Jean-Marc Dumontet : « J’ai envie de paroles progressistes »

ENTRETIEN — Directeur de plusieurs salles prestigieuses de Paris, il a lancé il y a plusieurs saisons le festival Paroles citoyennes, qui ouvre demain.
Jean-Marc Dumontet, le 29 février dans son bureau, rue de Monceau à Paris.
Jean-Marc Dumontet, le 29 février dans son bureau, rue de Monceau à Paris. (Crédits : © CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Balzac l'aurait aimé. Il y a du « à nous deux, Paris ! » en lui. Mais rien de parvenu. Il vient de la haute bourgeoisie notariale de Bordeaux. La passion du théâtre l'a très tôt saisi. Il a eu la chance de rencontrer les frères Louret et de découvrir, avec Les Baladins en Agenais, à Monclar (Lot-et-Garonne), une manière exaltante d'être au monde. C'est lui, le tout jeune Jean-Marc Dumontet, qui a produit plus tard les spectacles légendaires que sont Les Années twistLes Z'années zazous. Il y avait une certaine logique à ce que ce jeune homme au haut front hugolien rencontrât un jour Philippe Tesson. Jeune rédacteur au Quotidien de Paris, il a précédé son mentor et basculé du côté de la direction des théâtres avant lui. Le regretté Tesson observait avec attendrissement et fierté la méthode Dumontet ; c'est en journaliste qu'il anime les salles. Un journaliste... politique, tant ce proche d'Emmanuel Macron pendant son premier quinquennat goûte cette matière.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous organisez le festival Paroles citoyennes depuis 2017. Les grands enjeux de notre société, l'emprise, la laïcité, la pensée, la poésie, le combat, y sont abordés. Est-ce votre manière de faire de la politique ?

JEAN-MARC DUMONTET - J'ai découvert la politique à 14 ans et j'ai toujours adoré ça. Nos théâtres sont aussi des lieux de débats, de rencontres, d'échanges. Je me suis rendu compte, au travers de spectacles comme Inconnu à cette adresse - qui montre comment, aveuglé par sa propre idéologie, on peut déshumaniser l'autre - comment un texte peut éclairer les consciences. En 2017, Je voulais créer un festival qui permettrait au public d'entendre des voix en prise avec la société, la réalité. Je défendais alors Les Chatouilles, le texte d'Andrea Bescond, mis en scène par Éric Métayer, qui parle des violences sexuelles infligées aux enfants. Depuis le lancement de Paroles citoyennes, nous avons abordé des thèmes graves comme les longues peines, la situation des migrants, le harcèlement, l'emprise, la maltraitance... Et lors des débats, de grandes voix nous ont accompagnés : Robert Badinter, Annie Ernaux, François Hollande... De même, c'est pendant le festival que Cristiana Reali a porté la création de Simone Veil - Les combats d'une effrontée. Paroles citoyennes, ce sont toujours des créations originales - cette année, Le Professeur d'Émilie Frèche avec Charles Berling retrace les dernières heures de Samuel Paty et nous interroge sur les renoncements à la laïcité. J'ai envie de prises de parole progressistes. Chacun doit contribuer à l'édification d'une société plus civilisée. Dans ce catastrophisme ambiant, des voix doivent dire que notre époque est aussi formidable, source d'immenses opportunités, de niveaux d'existence inégalés, et que l'optimisme doit toujours être notre boussole, sans naïveté et malgré les difficultés.

Voyez-vous le théâtre, et plus largement la culture, comme un rempart contre
les extrêmes ?

Pas un rempart, c'est illusoire, mais une manière de mener des combats culturels, de diffuser des idées, de montrer la part d'humanité de chacun. Les extrêmes s'affirment en dressant les uns contre les autres, le peuple contre les élites, les Français contre les immigrés... Le théâtre nous permet de nous rassembler, de partager et de voir qu'on est tous semblables.

Parmi les thèmes brassés par le festival, il y a l'inscription de l'IVG dans la Constitution...

Nous défendons avec fierté Interruption depuis le début de la saison. La pièce est issue du livre éponyme de Sandra Vizzavona, qui rassemble des témoignages de femmes racontant leur expérience. C'est une ode à la liberté que sert avec brio Pascale Arbillot dans la belle mise en scène de Hannah Levin Seiderman. Parler de l'avortement au travers de ces récits, c'est rendre le sujet incroyablement vivant, humain.

