Le retour de l'inflation inquiète

En mars, les prix ont augmenté de 2 % sur un an, selon l'Insee. Si les prix alimentaires accélèrent, ceux de l'énergie s'envolent. Le gouvernement et la Banque centrale européenne se mobilisent.
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La menace inflationniste est de retour. En mars, l'indice des prix à la consommation de l'Insee a fait un bond de 0,8 %, fixant à 2 % son évolution annuelle. Un niveau inédit depuis octobre 2008.

Sans surprise, la flambée des prix de l'énergie explique en partie cette accélération de l'inflation. En mars, les prix des produits pétroliers ont accéléré de 4 %. Sur un an, ils ont bondi de 19,6 % ! Mais la valse des étiquettes concerne aussi les produits frais (+ 2,9 % en mars, 0,5 % sur un an).

Au regard de ces statistiques, la France est-elle menacée par le spectre de l'hyperinflation ? Marc Touati, chez Assya Compagnie financière, écarte cette hypothèse. « Ces tensions ne doivent pas faire oublier que de nombreux secteurs sont encore en déflation. Ainsi, en dépit de la progression corrective de mars, les prix des produits manufacturés ont-ils reculé de 0,4 % en glissement annuel. C'est le cas par exemple de l'habillement [? 1,4 %] et des produits de santé [? 2 %]. », observe l'économiste. De fait, l'inflation sous-jacente, qui ne tient pas compte de l'évolution des prix des produits alimentaires et énergétiques mais non plus des tarifs publics, s'élève à + 0,7 %.

Toutefois, le gouvernement et la Banque centrale européenne (BCE) ne peuvent rester les bras croisés, ces statistiques alimentant le débat sur le pouvoir d'achat, déjà bien nourri par les récentes hausses des prix des matières premières et en particulier de l'énergie. Un pouvoir d'achat qui, malgré le retour de l'inflation, devrait pourtant progresser à un rythme au moins égal à celui observé en 2010 (+ 1,2 %), estime l'institut.

Le choix de l'action

La semaine dernière, la BCE a déjà pris les devants, relevant pour la première fois depuis mai 2009 son taux directeur de 0,25 point (lire ci-contre).

Le gouvernement n'a pas non plus d'autre choix que celui de l'action, pour deux raisons. Premièrement, compte tenu des pressions à la baisse qu'exerce le niveau élevé du chômage sur les salaires, il n'est pas question de laisser l'inflation fragiliser la consommation, l'unique moteur de la croissance. Pas question non plus pour le chef de l'État de laisser passer les propos qualifiés mercredi d'« indécents » du PDG de Total, Christophe de Margerie, qui juge inévitable que le litre de super grimpe à 2 euros.

La seconde raison est de nature politique. Parce que le pouvoir d'achat fut l'un des thèmes forts de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, le gouvernement ne peut le laisser s'effilocher. Tant pis si ces mesures pèsent sur les finances publiques. Tant pis si la résistance de la consommation se traduit par un creusement régulier de la balance commerciale.

 

Les quatre remèdes pour atténuer les effets de la hausse des prix

Carburant : un geste pour 6 millions de contribuables

Pour permettre aux Français de faire face aux prix record du carburant à la pompe, le gouvernement a annoncé une « ponction » de 115 millions d'euros sur les finances des industriels et des distributeurs de la filière carburants. Ce montant sera payé à 60 % par le secteur des producteurs-raffineurs et à 40 % par les distributeurs.

Cette mesure financera le relèvement du barème des frais kilométriques dans la déclaration de revenus et devrait concerner quelque 6 millions de contribuables.

Le gouvernement a parallèlement exclu tout encadrement des prix à la pompe et toute modification de la fiscalité pétrolière, réclamés par les associations de consommateurs et l'opposition.

Des tarifs de gaz et d'électricité encadrés

Après une hausse de plus de 5 % des tarifs de gaz naturel, le gouvernement a annoncé un gel des prix du gaz pendant un an, alors que la formule de calcul en vigueur aurait pu se traduire mécaniquement par une hausse de 7,5 % en juillet. Il envisage également de modifier la règle de calcul pour l'adapter à l'évolution du marché et la rendre plus favorable au consommateur. La hausse du prix de l'électricité pour les particuliers serait, quant à elle, limitée de 2,9 % d'ici au 30 juin 2012. Une menace subsiste sur la facture d'électricité des Français : l'entrée en vigueur de la norme de régulation du marché de l'électricité, prévue le 1er juillet, pourrait entraîner d'ici à 2015 une hausse plus rapide du prix du kilowatt/heure.

Un léger coup de pouce aux retraites

Le relèvement de la prévision officielle d'inflation du gouvernement, finalement portée à 1,8 % pour cette année, a conduit le gouvernement à revaloriser, dès le 1er avril, de 2,1 % le montant des pensions de retraite. De son côté, le minimum vieillesse - garantie de ressources pour les retraités n'ayant pas de pension ou ayant trop peu cotisé pour bénéficier d'une retraite suffisante - est revalorisé de 4,7 %. « Nous avons un engagement de revaloriser le minimum vieillesse de 25 % sur les cinq années » du mandat de Nicolas Sarkozy. « L'engagement est tenu », s'est félicité Xavier Bertrand. Il devrait s'élever à 8.907,34 euros par an à compter du 1er avril 2011 et à 9.325,98 euros par an au 1er avril 2012.

