Télécoms : l’Etat doit-il sortir du capital d’Orange ?

Alors que l’argent manque dans les caisses publiques, le prochain président pourrait être tenté de vendre ou de réduire la participation de l’Etat dans Orange. Deux favoris dans la course à l’Elysée, Emmanuel Macron et François Fillon y songent depuis longtemps. Reste qu’une telle initiative aurait des conséquences lourdes pour tout le secteur, et suscite bien des débats.
Pierre Manière
Stéphane Richard, le PDG d'Orange.

Tous les politiques, de tous les bords, ne le savent que trop bien : les caisses publiques sont désespérément vides. Dans ce contexte, la tentation de vendre certains bijoux de famille est grande. C'est pourquoi beaucoup songent à une sortie de l'Etat du capital de l'opérateur historique Orange. Pour rappel, l'Etat, avec 23% des parts, est toujours le premier actionnaire de l'ex-France Télécom. Au cours actuel de l'action, qui avoisine les 14 euros, le numéro un français des télécoms est valorisé près de 38 milliards d'euros. Si l'Etat décidait aujourd'hui de vendre ses parts, il pourrait donc, sur le papier, récupérer pas loin de 9 milliards d'euros.

On comprend mieux, dès lors, pourquoi plusieurs favoris dans la course à l'Elysée réfléchissent sérieusement à privatiser l'opérateur. A commencer par François Fillon : lors d'un meeting dans la Sarthe, début décembre, le candidat de la droite et du centre a déclaré vouloir « reprendre les privatisations » dans les entreprises « où la participation de l'Etat ne sert à rien ». Avant de faire directement référence à Orange. Cette position est à prendre très au sérieux, d'autant que François Fillon connaît bien les télécoms. C'est notamment lui qui, en tant que ministre du secteur lors du premier mandat de Jacques Chirac, a piloté la libéralisation du secteur entre 1995 et 1997.

Emmanuel Macron, lui aussi, songe à diminuer la participation de l'Etat dans Orange. En mai 2016, lors d'une audition au Sénat - il était alors ministre de l'Economie -, le leader d'En Marche! s'est montré favorable à « un allègement » de la part de l'Etat dans l'opérateur historique. Ce mois-ci, il est revenu sur sa position dans un entretien au site Electron Libre : « Orange n'est ni une entreprise du secteur nucléaire ou de la défense, ni une entreprise assurant un service public en monopole », a-t-il indiqué. Cela dit, Emmanuel Macron a plusieurs fois constaté que cette participation permettait à l'Etat de peser dans le plan France Très haut débit. Il est vrai que si SFR s'active, Orange demeure la locomotive de cet immense chantier, qui vise à déployer la fibre dans tout l'Hexagone à horizon 2022. En clair, à en croire Emmanuel Macron, une privatisation totale serait donc malvenue avant cette échéance.

Beaucoup, dans la sphère politique, partagent l'analyse d'Emmanuel Macron. D'autres, en revanche, militent pour un gel pur et simple de la participation de l'Etat dans Orange. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, ils jugent que disposer partout d'une bonne connexion Internet fixe et d'un bon réseau mobile est devenu aussi vital qu'un accès à l'électricité ou à l'eau courante. Sous ce prisme, pas question de laisser les clés du secteur au privé. Lequel, pour des raisons de rentabilité économique, serait par exemple tenté de délaisser la couverture des campagnes et des zones les moins denses du territoire. Ce qui aboutirait, à terme, à accroître la fracture numérique vis-à-vis des grandes agglomérations.

L'Etat, « un handicap » ?

Outre ces considérations, la présence de l'Etat au capital d'Orange est parfois perçue comme un boulet pour le développement et l'essor du groupe. Elle constituerait même « un handicap », a mitraillé la Cour des comptes dans un rapport au vitriol début janvier. Dans son épais dossier à charge, l'institution dirigée par Didier Migaud a notamment fait référence à l'échec du rachat de Bouygues Telecom par l'ex-France Télécom au printemps 2016. A ce moment-là, Bouygues, la maison-mère de Bouygues Telecom, voulait troquer son opérateur contre une belle participation dans Orange. Mais de peur d'être trop dilué et de perdre la main sur le groupe, l'Etat actionnaire a fixé des exigences jugées inacceptables par le géant du BTP. Ce qui a largement participé à faire capoter l'opération.

Pour Stéphane Richard, le PDG d'Orange, avoir l'Etat comme principal actionnaire n'est pas toujours simple. En témoignent, selon lui, les relations difficiles avec certaines collectivités, qui exigent parfois que l'opérateur historique commercialise ses offres sur leurs territoires, comme au temps où le groupe était un service public en monopole. L'an dernier dans nos colonnes, il a, fait rare, poussé un sacré coup de gueule à l'égard de certains élus : « Vous ne pouvez pas exiger [...] d'une entreprise cotée comme Orange d'amener ses clients sur commande, s'est-il agacé. Il y a des limites à respecter. La Direction générale des télécoms, c'est fini depuis longtemps. Nous sommes une entreprise qui doit rendre des comptes à ses actionnaires. » Avant d'indiquer qu'Orange ne viendrait sur certains territoires qu'« en fonction de son seul intérêt économique ».

Important lobbying d'Orange

Sous un autre prisme, la présence de l'Etat au capital d'Orange apparaît dans certains cas comme un problème pour le développement de l'industrie des télécoms, dans la mesure où l'exécutif favoriserait parfois l'opérateur historique - ou serait trop sensible à son lobbying - vis-à-vis des autres acteurs du secteur. A ce sujet, la voie choisie pour déployer l'Internet fixe à très haut débit en France interpelle. En 2010-2011, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a arrêté les règles du jeu de l'actuel plan France Très haut débit, dont le coût est aujourd'hui estimé à environ 20 milliards d'euros. A l'époque, l'exécutif a fait le choix, économique et politique, de privilégier Orange et les grands opérateurs privés.

