A l’heure de Trump, les villes en résistance

C'est le futur d'une politique de cohésion urbaine, territoriale et sociale, qui est en jeu avec l'élection de Trump, et dont on peut présager le pire dans les mois et années à venir.
Au lendemain de l'investiture de Donald Trump, des manifestations de masse ont agité les villes des Etats-Unis et du monde entier. L'inquiétude est manifeste à l'égard d'une nouvelle présidence fondée sur le populisme, la démagogie et la personnalisation à outrance du pouvoir.

La présidence de Barack Obama appartient maintenant à l'histoire. Une nouvelle ère s'ouvre pour l'Amérique et pour le monde avec la prise du pouvoir par Donald Trump. Au lendemain de son investiture, des manifestations de masse ont parcouru les villes des Etats-Unis et du monde entier. L'inquiétude est manifeste à l'égard d'une nouvelle présidence fondée sur le populisme, la démagogie et la personnalisation à outrance du pouvoir. Faisant table rase du passé, il signale sur Twitter quelques heures avant la cérémonie que « tout commence aujourd'hui » et, dans son discours, que les « hommes et les femmes oubliés de notre pays, ne le seront plus jamais ». « Les américains de chaque ville, proche ou lointaine, petite ou grande, d'une montagne à l'autre, d'un océan à l'autre, vous ne serez pas oubliés de nouveau », a t-il ajouté.

Le site web de la présidence vidé de toute allusion au climat

Une minute après l'investiture, le nouveau site web officiel du 45e président des Etats-Unis faisait disparaître, entre autres, toute allusion au changement climatique, et plus grave encore, affichait ses convictions en première ligne :

« Le Président Trump s'est engagé à éliminer les politiques nuisibles et inutiles comme le Plan d'action climatique ».

En assumant le lendemain ses fonctions exécutives, son premier décret concerne sa volonté de s'attaquer à la loi de protection assurance maladie « Affordable Care Act », dite « ObamaCare », que l'ex-président Obama avait réussi à mettre en place avec beaucoup de difficultés et qui, de fait, a été très diminuée dans sa portée.

Donald Trump Président se revendique de « donner le pouvoir au peuple » ; il n'en demeure pas moins, que pour tous les historiens, scientifiques, intellectuels, analystes,  lanceurs d'alerte, le « fact checking » demeure aujourd'hui une impérieuse nécessité pour passer au crible, chacun dans son propre domaine de compétences, l'avalanche de manipulations qui se trouvent derrière chacune des affirmations éhontées lancées à la cantonade ubiquitaire et sans le moindre scrupule.

Quid de la capacité à affronter vrais défis et problèmes de fond

Cela peut prêter à rire, mais reste néanmoins préoccupant : le #SpicerFacts a fait le tour des réseaux sociaux, glorifiant « une assistance jamais vue à une investiture », et nous sombrons davantage lorsqu'il en va de nier la météo et la pluie qui tombait pendant l'allocution du nouveau président. Quid alors de la vérité et de la réelle capacité à affronter vrais défis et problèmes de fond ?

Pour tous ceux qui considèrent que la ville et nos territoires sont un élément central pour nos vies, c'est le futur d'une politique de cohésion urbaine, territoriale et sociale, qui est en jeu et dont on peut présager le pire dans les mois et années à venir. Nous ne devons jamais oublier que quand Barack Obama est arrivé au pouvoir en 2008, les Etats-Unis se trouvaient plongés dans l'une des plus graves crises économiques jamais connues, « les subprimes », qui a secoué non seulement les Etats-Unis, mais le monde entier. Ce fut une crise avant tout d'origine citadine, qui a profondément marqué l'espace urbain, et les territoires de ce pays. La financiarisation à outrance du rêve de l'accession à la propriété a donné lieu à une bulle. En explosant, elle a mis des millions d'urbains américains expulsés de leur logement à la rue ; elle a vidé des quartiers entiers. La faillite du système bancaire qui s'en est suivi, et ses répercussions internationales, sont allés de pair avec une transformation de la géométrie urbaine à travers le pays.

Blocage urbain et explosion de la ségrégation sont à craindre

Malgré un indéniable charisme, et un total engagement concernant son programme, le bilan de la double mandature du président Obama reste à cet égard ambigu et dans tous les cas inachevé[1]. Nous n'avons pas assisté à un grand bouleversement concernant la politique urbaine, tout au moins via la politique fédérale, et le chantier est encore immense. Pour autant, si tout est jeté aux oubliettes ou pire, si une politique d'effacement, voire de bannissement de toute action urbaine inclusive, vient à déboucher sur un blocage urbain, alors une explosion de la ségrégation, de la violence culturelle et raciale tous azimuts, avec le mépris de l'autre en bandoulière, serait à craindre dans les années à venir qui risqueraient d'être très difficiles à vivre en Amérique.  A cet égard, le rôle des villes comme lieu refuge, avec le rôle central des maires, protecteurs et moteurs d'une action politique urbaine inclusive et bienveillante est majeur aujourd'hui.

