« Starmania est moderne, abrupt et rocailleux » (Thomas Jolly, metteur en scène)

L’opéra-rock de Luc Plamondon et Michel Berger, modernisé par Thomas Jolly en 2022, revient à la Seine musicale dès mardi après une tournée triomphale. Interview d’un touche-à-tout.
Thomas Jolly a été ému durant toute la tournée de voir la transmission transgénérationnelle autour de l’opéra-rock culte.
Thomas Jolly a été ému durant toute la tournée de voir la transmission transgénérationnelle autour de l’opéra-rock culte. (Crédits : © ANTHONY DORFMANN)

Il sait tout faire. Des mises en scène au long cours, comme son Henri VI joué en dix-huit heures d'affilée à Avignon, jusqu'à son Roméo et Juliette à l'Opéra Garnier en passant par la direction artistique des Jeux olympiques de Paris 2024... Le quadragénaire Thomas Jolly est aussi à l'aise avec Shakespeare qu'avec les grands spectacles populaires. Pour La Tribune Dimanche, il revient sur le succès de Starmania et sur la préparation des JO.

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LA TRIBUNE- Comment avez-vous vécu cette première année de représentations ?

THOMAS JOLLY- J'ai passé du temps dans les salles à observer le public. Dès le début, j'ai perçu une communion : à peine le rideau levé, les gens applaudissaient, aux premières notes de musique, certains pleuraient... J'ai pris conscience de l'incroyable popularité de Starmania. Ça a été une sorte de triomphe, dans le sens du partage : c'est une vraie œuvre populaire, pour ses chansons et son histoire. Il y a eu des retrouvailles avec Starmania et des trouvailles aussi car les parents emmenaient leurs enfants découvrir ce spectacle vivant qui bouge, vibre et donne des émotions. C'était beau de voir cette transmission transgénérationnelle.

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Était-ce paralysant de devoir toucher à un livret aussi légendaire ?

J'ai une petite dose d'inconscience en moi que je remercie chaque jour car elle me fait faire des choses un peu folles ! Quand Starmania m'a été proposé, je n'ai pas pensé à son succès mais à la façon dont je pourrais pénétrer artistiquement l'œuvre de ces deux grands auteurs. J'ai tout de suite vu que les chansons, tellement iconiques, avaient pris le pas sur l'histoire. J'ai donc travaillé sur une nouvelle mouture du livret d'origine, pour le remettre en valeur. Car il décrivait déjà, en 1979, un monde futuriste qui est aujourd'hui devenu réalité : cette pensée initiale qui interroge notre présent devait être mieux entendue, au moins autant que les chansons.

Michel Berger préférait parler d'un opéra-rock, plus sombre, plutôt que d'une comédie musicale façon Broadway...

Je suis complètement de son avis ! « Opéra-rock » montre à la fois le côté « grande fresque » de Starmania et son côté moderne, abrupt et rocailleux. J'aime regarder une œuvre en face : on voit que les personnages sont en proie à de grands états mélancoliques, de grands vides et de grandes noirceurs. Chacun va s'engager dans une fuite désespérée vers la lumière : celle de devenir un chanteur pour Ziggy ou celle du pouvoir politique pour Zéro Janvier... Tous ces personnages se débattent entre l'obscurité et la clarté. Et puis il y a Monopolis, qui est selon moi le vrai grand personnage de l'histoire : cette ville est une machine qui broie toute forme d'humanité, où les gens se croisent, se loupent, s'entrechoquent. Je les ai enfermés dans une sorte de cage de lumière qui va à la fois les mettre en valeur et les emprisonner. Monopolis est un labyrinthe proche du mythe d'Icare : on veut en sortir pour toucher le soleil, sauf qu'en y parvenant, on se brûle les ailes.

C'est une vraie œuvre populaire, pour ses chansons et son histoire. Il y a eu des retrouvailles et des trouvailles

Avez-vous abordé la mise en scène de Starmania comme celle d'un Shakespeare ?

