Bertrand Piccard : "Au sein de l'Alliance, nous travaillons sur les solutions, pas sur les problèmes"

Le 13 octobre dernier Bertrand Piccard et Anne Hidalgo - accompagnée de son adjoint Jean-Louis Missika - ont signé une déclaration commune affirmant leur « volonté d’établir une coopération et de développer des synergies […] en vue de promouvoir et de mettre en œuvre des solutions innovantes permettant d’atteindre les objectifs de la COP21. La Tribune a assisté à cette rencontre.
Dominique Pialot
Entretien entre Anne Hidalgo et Bertrand Piccard le 13 octobre 2017

Bertrand Piccard, psychanalyste et aérostier, est à l'origine de Solar Impulse, le premier avion zéro-carburant à l'autonomie perpétuelle avec lequel il a réalisé un tour du monde de 40.000 kilomètres parcourus en 15 mois sans aucune goutte de  carburant, qui s'est achevé en juillet 2016. Lancée lors de la COP22 à Marrakech en novembre 2016, son nouveau défi, l'Alliance mondiale pour des solutions efficientes vise à recenser 1.000 solutions rentables pour la transition énergétique, qui seront présentées à la COP24 en 2018, puis aux gouvernements du monde entier. Ces solutions seront sélectionnées par l'Alliance avec le soutien d'institutions telles que l'Agence internationale de l'énergie, la Commission européenne, la Banque européenne d'investissement, l'Union pour la Méditerranée. L'Alliance est financée par la Fondation Solar Impulse, avec le soutien de partenaires tels que Nestlé Research, Covestro, Solvay, Engie, Nestlé Research, Air Liquide et quelques donateurs privés.

_______

ANNE HIDALGO - Je pêche peut-être par optimisme, mais malgré la polémique suscitée par la fuite concernant la disparition progressive des voitures à essence (dans le cadre de la présentation du plan climat 2020/2030, ndlr), j'ai l'impression que les gens comprennent. Même si l'on a des détracteurs, des gens qui réclament « encore une minute, Monsieur le bourreau », j'ai l'impression que le débat sur la politique des bobos est un peu derrière nous. Pour la plupart, les gens interrogés dans la rue à ce sujet estimaient que l'horizon de 2030 laissait le temps de s'adapter et approuvaient la direction prise.

BERTRAND PICCARD - Dommage que je n'aie pas été interviewé, j'aurais adoré ! je suis persuadé que la transition va se faire beaucoup plus rapidement et facilement que ce qu'on pense aujourd'hui. Mais en termes de communication, cela aurait rendu la perspective (de viser la disparition des voitures à essence d'ici à 2030, ndlr) plus séduisante si vous aviez annoncé la réouverture des voies sur berge  en les réservant aux voitures électriques et hybrides. Cela aurait fait rêver les automobilistes, et donné de l'élan à la voiture électrique.

A.H. - Cela aurait pu être une bonne idée si nous avions eu le temps de le faire avant de fermer les voies. Mais maintenant, même si nous avons laissé une voie disponible pour les véhicules de service, c'est devenu un parc, un lieu paisible, mais plein à craquer lorsqu'il fait beau comme ces jours-ci. On ne peut pas revenir en arrière.

B.P. - Il faudra le faire sur les prochaines voies de circulation visées.

JEAN-LOUIS MISSIKA - On milite pour ça pour les accès à Paris par l'autoroute, et on pourrait l'imaginer aussi pour le périphérique par exemple.

A.H. - Nous avons sans doute été un peu faibles en matière de communication. Mais nous avions l'impression que la nécessité de diminuer la place de la voiture en ville était reconnue de façon un peu plus unanime.

B.P. - Il faut montrer aux gens que ça va être bien, leur redonner de l'espoir, de l'élan. Au sein de l'Alliance, nous travaillons sur les solutions, pas sur les problèmes. Mais il faut aussi axer le discours sur la santé. Beaucoup de gens se moquent des phoques et des ours blancs, mais nettement moins du cancer du poumon. Il faut trouver comment financer les véhicules électriques avec l'argent économisé sur la santé publique.

A.H. - Oui, coïncidence, le jour où nous présentions notre projet de plan climat, l'Agence européenne de l'environnement publiait une étude montrant que la pollution est responsable de 500.000 morts par an en Europe.

B.P. - Mais j'ai aussi lu que si toutes les voitures françaises devenaient électriques cela nécessiterait une centrale nucléaire supplémentaire. Mais en Suisse, les LED, les pompes à chaleur et les bâtiments bien isolés permettent d'économiser la production de deux centrales (alors que le pays en compte cinq, ndlr).

J-L.M. - Il faut aussi réfléchir à l'échange d'énergie entre les bâtiments et les voitures électriques. Elles ne sont pas seulement consommatrices d'électricité, mais elles peuvent aussi contribuer à lisser la pointe de consommation (en fournissant une solution de stockage capable d'injecter de l'électricité dans le réseau, ndlr).

A.H. - Oui mais notre objectif n'est pas de remplacer toutes les voitures thermiques par autant de voitures électriques. Nous cherchons surtout à faire disparaître l'idée d'utiliser sa voiture seul. Ce sont aussi des systèmes d'autopartage, quelle que soit leur nature, qui le permettront. Nous avions fait une étude montrant que 3.000 Autolib peuvent remplacer 15.000 véhicules.

