Radicalisation, déradicalisation… Que savons-nous au juste ?

Les terroristes qui nous ont fait tant de mal ont eu besoin de soutien pour organiser leur action, logistique mais aussi psychologique. Il est temps de développer la recherche dans ce domaine. Par Pascal Moliner, Université Paul Valéry – Montpellier III
La police catalane sur le site de l'attaque de Cambrils qui a eu lieu jeudi 17 août 2017.

Depuis la course meurtrière de Mohamed Merah en 2012, les termes de radicalisation et de déradicalisation ont envahi le débat public français. D'abord proposés par les politiques, ils ont rapidement été relayés par les médias. Et selon un processus bien connu de « formalisme spontané » (Moscovici, 1961), ils sont venus combler notre ignorance.

Curieusement, alors que tout un chacun peut comprendre qu'il s'agit là de phénomènes d'ordre psychologique : comment et pourquoi un individu en vient-il à s'enfermer dans une croyance ? Quels sont les déclencheurs du passage à l'acte ? Quels processus d'influence et de résilience ? Les psychologues sont apparus étrangement absents du débat sur ces questions.

Comme on va le voir, c'est peut-être parce que, si nous disposons de cadres théoriques pour comprendre la radicalisation, nous sommes cruellement démunis pour entrevoir les prémisses d'une pratique psychologique de la déradicalisation.

Une psychologie sociale de la radicalisation

On le sait maintenant, la théorie paradoxalement rassurante du « loup solitaire » a fait long feu. Les processus qui conduisent un individu à commettre le pire sont évidemment sociaux. En première analyse parce qu'il s'avère que dans la plupart des cas connus, les terroristes qui nous ont fait tant de mal ont eu besoin de soutien pour organiser leur action. Mais plus profondément, parce que de toute évidence, ce soutien fut aussi psychologique. Dans cette perspective, la psychologie sociale nous fournit plusieurs cadres d'analyse pour comprendre le phénomène.

Le premier d'entre eux est probablement la théorie de l'identité sociale proposée par Tajfel au début des années 1970. Manifestement, le processus de radicalisation procède d'une rupture suivant laquelle un individu choisit une nouvelle identité, souvent objectivée à travers le choix d'un nouveau patronyme et d'un engagement nouveau dans une doctrine religieuse. Selon la théorie de Tajfel, ce type de changement s'explique par une insatisfaction liée à l'appartenance à un groupe que l'individu estime dévalorisé et duquel il va vouloir s'extraire. Cela passe évidemment par un tarissement des relations intragroupe habituelles et par l'instauration de nouvelles relations.

Le second cadre théorique utile est issu des recherches sur les phénomènes d'orthodoxie (Deconchy, 1971) et de conformité (Asch, 1956 ; Sherif, 1935 ; Latané, 1981). En intégrant un groupe cimenté par une doctrine, l'individu accepte de se soumettre à une instance régulatrice qui pourra lui dicter ses pensées et ses comportements. Par ailleurs, cette instance régulatrice fera en sorte que toutes pensées ou tous comportements hétérodoxes soient rapidement repérables et réprimandés. Cela passe, entre autres choses, par l'instauration de relations personnelles et privilégiées entre la nouvelle recrue et le représentant de l'instance régulatrice.

Enfin, le dernier cadre théorique pertinent est ici celui de l'engagement (Kiesler, 1971). Il est très probable que lors de leurs interactions, le recruteur propose à sa nouvelle recrue une série d'actes préparatoires qui vont le prédisposer à s'engager dans un cours d'actions conduisant à l'acte ultime. Parmi ces actes préparatoires, la conversion à l'islam ou la réaffirmation de l'attachement à cette religion paraissent évidemment incontournables.

On pourrait sans doute citer ici d'autres référents théoriques mais ceux que nous venons d'évoquer suffisent à se convaincre que la psychologie sociale s'est intéressée depuis longtemps aux phénomènes d'endoctrinement.

Vers une psychologie de la déradicalisation ?