Starmania fait écho aux grandes tragédies antiques ou aux pièces de Shakespeare - mon idole - qui soulèvent les mêmes questions sur l'angoisse, la vacuité ou la vanité de l'existence mais aussi la dépression ou la mélancolie. Narcisse n'est pas loin non plus... Quant aux abus de pouvoir, c'est pareil : les tyrans, Sénèque en parlait déjà au Ier siècle. Nous sommes toujours coincés dans ces modèles. L'opéra, le théâtre... Au fond, tout ça, c'est du spectacle vivant. J'aborde donc Starmania ou Shakespeare de la même façon : par la puissance de ces œuvres, qu'elles soient de Michel Berger et Luc Plamondon, Shakespeare, Sénèque ou Marivaux... Je me fais un devoir de les transposer sur scène pour la redonner au public.

Starmania parle de tout, de l'ego médiatique, de changement climatique et même de questions très actuelles sur le genre... Ce côté visionnaire vous a interpellé ?

Starmania, c'est le Black Mirror des comédies musicales ! On voyait cette série comme de la science-fiction et aujourd'hui certains épisodes ressemblent terriblement au réel. Starmania est une œuvre visionnaire sur la question du genre, qui est une révolution. On peut réfléchir à s'identifier soi-même, à définir son propre genre. Le personnage de Sadia, que j'aurais adoré jouer, est un homme qui se genre au féminin, s'habille en femme mais qui est pourtant le plus proche du pouvoir. Et jamais personne ne fait cas de sa façon d'être ou de s'habiller... Elle fait sa vie sans que cela pose question, tout comme Ziggy, qui est homosexuel. Les questions de genre sont intégrées dans la société mais malheureusement, nous en sommes loin... Par ailleurs, la question écologique avait disparu des nouvelles versions du spectacle. C'est en retravaillant la première version que j'ai décidé de remettre dans l'histoire le Gourou Marabout, un personnage ambigu qui n'a pas une si belle âme que ça...

Les Jeux olympiques de Paris 2024 sont des événements festifs, cocardiers et politiquement corrects... Ce défi vous sort-il de vos habitudes ?

C'est la même démarche ! Les JO s'adressent à un très large public. La vraie question est de savoir quel message on lui envoie. Les cérémonies auront un lien avec ce qu'est la France. Et j'y mettrai un peu de théâtralité. Je vois ces cérémonies comme un grand moment de partage, de fête, et en même temps je voudrais que l'on puisse, ensemble, prendre conscience des grandes valeurs et des grands maux qui traversent notre temps. C'est justement le moment de se dire : « Nous sommes tous réunis ici, est-ce qu'on peut réfléchir ensemble, de vivants à vivants ? »

Philippe Decouflé a été acclamé pour la cérémonie des JO d'Albertville en 1992 alors que celle de la Coupe du monde de rugby 2023 a été critiquée... Avez-vous regardé les autres pour vous documenter ?

J'ai regardé toutes les grandes fêtes populaires mondiales et toutes les cérémonies olympiques des vingt-cinq dernières années, dont celle de Decouflé qui était géniale. Mais je n'ai pas de modèle car c'est un contexte sans équivalent : au cœur d'une ville, sur 6 kilomètres de fleuve. C'est fou. On va devoir travailler avec la réalité d'une ville, de ses bâtiments, avec la nature, avec la Seine, ses courants, la hauteur des ponts, même des poissons ! Sans mauvais jeu de mots, cette aventure n'est pas un long fleuve tranquille, mais le processus de création est plus concret que ce que l'on s'imagine. Toutes les idées de mise en scène passent à la moulinette de la réalité et à la fin, le spectacle peut enfin naître.

SUR TOUS LES FRONTS

Thomas Jolly ne déroge pas à sa réputation d'hyperactif. Outre Starmania et avant les JO dont il assurera la direction artistique, il investit l'Opéra-Comique à Paris pour deux reprises : Macbeth Underworld de Pascal Dusapin (qui se termine le 12 novembre) puis Fantasio de Jacques Offenbach (du 13 au 23 décembre). L'après-JO sera-t-il enfin le temps du repos pour le metteur en scène ? « Je n'ai pas pris d'autres engagements pour la suite, parce que je pense qu'un tel projet représentera une sorte de borne dans mon parcours et dans ma vie personnelle, confie Thomas Jolly. Il sera temps ensuite de réfléchir à l'après. Mais j'ai toujours autant envie de faire du théâtre, de raconter des histoires. J'aimerais aussi faire du cinéma et m'aventurer dans l'univers des jeux vidéo... Et passer un jour à l'écriture mais, pour ça, il faut du temps... J'ai encore mille choses à faire. » C.L.

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