« Je veux mourir dans vingt-trois ans » (Thomas Misrachi, journaliste)

ENTRETIEN - Le journaliste Thomas Misrachi raconte « le dernier soir » d’une amie septuagénaire : celui qu’elle avait choisi pour mettre fin à ses jours. Avec lui pour l’accompagner.
Thomas Misrachi, journaliste
Thomas Misrachi, journaliste (Crédits : © JEAN-FRANÇOIS PAGA/OPALE.PHOTO)

Depuis toujours, il veut choisir le moment de son départ, écrit le grand reporter de TF1 Thomas Misrachi dans ce livre saisissant sur le droit à mourir dans la dignité. Quand il a rencontré cette femme, il s'est reconnu dans son combat, mais également dans ses failles et ses questionnements. La septuagénaire est curieuse de tout, provocatrice, notamment pour défendre publiquement sa décision. Bref, elle a du panache. Une amitié se noue, presque un pacte. Il serait là pour elle quand elle déciderait de dire ciao à la vie. Dans ce texte sensible mais glaçant, il relate cette soirée, son cheminement à elle, les pensées qui l'assaillent lui. C'était il y a deux ans. Il revenait d'une zone de conflit. Comme le jour où on le rencontre - la veille, il était à Kiev. On s'attendait à trouver un homme hautement ténébreux ; on a devant nous un être heureux de vivre, attaché à sa liberté et prêt à affronter le débat que son livre peut provoquer.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - « Elle était moi, avec vingt-cinq ans d'avance », écrivez-vous à propos de cette femme qui a choisi le soir de sa mort. Est-ce ce que vous pensez quand vous la voyez, la première fois, dans une vidéo sur Internet ?

THOMAS MISRACHI - Elle avait les mêmes convictions que moi, mais avec la force et le courage pour les exprimer. J'ai voulu la rencontrer. Très rapidement, on s'est mis à parler comme si on se connaissait depuis toujours. C'est difficile d'expliquer aux gens pourquoi on peut avoir le désir de mourir sans être ni malade ni dépressif, sans aucune autre bonne raison que d'aimer sa vie. Elle le disait très bien. Elle m'a demandé d'être là le jour où elle partirait. Il était inconcevable de la trahir, de trahir cette amitié.

Une amitié fondée sur votre idée commune de la mort ?

Ce qui nous a rapprochés, c'est notre amour de la vie, pas la mort ! Elle était d'une culture inouïe, d'une curiosité et d'une séduction folles, elle avait une énergie extraordinaire. Et pourtant, il y avait chez elle une gravité, une lucidité : elle n'avait pas envie de décrépir, de s'effacer, d'anéantir les efforts faits pour avoir cette vie-là. Quand on a eu une belle vie, il faut beaucoup de courage pour la quitter. Je l'ai aimée pour ce courage. Et moi qui passe ma vie à raconter le courage des autres, avec ce livre, du courage, j'en trouve enfin...

Au cours de cette soirée, avez-vous eu envie de renoncer ? Avez-vous eu peur ?

On a ri, elle s'est confessée, énervée, puis j'ai compris qu'elle irait jusqu'au bout. La peur est arrivée à ce moment-là. Pas une peur sourde, paralysante, mais une peur qui réveille et fait battre le cœur plus vite. Après, je suis rentré à pied, téléphone éteint. Je revenais de trois semaines de reportage en Ukraine et me suis effondré de sommeil. Je n'en ai pas parlé pendant des jours et des jours.

Pardon, mais n'auriez-vous pas pu - ou dû - garder cela pour vous ?

Au départ, je n'ai pas écrit pour en faire un livre, ni pour me libérer mais pour ne pas oublier. À la fin de l'été, j'ai fait lire ce texte à un ami. Il m'a dit qu'il était beau, qu'il fallait le publier. Je l'ai alors envoyé à des éditeurs. Je m'expose de manière sérieuse, pour continuer son combat. À un moment où la loi est en train de changer, si ce livre peut y contribuer en ramenant la question à hauteur de femme...

Il faut se fixer une échéance. J'espère être en forme à 75 ans car ce courage-là, il faut l'avoir en pleine santé

Mais on va dire que vous faites l'apologie du suicide !

Absolument pas ! Il n'y a pas de prosélytisme dans ce livre qui est le récit d'une soirée. Chacun est libre de penser ce qu'il veut. La fin de vie, c'est un choix. Nous demandons qu'il y ait une loi qui encadre ceux qui ne peuvent plus vivre dans les conditions dans lesquelles ils ont envie de vivre. Je fais l'apologie du choix, pas du suicide. Je n'incite personne à rien. Moi, j'ai choisi de faire comme elle et j'espère qu'au moment où je le déciderai, dans vingt-trois ans, les lois auront changé.

Vous lâchez ça comme si de rien n'était : vous voulez mourir « dans vingt-trois ans »...

Je veux mourir dans vingt-trois ans, oui. Ce livre est une façon de mettre mes idées en ordre, pour expliquer à ma fille - quand elle sera en âge de le lire - que c'est un choix philosophique, éthique, un choix de vie. [Silence.]

Mais pourquoi avoir arrêté une date - et un âge, 75 ans ?

Il faut se fixer une échéance. J'espère être en forme à 75 ans car ce courage-là, il faut l'avoir en pleine santé. À partir du moment où vous commencez à être malade, où la vieillesse l'emporte sur la vie, vous avez peur. Je veux le faire avant d'avoir peur, sinon ce sera trop tard.

En fait, vous avez peur de vieillir !

Je préfère mourir que mal vieillir, et pour vieillir bien, il faut savoir se fixer une limite. Je me suis dit 75 ans, mais ce sera peut-être 76, 77... C'est une date que je me fixe, mais on verra bien. Je n'ai pas changé d'avis sur cette question depuis trente ans, mais la vie étant ce qu'elle est, rien ne se passant jamais comme prévu, tout peut arriver. ■

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