Le « panier des essentiels » de l'alimentaire

La hausse des prix des matières premières agricoles commencent à avoir des répercussions sur les produits alimentaires transformés, selon les derniers chiffres de l'inflation de l'Insee. Le 6 avril, le gouvernement a donc présenté un accord avec plusieurs enseignes de la grande distribution sur la commercialisation d'un « panier des essentiels », composé d'une sélection de produits alimentaires conciliant qualité et prix avantageux pour les consommateurs. Accord qui pourrait être élargi aux commerçants de détail et maraîchers (lire interview ci-contre). Reste que ce dispositif ne prévoit pas de contrôle, ni de sanction à l'encontre des distributeurs, ce qui a aussitôt suscité les critiques des associations de consommateurs.


Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État au Commerce et à la Consommation : « Le bon combat ? Prendre des mesures ciblées »

Que fait le gouvernement pour soutenir le pouvoir d'achat ?

Nous prenons des mesures ciblées sur l'alimentaire et l'énergie, les deux postes de consommation qui subissent les plus fortes hausses de prix. C'est le bon combat.

Concrètement ?

Dans l'alimentaire, le déploiement du « panier des essentiels » composé, j'insiste là-dessus, de produits de qualité à des prix attractifs pour tous, a déjà commencé dans la plupart des grandes enseignes. Je discute actuellement avec les commerçants de détail alimentaire et avec les maraîchers pour prolonger cette démarche dans les commerces de bouche de nos centres-villes et sur les marchés toujours avec les mêmes priorités : souci de la qualité à prix abordables et défense de la marque France.

Et dans l'énergie ?

Le gouvernement a déjà repoussé les demandes d'augmentation des tarifs du gaz et de l'électricité, tout en revalorisant les rabais liés aux tarifs sociaux. Le gel du tarif du gaz permet à un ménage d'économiser 80 euros par an sur sa facture. Les rabais des tarifs sociaux permettent à un ménage d'économiser 90 euros par an sur sa facture d'électricité et 24 euros par an sur sa facture de gaz.

Mais c'est surtout la flambée du prix de l'essence qui inquiète...

C'est la raison pour laquelle le gouvernement a revalorisé de 4,6 % le barème kilométrique. Cette mesure concerne 5 millions de salariés, dont 95 % se situent sous la deuxième tranche de l'impôt sur le revenu, 600.000 commerçants et artisans et 500.000 professions libérales. C'est la France qui se bat, la France qui résiste à la crise que nous soutenons. Par ailleurs, le gouvernement s'assure que les règles de la concurrence soient respectées en contrôlant les distributeurs pour qu'ils ne profitent pas de la situation pour relever les prix à la pompe.

Relancer une TIPP flottante n'aurait-il pas été plus efficace ?

Cette mesure a été abandonnée parce qu'elle coûtait plus de 2 milliards d'euros pour une baisse des prix limitée de 1 à 2 centimes. Faire jouer la concurrence est plus sage. En consultant le site www.prix-carburants.gouv.fr, les ménages peuvent se rendre compte qu'il existe des écarts de prix pouvant atteindre 15 centimes d'euros sur un seul litre de sans-plomb dans des stations-service distantes de quelques kilomètres.


François Baroin évoque une prime d'au moins 1.000 euros pour les salariés

Lier la distribution des dividendes aux actionnaires à l'augmentation de la rémunération des salariés sera bientôt possible. C'est l'idée défendue par le gouvernement, qui avait refusé en décembre tout coup de pouce au Smic, limitant la hausse du salaire minimum à 1,6 %, un niveau inférieur à celui atteint depuis par l'inflation (1,8 %).

Fixer les modalités

Aujourd'hui, après avoir annoncé des mesures sur les prix du gaz et de l'électricité et des carburants, il souhaite pousser les entreprises à augmenter le pouvoir d'achat de leurs salariés, si elles relèvent les dividendes des actionnaires. Mercredi, sur Europe 1, François Baroin, ministre du Budget, a évoqué la création d'un dispositif « simple sous forme de prime exceptionnelle dont le montant n'est pas encore stabilisé - au moins 1 .000 euros - et qui pousserait les entreprises et les secteurs d'activité économique à négocier pour obtenir une meilleure répartition des richesses ». Cette disposition pourrait figurer dans le collectif budgétaire prévu en juin. « Tous les jours, toutes les semaines, on nous annonce des augmentations de dividendes, des distributions de primes exceptionnelles, de bonus pour les grands patrons. Tout le monde, tous les salariés qui participent à l'augmentation de la richesse de leurs entreprises doivent pouvoir bénéficier de ce dispositif », a-t-il plaidé.