J.L.M. - Il faut aussi se projeter dans la perspective de l'avènement du véhicule autonome. Capable de fonctionner 24/24 7/7, il peut permettre de diminuer de 90% la quantité de voitures en circulation.

A.H. - Oui, c'est un peu comme un manège qui ne s'arrêterait jamais.

J-L.M. - Etes-vous favorable à la livraison par drone pour régler le problème du dernier kilomètre ?

B.P.-  Comme je ne suis ni contrôleur aérien, ni la DGAC, je suis fan de l'idée de la pizza livrée par drone...Plus sérieusement, je pense que la solution consiste à séparer contrôles individuel et collectif : on aura des flux de drones, qui fonctionneront un peu comme des trains, et c'est seulement pour les derniers mètres lorsqu'un drone quittera son « train » qu'il faudra activer le contrôle individuel.

A.H. - La loi nous autorise maintenant à créer un fonds d'investissement, nous lançons un marché public pour trouver un gestionnaire. Par exemple pour Sea Bubble, un dossier sur lequel j'oeuvre auprès de la préfecture de région et où Nicolas (Hulot) peut peut-être nous aider (pour autoriser leur navigation au-dessus des vitesses jusqu'ici autorisées, ndlr) ils n'ont pas vocation à gérer une flotte de taxis sur la Seine. Mais nous, nous  pourrions utiliser ce fonds pour valider l'existence d'un modèle économique. Ce fond sera doté d'un board d'investissement et d'un board d'orientation des projets, auquel j'aimerais que Bertrand puisse siéger.

B.P. - Les sources de financement viendront, car ce sont des projets rentables. Aujourd'hui, les taux d'intérêt sont très bas, voire négatifs, et il y a beaucoup de capitaux qui cherchent où s'investir et s'intéressent à notre Alliance. Il existe suffisamment de solutions aujourd'hui pour diviser par deux la consommation mondiale d'énergie et les émissions de CO2. Et il est possible de produire la moitié de l'énergie qu'on consomme aujourd'hui à partir de sources renouvelables. C'est pour faire émerger ces solutions, qui sont inventées par des startups, des universités ou des grandes entreprises, et dont les États n'ont pas conscience, que nous avons créé l'Alliance. Le problème c'est qu'aujourd'hui on ne fonde pas les objectifs climatiques sur la réalité de ce qui existe. Le grand public est prêt pour les nouvelles technologies quand on les lui apporte, mais les législateurs doivent fixer des objectifs plus ambitieux.

C'est pour cela que nous allons sélectionner 1.000 solutions rentables - j'insiste sur ce point - pour les apporter aux gouvernements, aux villes, aux régions...du monde entier. Nous ferons se rencontrer gratuitement des entreprises en recherche de fonds et des investisseurs. C'est pour ça que je referai un deuxième tour du monde (en avion électrique, ndlr).

A.H. - Nous organisons du 22 au 24 octobre dans le cadre du C40 et en présence de Mike Bloomberg un événement baptisé « Together4Climate », qui rassemblera 40 maires du monde entier et 30 chefs de grandes entreprises dont les activités sont liées aux collectivités locales (construction, transport, etc.) Une sorte de « Davos des villes. »  Lors du sommet climat voulu par Emmanuel Macron le 12 décembre prochain (pour l'anniversaire de la COP21, ndlr), nous organiserons également un événement avec le C40, toujours en présence de Mike Bloomberg et, j'espère, de Leonardo di Caprio (déjà présents lors du sommet des 1000 maires en décembre 2015 en amont de la COP21, ndlr). Les terrains d'application des éco-innovations sont souvent de grandes villes.

B.P. - C'est magnifique de pouvoir accueillir dans l'Alliance tout l'écosystème de la région parisienne, et de faire profiter Paris des solutions que nous y sélectionnerons. Paris2024 va être un formidable laboratoire pour tester ces solutions. Nous allons nouer un accord similaire avec Mexico City. Les villes sont souvent plus ambitieuses que les pays et expriment leurs objectifs avec plus de conviction.

Gauche, droite, écolos, industriels...nous avons besoin de cet accord entre tous pour que cela fonctionne. Le nouveau binaire, ça n'est plus droite contre gauche, mais vieux trucs polluants contre nouvelles solutions propres et performantes. À la COP21, les États voulaient aller plus vite que les entreprises, aujourd'hui, c'est l'inverse.

On parvient beaucoup mieux à inciter les gens à la transition, y compris à des comportements de sobriété, avec des solutions technologiques innovantes qu'avec des solutions comportementales.

Dominique Pialot

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 27/10/2017 à 13:59
Signaler
Voila un débat entre deux (comment dis t'On?) Il est rassurant de voir ce genre de démarches disons proactive (mais tardive) de la part d’élus en responsabilité et d’un « leader d’opinion » soucieux de la préservation de l’espèce humaine. Bref pas ...

à écrit le 18/10/2017 à 12:18
Signaler
Il est rassurant de voir ce genre de démarches disons proactive (mais tardive) de la part d’élus en responsabilité et d’un « leader d’opinion » soucieux de la préservation de l’espèce humaine. Il faut admettre qu’il n’est pas facile d’essayer de rég...

à écrit le 18/10/2017 à 9:56
Signaler
"des gens qui réclament « encore une minute, Monsieur le bourreau »" Ces "gens" qui réclament un peu de temps ce sont les pauvres, ceux qui sont sous payés et passent trois heures de bouchons pour venir bosser dans la capitale parce que les servi...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.