Un point, en particulier, fait toujours jaser : à travers un accord toujours d'actualité, Orange et SFR ont pu préempter les territoires des zones dites « moyennement denses » (les périphéries des grands centres urbains et les villes moyennes, soit 14 millions de locaux et logements), en formulant de simples promesses, suivies d'engagements peu contraignants, de couverture en fibre optique à horizon 2020. Tandis que les territoires estampillés « très peu denses » - soit les zones rurales jugées non rentables par les grands opérateurs - ont échoué dans l'escarcelle des collectivités. Lesquelles ont la charge d'y déployer leurs propres réseaux, dits « d'initiative publique » (ou RIP), en bénéficiant d'aides de l'Etat.

La grogne des collectivités

Pour Orange et SFR, mais aussi Free et Bouygues Telecom qui co-investissent à leurs côtés dans ces territoires moyennement denses, ces règles du jeu leur garantissent d'être in fine propriétaires des réseaux en fibre optique les plus rentables - et donc d'en verrouiller au besoin l'accès à la concurrence. Tandis que les RIP - qui par défaut sont neutres et ouverts à tous les opérateurs quelle que soit leur taille - ne peuvent s'étendre sur les territoires préemptés pour profiter d'une péréquation financière entre les zones moyennement denses et les zones peu denses. Car si les collectivités décident d'y aller, elles perdent d'emblée toutes leurs subventions.

Cette situation créée énormément de tension entre Orange et SFR d'un côté, et les collectivités de l'autre. A La Tribune, les premiers assurent qu'ils tiendront leurs promesses de déploiement de la fibre. A l'opposé, beaucoup d'élus et industriels des RIP, jurent que ce ne sera pas le cas. Pour preuve, ils arguent que moins de 20% de la zone moyennement dense est aujourd'hui couverte, et brandissent le spectre d'une nouvelle fracture numérique. C'est notamment le cas de Patrick Vuitton, le délégué général de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca). Il s'inquiète d'« un retard » dans les zones moyennement denses, et charge Orange, « qui ne respecte pas ses intentions d'investissements ». En conséquence, les industriels des RIP, épaulés par de gourmands fonds d'infrastructures, réclament à l'Etat la possibilité de se développer dans certaines des zones préemptées par l'opérateur historique et SFR. Interrogé à ce sujet, Antoine Darodes, qui pilote le plan France Très haut débit à Bercy, affirme que « les craintes d'un retard de couverture dans certains territoires moyennement denses sont compréhensibles ». Mais il se montre confiant, estimant que « la dynamique est bonne », et qu'« il ne faut pas crier avant d'avoir mal ».

Des pouvoirs publics « trop conciliants »

Reste que dans cette affaire, plusieurs acteurs des RIP mettent directement en cause l'Etat actionnaire. Sous couvert d'anonymat, le responsable d'un important financeur des RIP se montre très critique sur le choix du gouvernement de favoriser les grands opérateurs dans le plan France Très haut débit. « C'est certain que le fait que l'Etat soit actionnaire d'Orange a dû compter », fustige-t-il. Des récriminations qui ne datent pas d'hier. En 2011, déjà, le sénateur de Côte-d'Or Alain Houpert (Les Républicains) estimait par exemple que « les pouvoirs publics se [sont montrés] trop conciliants par rapport aux opérateurs, et notamment à France Télécom ». Pour Etienne Dugas, le président de la Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (Firip), il est clair que la position de l'Etat, à la fois pilote du plan France Très haut débit et premier actionnaire de son principal moteur, pose problème. Egalement partisan de laisser les collectivités étendre leurs RIP à certains endroits délaissés, il a fait de la privatisation totale d'Orange sa « première revendication ». « C'est indispensable, dit-il. Comment voulez-vous avoir une stratégie industrielle quand, une fois sur deux, vous pensez à vos dividendes ? Ça ne peut pas marcher... »

A contrario, l'Avicca ne voit pas d'un bon œil une privatisation totale d'Orange. Patrick Vuitton craint qu'un désengagement de l'Etat à son capital ne plombe les RIP s'il débouche sur une consolidation du secteur, notamment via un mariage entre Orange et Bouygues Telecom. Or c'est ce dernier, « et dans une moindre mesure Free », qui « donnent aujourd'hui de l'oxygène aux RIP » en y commercialisant leurs offres, souligne-t-il. Ce qui est bien moins vrai, d'après lui, pour Orange et SFR. Aux yeux de tous, la sortie de l'Etat du capital d'Orange n'est donc pas à prendre à la légère. Elle devrait ainsi, sans nul doute, alimenter bien des débats après la présidentielle.

Pierre Manière

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Commentaires 4
à écrit le 27/04/2017 à 23:47
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L'Etat devrait couper Orange en deux société distinctes: Orange (services) dont il ne serait plus actionnaire du tout, et France Telecom Infrastructure, dont il posséderait a minima 51% (constitution oblige) qui détiendrait le cuivre, la fibre et la ...

à écrit le 20/04/2017 à 13:40
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Et Orange pourrait aussi se débarrasser de tout ce réseau filaire coûteux desservant la campagne...

à écrit le 20/04/2017 à 13:28
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très intéressant cet article , mais un oubli de taille. il reste chez ORANGE environ 45000 fonctionnaires d'état, une entreprise entièrement privatisée est ce compatible avec ce statut?

à écrit le 20/04/2017 à 9:22
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c'est tres bien que l'etat soit actionnaire, ca evitera les decisions debiles de gens externes.......... au moins s'ils y ont un interet, les politiciens ne feront pas n'importe quoi..........

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