ANALYSE Les grandes décisions politiques ont-elles (encore) un impact sur les marchés ?

L'analyse complète d'Ingrid Pernelle, responsable des Investissements de Skandia pour "La Tribune Gestion de Patrimoine"
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Historiquement, les marchés financiers se sont développés pour financer l'économie réelle en jouant un rôle d'intermédiation financière entre les emprunteurs et les créanciers. Nous sommes progressivement passés d'une économie d'endettement (par l'intermédiaire des banques de détail) à une économie de marchés financiers, c'est-à-dire que les agents économiques (entreprises et États) émettent des valeurs mobilières (principalement des actions et des obligations) pour lever les capitaux nécessaires à leur fonctionnement et à leur développement.

Parallèlement, les contrats à terme ont été conçus pour couvrir un risque économique, aidant ainsi les agents économiques à réduire les incertitudes pesant sur leur activité. Une industrie couvre le risque de variation du prix d'une matière première essentielle à son activité ou une entreprise exportatrice protège son chiffre d'affaires en éliminant l'aléa du risque de change. Toutefois, on peut se demander si l'essor des contrats à terme, utilisés à des fins spéculatives, ne se retournent pas contre les agents économiques qu'ils étaient censés protéger contre des variations de prix en alimentant la spirale haussière des sous-jacents visés.

Les agrégats économiques et leur dynamique constituent par ailleurs des outils de prévision financière en théorie. En effet, le prix d'un actif reflète sa valeur fondamentale (liée à ses caractéristiques intrinsèques et à son environnement économique) et les anticipations du marché qui sont elles-mêmes basées sur les fondamentaux. C'est cette composante du prix d'un actif, basée sur les anticipations, qui pousse les prix à diverger parfois significativement de la valeur réelle de cet actif. On assiste alors à la formation d'une bulle, c'est-à-dire à une dichotomie entre la sphère réelle et la sphère financière.

Un autre phénomène illustre périodiquement une certaine déconnexion entre les cours boursiers et les déterminants fondamentaux qu'ils sont sensés reflétés. Sur des marchés efficients, les cours d'une valeur mobilière devraient significativement fluctuer suite à des modifications substantielles des fondamentaux intrinsèques et/ou exogènes entrainant de ce fait une réévaluation de sa prime de risque et de sa distribution attendue des rendements. Or, force est de constater que les marchés subissent fréquemment des variations brutales, sans qu'aucune information ne permette de justifier une révision des anticipations et une modification dans la perception des risques par les investisseurs.

Comment expliquer ce découplage entre les fondamentaux macroéconomiques et les marchés financiers ?

Le découplage entre la sphère réelle et la sphère économique peut s'expliquer par plusieurs facteurs structurels dont les modifications des pratiques des investisseurs. Le développement de l'ingénierie financière et des outils d'aide à la décision modifient les comportements des opérateurs. L'essor des méthodes d'analyse technique qui consistent à extrapoler graphiquement des séries de prix récentes se répandent. Ces indicateurs de suivi de tendance contribuent à amplifier les mouvements de prix dans un sens, en dehors de toute justification fondamentale, générant ainsi un phénomène d'autoréalisation des anticipations.

L'introduction de la gestion des risques comme élément déterminant dans la prise de décision et non comme une résultante de celle-ci dans la gestion collective contribue également à cette déconnexion entre le prix d'un actif et sa valeur fondamentale. De nombreux fonds sont gérés avec des objectifs de respect d'un budget de risque ce qui contraint parfois les gérants à couper des positions alors même que l'objectif de cours de l'actif considéré n'est pas atteint.

Revenons maintenant aux deux composantes qui influent sur le cours d'un actif à savoir sa valeur fondamentale et les anticipations sur l'évolution de son prix. Le maintien de la volatilité sur des niveaux hauts depuis l'émergence de la crise financière nous indique que les anticipations peinent à se stabiliser.

En effet les anticipations sur l'évolution du prix des valeurs mobilières reposent sur des variables économiques de plus en plus incertaines.

Émettre des prévisions sur l'évolution de l'activité économique, du niveau des taux d'intérêts, ou du prix des matières premières est devenu un exercice complexe, et les investisseurs institutionnels appuient désormais leurs décisions stratégiques sur des scénarii macro économiques hiérarchisés en fonction de leur probabilité de survenance. Ces scénarii macro-économiques conditionnent une prise de position sur l'état de l'économie, les classes d'actif à privilégier, etc.

Un changement dans la hiérarchisation entre les différents scénarii possibles provoque parfois des modifications d'allocation significative de la part des investisseurs à long terme, ce qui augmente la volatilité des cours.
Les vieux remèdes de politiques monétaires utilisés pour encadrer l'activité économique, tantôt en la stimulant via une politique monétaire expansionniste tantôt en la jugulant au moyen d'un resserrement monétaire, sont tour à tour perçus comme des éléments positifs ou négatifs pour les marchés financiers ; il n'y a désormais plus d'étalon de valeur absolue, et il faut considérer de nombreux facteurs pour comprendre si l'évaluation d'un marché ou d'un pays est correcte, optimiste ou pessimiste.

Nous ne pouvons que constater, ces dernières décennies, la généralisation de l'arme monétaire comme remède à toutes les crises. Les banques centrales utilisent l'arme du crédit (des états, des particuliers, des entreprises et le taux de refinancement des banques) et se trouvent à piloter à vue le « risque sistémique » (risque de faillite en chaine suite au défaut de paiement d'un gros établissement de crédit ou d'un Etat). On a inventé le terme « too big to fail » pour rendre compte de cet état de fait qui protège de fait les détenteurs d'obligations (ou de créances) d'Instituts Financiers dont la stabilité est critique pour le système. Mais cette protection ne s'étend pas aux actionnaires qui subissent réellement le risque de dévaluation considérable de leur participation.

Les liquidités abondantes entretenues au travers de l'endettement des Etats ont rassuré la Communauté financière sur la solidité du système après 2008. Toutes sortes de nouveaux contrôles sont en place (Bales 3, Solvency 2) qui provoquent des réflexions dans toutes les Institutions financières au sens large (Assurances et banques), des réorganisations stratégiques, et en général, une meilleure perception du risque.

Les équilibres entre marchés développés et émergents ont changé profondément de nature, puisqu'il n'est pas rare de voir des pays émergents avec une meilleure orthodoxie financière qu'un pays de la zone « A » de l'OCDE. D'où une tendance générale à l'internationalisation des portefeuilles, pour profiter des nouvelles zones de croissance de l'Economie réelle et boursière.

Cette convergence est elle une bulle spéculative ou témoigne t'elle d'un rééquilibrage de la richesse au niveau mondial ?

Force est de constater que l'économie réelle bénéficie indirectement de la bonne tenue des marchés mondiaux, car la publicité qui en est donnée auprès du grand public est telle qu'elle affecte la variable clé qui relie ces deux mondes : la confiance envers notre système économique.

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