Théâtre : trembler délicieusement avec « L’Heure des assassins »

Au Lucernaire, Julien Lefebvre renoue avec George Bernard Shaw, Bram Stoker et, pour mener l’enquête après un crime, Conan Doyle.
« L’Heure des assassins » au théâtre Lucernaire à Paris.
« L’Heure des assassins » au théâtre Lucernaire à Paris. (Crédits : ©Stéphane AUDRAN)

En dégustant avec gourmandise la nouvelle comédie de Julien Lefebvre, on pense en souriant à la formule du grand cinéaste Julien Duvivier (1896-1967) : « Il faut trois choses pour faire un bon film : d'abord une bonne histoire, puis une bonne histoire, et enfin une bonne histoire. » Jean Gabin, qui fut un de ses fidèles acteurs, reprit souvent l'énoncé de cette recette. Il joue d'ailleurs dans Voici le temps des assassins, film de 1956 que l'on ne se lasse pas de revoir, comme tous les autres chefs-d'œuvre du réalisateur de Pépé le Moko et de La Belle Équipe. Une bonne pièce, c'est un peu pareil.

Voici, pour nous divertir et nous enchanter, L'Heure des assassins. Une bonne histoire comme Julien Lefebvre en a le secret. Puis une bonne histoire et encore une bonne histoire... En quelques saisons et quelques titres, ce virtuose âgé d'une petite quarantaine d'années, formé aux métiers du cinéma et à l'histoire des arts de la scène, s'est imposé comme un as des intrigues qui mêlent réalité et fiction et tiennent en haleine les spectateurs. Il ne s'est jamais gêné, Julien Lefebvre. Il a jeté dans les rets de ses intrigues compliquées de grands héros de la réalité d'autrefois. Ils ne sont plus là pour protester : les Irlandais George Bernard Shaw (1856-1950), Bram Stoker (1847-1912), l'Écossais Arthur Conan Doyle (1859-1930). Avec la même intelligence que dans Le Cercle de Whitechapel en 2017 et Les Voyageurs du crime en 2021, le dramaturge dose avec précision les faits exacts et ceux que lui dicte son imagination.

Dans L'Heure des assassins, il prend soin de respecter les trois unités : le temps, le lieu, l'action. Nous sommes le 31 décembre 1909, à Londres, dans les espaces privés d'un grand théâtre flambant neuf. Des salons cossus, situés dans les étages supérieurs, avec large balcon courant derrière les baies vitrées et vue imprenable sur Big Ben. On est à l'entracte de la pièce jouée pour l'inauguration de ce bâtiment magnifique. La très douée Élie Rapp, scénographe, a reconstitué l'atmosphère raffinée du célèbre Lyceum Theatre dont Bram Stoker fut l'administrateur. Pour les images du ciel changeant de Londres, Sébastien Mizermont a fait des merveilles. Les lumières de Dan Imbert ajoutent à la beauté et au sentiment de réalité, comme le travail sur le son et la musique d'Hervé Devolder. On fait rapidement connaissance avec les protagonistes, élégants, dans les costumes flatteurs d'Axel Boursier.

Jubilatoire !

Élie Rapp signe la mise en scène avec Ludovic Laroche, l'un des acteurs. C'est à la fois très naturel et très vif, harmonieux, prenant. Où est donc retenu le directeur, Philip Somerset ? On saura vite qu'il a été occis, presque sous les yeux de ses invités. L'enquête commence. Et c'est bien sûr le père de Sherlock Holmes qui s'en charge. Le docteur Doyle est incarné par l'épatant Ludovic Laroche, très à l'aise dans son kilt taillé dans un beau tartan. Œil vif, sourire de chat, léger et spirituel, il s'amuse.

La sœur de celui qui a financé cet établissement somptueux et n'en profitera pas, Katherin, possède la charmeuse autorité et le talent lyrique de Stéphanie Bassibey. Son inquiétude est palpable. Miss Lime, la ravissante et très douée Ninon Lavalou, assistante du directeur, donne le sentiment d'en savoir trop... Ce que ne vont pas manquer de remarquer les autres : Hartford, qui travaille avec elle, Pierre-Arnaud Juin, si réservé que l'on se demande s'il n'a pas quelque chose à cacher. Nicolas Saint-Georges, quant à lui, dessine magistralement un Shaw aristocratique qui pourrait perdre ses nerfs face à l'exaspérant Doyle. Opulent et généreux comme l'est Jérôme Paquatte, Bram Stoker compte les points.

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Comme dans tout bon roman policier, chacun ici apparaît un moment comme l'évident coupable. Les issues sont fermées. Qui donc est l'assassin ? Lui ! Elle ! C'est évident. Et puis tout se défait pour se recomposer...

Une heure trente durant, on demeure suspendu aux répliques, très bien ciselées. On échafaude des solutions. On sourit. On rit. On jubile et l'on est ravi, car l'histoire très bien construite et donnée dans un écrin superbe, et parce qu'elle est très bien mise en scène et jouée par six interprètes formidables.

L'Heure des assassins, au Lucernaire (théâtre Rouge) jusqu'au 21 janvier 2024, à 21 heures du mardi au samedi et à 18 heures le dimanche. Tournée à venir. Durée : 1 h 25. Tél. : 01 45 44 57 35.

« NOTRE-DAME DE PARIS » fête ses 25 ans


Un quart de siècle après sa création, la cultissime comédie musicale de Luc Plamondon et Richard Cocciante triomphe au Palais des Congrès. Revenir là où tout a commencé en 1998 avec le succès qu'on lui connaît était un pari audacieux. Et à en juger par le public dans la salle ce soir-là, le pari est gagné ! Dès les premières notes avec le célèbre « il est venu le temps des cathédrales », on comprend l'amour inconditionnel que les gens éprouvent pour l'histoire inspirée du roman de Victor Hugo. Cette folle passion du bossu de Notre-Dame, Quasimodo, pour la belle Esmeralda dont le prêtre Frollo s'est également épris... C'est l'histoire universelle des amours impossibles et funestes, chantée avec maestria par les nouveaux interprètes dont Angelo Del Vecchio et Hiba Tawaji, et par Daniel Lavoie, le seul qui figurait déjà dans la première création. Ajoutez à cela un décor majestueux, une impressionnante chorégraphie signée Martino Müller, et la dramaturgie fonctionne à merveille. Cette nouvelle mouture effacera- t-elle pour autant l'inoubliable version incarnée par Garou, Hélène Ségara et Patrick Fiori ? Pas si sûr. V.A.

Notre-Dame de Paris, au Palais des Congrès jusqu'au 7 janvier 2024 puis en tournée dans toute la France à partir du 18 janvier.

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