S'agissant des problématiques qui sont au cœur du bien-vivre dans la ville, les budgets fédéraux pendant l'administration Obama furent somme toute assez modestes. Encore davantage dans un pays qui souffre, dans les petites et moyennes villes, ainsi que dans les milieux suburbains des grandes villes du mal de vivre urbain, de l'accroissement des inégalités, de la fragilité de la protection sociale, de graves problèmes liés au logement pour les classes défavorisées, de l'appauvrissement de villes entières, de la persistance de conflits raciaux et de violences.

Trois composantes de la dynamique urbaine héritée d'Obama

Mais, en même temps, nous pouvons identifier trois phénomènes d'une nouvelle dynamique urbaine dans l'héritage du président Obama :

- la présence évidente, en particulier dans le nord, d'un enjeu urbain culturel et social majeur concernant la ségrégation raciale et la violence sous-jacente, manifeste lors des émeutes à Fergusson en 2014, qui reste un mal qui ronge et traverse toute la société américaine, avec en toile de fond, l'importance de l'éducation, de la pédagogie et de la culture, pour construire une nouvelle urbanité;

- la mobilisation d'une vitalité urbaine, à caractère citoyen, développée dans le contexte des villes qui se mobilisent pour reconstruire leur tissu social, économique, culturel et environnemental. Pour l'illustrer, le développement des « community organizing », comme expression d'espaces urbains de quartier rassemblant des énergies locales, instaure une nouvelle manière de participer via la « démocratie d'interpellation », dans un pays où l'abstention est l'un des symptômes de son mal-être démocratique;

- l'effet systémique de mesures prises par l'Etat Fédéral, qu'elles soient afférentes au développement social, à la qualité de vie des personnes âgées, ou aux efforts autour de la mobilité. A cet égard, l'Obama Care, joue sans aucun doute un effet démultiplicateur de bien-vivre et de paix sociale, grâce par exemple, au maintien à domicile de personnes âgées ou en perte d'autonomie, qui peuvent en même temps, être prises en charge, exister socialement et jouer un rôle amortisseur dans leurs lieux de vie, face à de nouvelles générations ou des situations socialement anxiogènes. C'est aussi le cas pour les investissements en termes de mobilité et transports, permettant de donner une meilleure accessibilité aux besoins primaires de déplacement, avec des projets emblématiques, comme celui de Smart Columbus, Ohio.

Les priorités du nouveau président sont ailleurs

La lecture attentive des priorités thématiques du nouveau président Donald Trump affichées dans le nouveau site de la Maison Blanche, passent sous silence ces enjeux : « American first energy plan, American first foreign policy, Bringing back jobs and growth, Making our military strong again, Standing up for our law, Trade deals working for all Americans. »

Comment alors ré-enchanter un pays sans ré-enchanter ses villes, sans développer leur bien vivre ? A titre d'hommage, laissons les mots de la fin à l'inoubliable urbaniste américaine Jane Jacobs, dont nous avons fêté en 2016 le centenaire, et qui a incarné les combats en faveur d'un urbanisme pensant les hommes et la vie au centre. Elle écrit dans « The Death and Life of great american Cities » que les villes et voisinages sont beaucoup plus que des piétons, que des endroits physiques, et beaucoup plus que des moteurs d'innovation et de croissance économique. Pour elle, les villes sont en réalité les meilleurs remparts contre les forces de l'obscurité qui s'opposent au progrès social, de la civilisation humaine qui menacent même la démocratie.

Le plaidoyer de Jane Jacobs pour la vitalité urbaine toujours d'actualité

Donald Trump se vante « de s'y connaître dans le bâtiment », en parlant du mur qu'il compte élever face au Mexique. Mais l'heure est à bâtir des villes inclusives qui partagent le même combat que celui que Jane Jacobs a engagé dans sa vie.  Avec courage, elle a dénoncé les centres-villes devenus des centres d'affaires, et les banlieues interminables et inaccessibles sauf par les autoroutes, autant de villes fantômes et inhumaines pour des travailleurs appauvris.

Le plaidoyer de Jane Jacobs pour la vitalité urbaine reste d'actualité, et dans ces temps troubles, plus que jamais la prééminence de sa pensée reste vivace pour nous rappeler que, dans chacun de nos pays, chacune de nos villes a une âme, une identité, une humanité, qui constitue un socle, celui d'une véritable expression citoyenne pour pouvoir construire des pays où il fera bien vivre.

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[1] A lire, l'excellent numéro de la Revue Urbanités de novembre 2016 « Les villes américaines de l'ère Obama : quels héritages ».

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Commentaires 3
à écrit le 25/01/2017 à 17:34
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On parle de Trump, on le critique, on le dénigre comme s'il était en campagne électorale, or il a été élu et élu selon un système parfaitement légitime. Quelle conception avez-vous de la démocratie pour remettre en question son élection ? L'attitude ...

à écrit le 25/01/2017 à 8:43
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et un article de propagande en plus , un! foutez la paix à Trump : quand Obama a été élu , ceux à qui il déplaisait souverainement ne l'ont pas harcelé comme vous le fates maintenant , non? vous n'êtes pas des démocrates , vous présentez de dangereu...

le 25/01/2017 à 18:50
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Je suis tout à fait d'accord avec vous et je m'étonne que les journalistes cautionnent le comportement foncièrement anti-démocratiques de ces manifestants.

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