Son collègue du gouvernement en charge du commerce et de la consommation, Frédéric Lefebvre, ne dit pas autre chose : « Parlementaire, je défendais déjà, au nom du partage de la richesse, le "dividende salarial" à côté du dividende distribué aux actionnaires. J'en parle dans mon livre, ? le Mieux est l'ami du bien?. Reste à fixer les modalités de ce dispositif. Il ne faut pas qu'il soit trop rigide et pénalise les entreprises, en particulier les TPE et les PME. » Pour l'heure, les arbitrages - qui portent sur le montant de la prime, son seuil de déclenchement, son caractère obligatoire ou facultatif ou encore sa possible défiscalisation - ne sont pas rendus. Mais la convention collective serait « certainement l'architecture dominante » des négociations prévues dans le texte de loi, a précisé François Baroin.


Bercy a la possibilité de relever le taux du livret A à 2,25 % au 1er mai

La balle est dans le camp de Christine Lagarde et Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France. La loi les autorise en effet à modifier la rémunération du livret A (et livret Bleu) et du LDD (ex-Codevi) quatre fois par an. En plus des deux révisions obligatoires, les 1er février et 1er août, une modification peut intervenir chaque 1er mai et 1er novembre pour peu que l'évolution de l'inflation soit « très importante ».

Est-ce le cas ? Petit rappel des faits. Le 15 janvier 2011, date du dernier calcul pour le livret A, l'inflation hors tabac pointait à 1,7 %. Ce qui avait conduit, compte tenu de la formule de calcul du livret A, à un relèvement du taux à 2 % (inflation augmentée de 0,25 point et arrondie au quart de point le plus proche). Les chiffres de l'Insee parus ce mercredi font désormais état d'une hausse des prix de 2 % sur un an. Le livret A pourrait donc passer à 2,25 % au 1er mai, à condition que la Banque de France émette une recommandation en ce sens avant le 15 avril, et que Christine Lagarde s'y conforme.

« Le taux du livret A ne devrait pas être modifié, estime Cyril Blesson, cofondateur des ?Cahiers de l'épargne?. Une hausse des prix de 0,3 point ne me paraît pas suffisante pour changer la donne. » Autre élément qui milite en faveur du statu quo : la rémunération actuelle du livret préféré des Français, déjà largement supérieure aux produits comparables (comptes sur livret, comptes à terme, Sicav en euros...) qui sont, eux, corrélés à des taux interbancaires encore faibles. Enfin, la collecte sur le livret A bat déjà des records, avec plus de 200 milliards d'euros d'encours constatés en février. Et le gouvernement n'a pas particulièrement envie de favoriser l'épargne dans la conjoncture actuelle.

Reste que par le passé, et notamment durant la crise financière, ce placement symbole a toujours été favorisé.


Le bond de l'euro est un rempart contre la hausse des prix à l'importation

L'euro n'en finit plus de monter. Après l'avoir déjà franchi hier mardi, la monnaie unique a de nouveau dépassé, en séance, ce mercredi le seuil symbolique de 1,45 dollar, une première depuis janvier 2010 et le début de la crise des finances publiques de la zone euro. Cela porte à près de 9 % la performance de la devise européenne face au billet vert cette année. Le constat est le même face au yen japonais qui, à 122 yens pour 1 euro, a cédé plus de 11 % depuis janvier et évolue non loin de son plus bas niveau face à l'euro depuis près d'un an. Au sein des grandes monnaies du G7, la livre a signé la meilleure performance en ne cédant que 3 % à 0,89 livre pour 1 euro, son plus bas niveau depuis six mois, suivie du dollar canadien, qui cède près de 5 % à 1,392 dollar pour 1 euro.

Cette envolée générale n'est pas fortuite. En dehors de la Banque du Canada, qui a relevé son taux directeur à trois reprises en 2010, mais l'a laissé inchangé à 1 % depuis octobre, la BCE est la seule des banques centrales à avoir entamé la normalisation de ses taux d'intérêt. Elle a ainsi relevé de 1 % à 1,25 % son taux de « refi » le 7 avril, et les analystes tablent sur deux à trois tours de vis supplémentaires cette année, ce qui pourrait porter le « refi » jusqu'à 2 % en 2010. Les stratégies de portage, qui consistent à emprunter une monnaie à bas taux d'intérêt - par exemple le dollar américain à moins de 0,25 % - pour acheter sur le marché des changes des monnaies à plus fort taux et les placer sur le marché monétaire, sont responsables de la montée de l'euro.

Éviter une surchauffe

Cette hausse de la monnaie unique n'est pas une si mauvaise nouvelle pour l'économie européenne, ni pour la BCE, même si elle ne l'avouera jamais officiellement. L'inflation européenne, qui semble s'installer durablement au-delà de l'objectif de 2 %, est en effet en grande partie « importée » lors des achats de matières premières, cotées en dollar. La vigueur de l'euro amortit donc ce choc inflationniste et préserve en partie le pouvoir d'achat des ménages. La remontée des taux vise, elle, à éviter une surchauffe des économies les plus dynamiques et à prévenir la formation de bulles, notamment immobilière.

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