Si l'on examine à présent la littérature scientifique sur les questions de déradicalisation, on ne peut que constater qu'elle est à la fois rare et contradictoire. En fait, les premiers à s'intéresser à cette question sont des chercheurs issus du domaine des sciences politiques étudiant les groupes terroristes apparus en Europe dans les années 1970 (Sommier, 2012). Assez curieusement, la littérature psychologique à ce propos est quasiment inexistante.

Le problème ne tient probablement pas à un simple désintérêt des psychologues pour la question. Il tient sans doute aussi à une double difficulté, d'ordre méthodologique et éthique.

Sur le plan méthodologique, l'éventuelle déradicalisation d'un individu suppose que l'on soit en mesure de surmonter deux obstacles. Celui auquel on pense en premier est évidemment lié à la doctrine. Peut-on convaincre quelqu'un que les idées auxquelles il croit sont erronées ? Ici, les travaux sur l'influence sociale nous fournissent quelques pistes qui pourraient être explorées. Mais ces travaux soulignent aussi la difficulté d'influencer quelqu'un lorsque cette influence constitue une menace identitaire. C'est-à-dire lorsque l'adhésion à une reconversion revient à renier le sentiment d'identité nouvellement construit et conforté par un engagement fort. En d'autres termes, le processus de déradicalisation suppose que l'on soit en mesure de convaincre quelqu'un qu'il s'est trompé sur la doctrine, mais également sur lui-même.

Sur le plan éthique, la difficulté que l'on entrevoit réside dans les limites que peuvent se fixer nos démocraties au regard de la menace terroriste. Nous accordons-nous le droit d'attenter aux identités individuelles ? Même si ces identités constituent des menaces ? En effet, si tant est que déradicaliser un individu soit possible, cela reviendrait à modifier profondément la nouvelle identité qu'il s'est forgée en se radicalisant. C'est-à-dire à l'amener à renoncer aux choix d'appartenance et de différenciation sur lesquels il a fondé son nouveau Soi. Sommes-nous disposés à développer des recherches et finalement des pratiques dans cette direction ?

Par exemple, nous savons comment implanter de faux souvenirs dans la mémoire d'un individu.

On sait aussi que, sous certaines conditions, l'immersion dans un univers virtuel peut avoir des effets non négligeables sur les comportements, y compris lorsque ces derniers se déploient ensuite dans la réalité. On imagine quelles utilisations pourraient être faites de ces techniques en matière de déradicalisation. Mais sommes-nous prêts à tester leur efficacité ? Et trouverions-nous un consensus à propos de telles pratiques de manipulation ?

Plaidoyer pour la recherche

Nous avons tous compris que la menace terroriste qui pèse sur nos démocraties risque de durer longtemps. Et nous ne pouvons que constater l'échec des dispositifs de déradicalisation expérimentés à ce jour. Pour l'instant, l'essentiel de notre réponse à cet état de fait n'est autre que juridique (état d'urgence) et policière (renseignement). Mais il conviendrait sans doute de mieux comprendre le phénomène auquel nous sommes confrontés afin de mieux le combattre. Dans cette perspective, il semble urgent de mobiliser nos ressources intellectuelles autour de la question de la déradicalisation.

The Conversation ______

Par Pascal MolinerProfesseur de psychologie sociale, Université Paul Valéry - Montpellier III

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaires 2
à écrit le 18/08/2017 à 18:38
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Dans le cas de ei, c'est de la vengeance. La haine et la vengeance sont le symbole du mal,c'est de la déchéance humaine. La théorie devrait reposer sur le concept de la vengeance, quelqu'un qui veut se venger, n'a peur de rien sinon il ne se veng...

à écrit le 18/08/2017 à 16:36
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L'avantage c'est que des individus tests pour expérimenter des méthodes de dé-radicalisation sont nombreux, il suffit d'aller chercher les soldats FN d'internet. Si vous arrivez à éliminer le racisme et donc la peur qui les domine vous arriverez ...

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