Le théâtre est une manière de diffuser des idées, de montrer la part d'humanité de chacun

Vous êtes président des Molières. Allez-vous instituer les mêmes règles qu'aux Césars, écarter certaines personnalités mises en cause par MeToo ?

Nous avons réfléchi à ces questions, qui se posaient déjà l'année dernière. Ma boussole, c'est l'État de droit. Je ne vais pas exclure des individus sur la simple foi d'accusations. Le mouvement MeToo, un grand mouvement libérateur, est extrêmement heureux pour notre société. Preuve est faite que les citoyens peuvent engendrer des lames de fond très salutaires. Ce n'est pas simplement que la parole se libère, c'est qu'avant on ne l'écoutait pas. J'ai décliné le festival Paroles citoyennes sous forme de revue; Tristane Banon a participé au premier numéro, dans lequel elle a rappelé qu'à l'époque de ses révélations personne ne voulait l'écouter. Maintenant, dans tout mouvement qui est fort, puissant et où des personnalités publiques sont mises en cause, il est évident qu'il y a parfois des défauts de mesure. Mais ils sont logiques. Moi, j'ai envie de chérir toutes ces paroles de femmes, ces femmes outragées, blessées. Ces femmes qui n'ont pas été écoutées. Mais il faut aussi respecter le temps nécessaire à la justice pour faire son travail. Il ne faut pas clouer au pilori, jeter au bûcher n'importe quelle personne, se transformer en justicier.

En 2022, vous avez tenu à conserver le spectacle de Richard Berry Plaidoiries, en dépit des accusations portées par sa fille...

Je ne travaille plus avec lui, mais quand les accusations sont tombées, en conscience, j'ai considéré que je n'étais pas juge et que je n'avais pas à piétiner sa carrière. Il faut toujours manifester le plus grand respect pour les plaignantes. On sait que dans la très, très, très, très large majorité des cas, elles disent vrai. C'est un chemin de croix de dépasser sa honte, d'aller porter plainte, d'affronter la justice. Mais on ne peut pas pour autant hâtivement et définitivement condamner quelqu'un sur la base d'une accusation. Il y a une justice. Lorsque le cas s'est présenté, je n'allais pas rayer de la carte quelqu'un avec qui je travaillais depuis quatre ans. Je n'avais rien à y gagner, mais je n'avais pas à faire justice à la place de la justice. Car cela, c'est la négation de l'État de droit. D'ailleurs Jean-Yves Halimi, le fils de Gisèle Halimi, nous a demandé de continuer à jouer la plaidoirie de sa mère au nom de l'État de droit.

Quel regard avez-vous porté sur la nomination de Rachida Dati au ministère de la Culture ?

Rima Abdul Malak était une ministre très compétente, très active. Précédemment, quand elle était conseillère à l'Élysée, je l'ai vue à l'œuvre pendant toute la période de la pandémie : elle a été décisive sur le maintien de l'intermittence, clé de voûte de la production en France. Cette année, je présiderai ma dixième cérémonie des Molières et j'accueillerai mon huitième ministre de la Culture. Cette instabilité est désarmante et totalement contre-productive. Pour être un grand ministre de la Culture, il faut soit être proche du président, soit avoir un vrai poids politique. Rachida Dati a donc une carte à jouer. Avec des gels budgétaires qui touchent aussi la culture, son chemin n'est pas simple, mais on a tous intérêt à ce qu'elle porte les dossiers et se fasse entendre.

Paroles citoyennes

7édition du 11 mars au 16 avril au Théâtre Antoine et au Théâtre Libre

11 mars
Coupures, Paul-Eloi Forget, Serge Valensi

18 mars
Interruption, Hannah Levin Seiderman, Pascale Arbillot

2 avril
Femme non rééducable, Stefano Massini, Pietro Pizzuti

7 avril
La Pensée, la Poésie et le PolitiqueD'après Jack Ralite, par Christian Gonon de la Comédie-Française

9 avril
Le Professeur, Lecture d'un texte non encore mis en scène d'Émilie Frèche. Avec Daniel Benoin et Charles Berling

16 avril
La vie sera belleSarah Barukh, Sally Micaleff, Alexandra Lamy

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