Les fondations actionnaires, avenir d'un nouveau capitalisme social ?

Les fondations actionnaires d'entreprises sont très utiles mais encore trop méconnues en France. Par Philippe-Henri Dutheil et Pierre Mangas Avocats Associés, EY Société d'Avocats

La loi du 2 août 2005 en faveur des PME, dite loi Dutreil, a fêté ses 10 ans l'an dernier, sans que l'on puisse dire qu'une de ses mesures phares - l'article 29 prévoyant la possibilité pour une fondation reconnue d'utilité publique de détenir des titres de société ou, inversement, pour une entreprise d'apporter des titres sociaux à une fondation - ait réellement atteint ses objectifs.

Cette loi répondait à une volonté politique de favoriser les transmissions de PME lors du départ en retraite des dirigeants, à titre gratuit ou par cession de valeurs mobilières, et ainsi assurer la pérennisation du tissu économique dans les territoires et préserver l'emploi.

 La fondation reconnue d'utilité publique, véhicule privilégié

La loi de finances rectificative adoptée le 29 décembre 2015 est venue offrir une possibilité supplémentaire : un groupe de sociétés peut désormais être détenu par un ou plusieurs organismes sans but lucratif (OSBL) et bénéficier d'une fiscalité propre au régime mère-fille lors de la distribution et redistribution de dividendes. Il est évident que parmi les OSBL visés, la fondation reconnue d'utilité publique sera le véhicule juridique privilégié comme fondation actionnaire, afin de servir un intérêt général conforme à ses statuts mais aussi incarner une nouvelle voie de transmission d'entreprise.

Malgré ce cadre juridique et fiscal favorable, on compte aujourd'hui moins de cinq groupes français ayant eu recours au dispositif de fondation actionnaire. La France fait pâle figure face à des pays comme le Danemark, où 20% des plus grandes entreprises nationales appartiennent à des fondations, et où l'on compte près de 1 350 fondations actionnaires.

L'utilité évidente de la fondation actionnaire

Méconnaissance, réticence des dirigeants à se dessaisir du capital de leur société, difficulté inhérente au droit civil français des successions... Comment expliquer que cet outil reste si peu utilisé en France ? Il est permis d'avancer que si la loi Dutreil a marqué les esprits, elle les a peut-être figés, en réduisant le recours à une fondation actionnaire à la situation d'un dirigeant sans descendance, ou à quelques rares familles ayant un sens aigu de l'intérêt général.

L'utilité de la fondation actionnaire dans l'économie réelle est pourtant évidente. La décision d'un entrepreneur et de son cercle familial de transmettre tout ou partie du capital de leurs sociétés peut être lourde de conséquences si un descendant direct ou collatéral ne peut ou ne veut reprendre l'entreprise, notamment pour les emplois et l'économie locale. La fondation actionnaire devrait pouvoir être plus systématiquement envisagée comme alternative dans ce cas de figure.

En pratique, l'entrepreneur renonce à une partie du produit de la vente de son entreprise, permettant à une fondation de bénéficier des dividendes dégagés par l'entreprise pour financer ses missions d'intérêt général. La fondation devient actionnaire de l'entreprise, soit directement, soit via une holding, et peut avoir - ou non - un rôle d'impulsion stratégique.

 Une décision irrévocable

Plusieurs contraintes expliquent que peu de dirigeants optent pour ce dispositif, à commencer par le caractère irrévocable de l'abandon de tout ou partie de l'entreprise au bénéfice de la fondation, sans retour en arrière possible. Les contraintes propres au régime successoral, notamment la réserve héréditaire, sont également assez fortes, bien que celles-ci puissent être atténuées par le mécanisme de renonciation anticipée à l'action en réduction (RAAR). La nécessité de mettre en œuvre de façon très structurée des modes de gouvernance distincts mais complémentaires au niveau de l'entreprise et de la fondation, notamment via l'interposition d'une holding entre la fondation et le groupe, ne doit pas être sous-estimée. Enfin, il faut anticiper le financement futur de la fondation par les dividendes de la société dont elle est actionnaire, qui implique nécessairement que cette dernière soit en bonne santé économique.

 Le dernier obstacle au développement des fondations actionnaires reste sans doute le manque de culture philanthropique du monde des affaires français. Mais l'émergence de jeunes entrepreneurs mécènes issus de l'économie numérique, ainsi que les réflexions sur l'investissement à impact social, sont de nature à changer la donne dans l'approche du capitalisme et la redistribution des richesses, et finiront peut-être par lever cet obstacle.

La loi Dutreil, dans la mouvance législative actuelle visant à libérer et moderniser l'économie, doit elle aussi évoluer de façon à donner à la fondation actionnaire une dimension plus ambitieuse que celle qu'on lui connaît aujourd'hui, pour servir les acteurs du monde économique et financier comme ceux de l'économie sociale et solidaire, et contribuer à redéfinir les contours de l'intérêt privé et de l'intérêt général.

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