« Académie des Césars : quand le cinéma fait sa justice » (Marie Dosé et Julia Minkowski)

Les avocates Marie Dosé et Julia Minkowski s'inquiètent d'une tentative de banissement des réalisateurs et acteurs mis en cause dans des affaires d'agressions sexuelles. Elles réclament le respect de la présomption d'innocence.
Marie Dosé et Julia Minkowski
Marie Dosé et Julia Minkowski (Crédits : © DIDIER ALLARD/Ina via AFP ; JOEL SAGET/AFP)

Le 19 janvier 2024, le bureau de l'Académie des Césars a précisé le dispositif de « non-mise en lumière » des « personnes qui seraient mises en cause par la justice ». S'il est mis en examen ou condamné pour des faits de violences (« notamment à caractère sexiste ou sexuel »), un participant à un film éligible sera exclu de la cérémonie des Césars ainsi que de tout événement organisé par l'Association pour la promotion du cinéma. A priori, une dénonciation en dehors du champ judiciaire, une simple plainte ou une procédure en cours sans saisine d'un juge d'instruction ne seront donc pas prises en compte. Un mis en examen ou condamné « césarisé » ne recevra pas son prix sur scène, ne prononcera aucun discours et ne bénéficiera d'aucun soutien promotionnel. Sauf à se complaire dans une schizophrénie à peine voilée et à distinguer une œuvre mort-née, l'Académie aura tout intérêt à ne pas récompenser celle ou celui qui aura fait l'objet de cette mise à l'index.

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Des milliers de non-lieux chaque année

Sont visées toutes « les violences, notamment à caractère sexiste ou sexuel », infractions entremêlant contraventions, délits et crimes sans distinction de gravité ni de circonstances entourant les faits (sphère publique, privée ou professionnelle). Pour le dire simplement : un césarisé qui, au cours d'une altercation, aurait bousculé un inconnu serait donc écarté de la cérémonie des Césars.

L'Académie se targue d'agir « sans préjudice de la présomption d'innocence » mais loge à la même enseigne le mis en examen présumé innocent et le justiciable définitivement condamné, sous couvert d'une formule dont l'hypocrisie peine à convaincre. Appliquer à quelqu'un qui n'a pas encore été jugé un dispositif d'exclusion identique à celui s'appliquant à l'artiste déclaré coupable est la négation même de la présomption d'innocence, piétinée sous le poids d'un principe de précaution tout-puissant.

Or, chaque année, la justice prononce des milliers de non-lieux, de relaxes et d'acquittements. Après avoir été écartés de la cérémonie, de la récompense et de la promotion de leur œuvre, les césarisés innocentés bénéficieront-ils d'une « séance de rattrapage » ? Quelle « mise en lumière » après l'opprobre ? Des cérémonies de « réhabilitation » seront-elles organisées ? Ou l'Académie considérera-t-elle, comme tant d'autres et en écho à l'air du temps, que la vérité judiciaire ne vaut que lorsqu'elle condamne, jamais quand elle disculpe ?

Excommunier, bannir un présumé innocent dans l'attente d'une décision de justice revient à le préjuger

L'opprobre et l'exclusion, jusqu'à quand ? Jusqu'à la fin de l'exécution de la peine pour le condamné, nous précise l'Académie, et autant que durera la procédure judiciaire pour le mis en examen. Est-ce à dire qu'un artiste condamné à une peine d'un mois avec sursis devra attendre cinq ans (la durée du délai d'épreuve) avant d'espérer sa réhabilitation, tandis que le condamné à une peine d'un mois ferme sera libéré du bannissement après quelques semaines ? L'Académie ignore-t-elle qu'une instruction est susceptible de durer des années, et qu'il n'est pas rare qu'un justiciable n'obtienne une décision définitive que quatre, six, voire huit ans après sa mise en examen ? Mais du haut de quelle autorité la société viendrait-elle distribuer des peines sociales avant la tenue d'un procès ?

Le dispositif prévoit également que « la révélation de la décision de mise en examen [...] pourra être le fait de la publicité donnée à une affaire par les médias nationaux [et] pourra également venir de la victime partie civile ou de son avocat, qui pourront contacter à cet effet le secrétariat de l'Académie ». Manière d'entériner « en toute innocence » une délation qui ne dit pas son nom et d'institutionnaliser la violation du secret de l'instruction et du secret professionnel, au mépris de la loi pénale et des obligations déontologiques.

Le mal aura été fait

Si le césarisé mis en examen n'a fait l'objet d'aucune médiatisation ni d'aucune « dénonciation » au moment où se tient la cérémonie, il recevra donc son prix, remerciera les uns et les autres et bénéficiera de toute la promotion nécessaire à son œuvre. Avant, peut-être, d'être condamné. A contrario, celui qui aura vu sa mise en examen jetée en pâture sera banni de tout cérémonial. Avant, peut-être, d'être innocenté. Tout cela avec pour seule conséquence de donner de la publicité à des poursuites judiciaires dont l'issue n'aurait plus grand intérêt.

Parce que le mal aura été fait, et que toute mise au pilori laisse une empreinte aussi définitive qu'indélébile. Il n'est qu'une façon de respecter la présomption d'innocence : attendre l'issue d'une procédure judiciaire. Excommunier, bannir, isoler un présumé innocent dans l'attente d'une décision de justice revient à le préjuger. Et ce préjugement, qu'il soit d'ordre social, artistique, politique ou autre, rend vaine et insignifiante l'issue judiciaire de toute procédure en cours. Certes, la vérité judiciaire ne saurait être confondue avec la Vérité majuscule, unique et absolue. Elle n'en a d'ailleurs ni l'ambition ni la prétention. Pour autant, il est impérieux qu'elle prime sur toute autre. Pour cette simple et - pensons-nous - évidente raison qu'elle naît de contraintes et de garanties procédurales qu'aucun journaliste, aucun enquêteur privé, aucun « investigateur » ni aucun avocat ne s'impose jamais. En plus de constituer un parfait non-sens, traiter un mis en examen comme un condamné « sans préjudice de la présomption d'innocence » institutionnalise un recul effrayant de la pierre angulaire de toute justice démocratique.

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Commentaires 3
à écrit le 26/02/2024 à 14:04
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Merci pour cette tribune. Je suis une femme, je suis choquée qu’on remette en cause la présomption d’innocence et qu’on fasse l’amalgame entre des personnes dont la culpabilité n’est pas prouvée et des personnes condamnées. Notons qu’une femme même c...

à écrit le 18/02/2024 à 20:54
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Impossible vu que la gauche wokiste donc tolérante dans la bienveillance, detient la morale et la justice, et vaut mieux etre d'accord avec elles, sinon c'est que vous êtes intolérant ultra néo libéral medef de droite.. voila ou en est ce pays reen...

à écrit le 18/02/2024 à 9:04
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Ben c'est surtout qu'on va finir par nous interdire la moitié des productions artistiques à terme ! Ce qui est tout simplement inacceptable. Doit on du coup rayer de la surface de la terre "Voyage au bout de la nuit" ? Le meilleur roman français écri...

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