnation séculaire. Par Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po

La chute des prix du pétrole, qui touche durement les économies des États du Golfe persique, loin de favoriser une reprise de la croissance dans les pays riches, a inversement consolidé une croissance faible, donnant corps au concept de « stagnation séculaire » énoncé en 2014 par Lawrence Summers, professeur d'économie à Harvard.

 Incontestablement, l'environnement stratégique des monarchies du Golfe a été profondément transformé : printemps arabes, chute spectaculaire des prix du pétrole, premières exportations énergétiques américaines qui ont mis fin à l'alliance traditionnelle entre Riyad et Washington, accord sur le nucléaire iranien, conflit en Syrie qui se transforme en « Guerre d'Espagne » du XXIe siècle, successions à Riyad et Doha...

 L'homme qui incarne le plus la transformation en cours est Mohammed Ben Salman, le fils du Roi, jeune prince saoudien de 35 ans, qui dirige de facto le Royaume et entend le moderniser. Il a présenté, le 25 avril dernier, la stratégie qui vise à libéraliser et à diversifier l'économie saoudienne. Il a pris pour modèle la ligne réformatrice de Mohammed Ben Zayed, jeune émir de 30 ans et prince héritier de l'Émirat d'Abou Dhabi. Et il entend promouvoir la transformation de l'économie saoudienne par ses déplacements notamment aux États-Unis, où il a rencontré les dirigeants des entreprises de haute technologie, et en France où il vient d'être reçu presque comme un chef d'État.

Un avenir dépendant des cours du pétrole

 Cependant, l'avenir des monarchies du Golfe reste profondément dépendant de l'évolution des prix du pétrole. Les investissements dans l'industrie pétrolière sont passés de 700 milliards de dollars en 2014 à 400 milliards en 2016, ce qui conduira mécaniquement, dans quelques années, à une baisse de la production alors que le monde semble en passe d'ouvrir une nouvelle ère industrielle « sans pétrole ».

Un marché d'une complexité sans précédent

 Or, pour la première fois, l'évolution des prix du pétrole a un effet inédit sur les économies occidentales. En effet, le marché pétrolier explique en grande partie les niveaux d'inflation très faibles aux États-Unis et en Europe, ce qui inverse le rapport économique traditionnel entre les prix du pétrole et le niveau de croissance des pays développés. La configuration actuelle du marché pétrolier présente un niveau de complexité sans précédent, tant du côté de l'offre (bouleversements en cours dans le Golfe, révolution des gaz de schiste), que de la demande (interrogations sur la soutenabilité de la croissance américaine et ralentissement chinois).

 La baisse des prix du pétrole ne réussit pas à faire repartir la croissance européenne qui reste durablement dépendante du quantitative easing. La stagnation séculaire, chère à Lawrence Summers, Robert Gordon ou James Galbraith, trouve ici une première traduction réelle. La chute des prix du pétrole, la baisse des gains de productivité et des taux d'intérêt historiquement bas aboutissent à une croissance quasi nulle. Cette situation doit inciter les Européens à repenser la politique économique au sein de la zone euro afin de relancer les investissements dans les secteurs à haute valeur ajoutée et éviter un déficit chronique de la demande. De ce point de vue, la convergence des vues économiques entre Paris et Berlin est une priorité absolue, alors que les élections générales se tiendront en 2017 des deux côtés du Rhin.

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Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, est membre du Conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique.

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Commentaires 4
à écrit le 01/07/2016 à 17:35
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Les 3% de croissance par an, c'est fini : démographie, et marchés saturés depuis longtemps. Mais il y a encore au moins deux vrais gisements à exploiter : les chômeurs, et l'immigration. C'est ce que font nos amis allemands, qui n'ont pas nos oeillèr...

à écrit le 01/07/2016 à 15:53
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Adam Smith avait déjà au XVIIIème envisagé la stagnation, puis le déclin du capitalisme. Nous y sommes. Le capitalisme est moribond, mais avant de mourir totalement, ses derniers soubresauts se feront certainement sur fond de guerre.

à écrit le 01/07/2016 à 12:26
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En effet la baisse du pétrole ne fait même que seulement compenser une partie de la baisse du pouvoir d'achat des ménages tellement la situation économique est calamiteuse. Sans hausse de pouvoir d'achat des ménages et donc de consommation, pas d...

à écrit le 01/07/2016 à 12:14
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"La chute des prix du pétrole, la baisse des gains de productivité et des taux d'intérêt historiquement bas aboutissent à une croissance quasi nulle" Vous êtes sûre que ce n'est pas plutôt la croissance quasi nulle qui a pour conséquence la chute de...

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